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>> les jours de plus en plus occuper Votre Majesté, ser»viront beaucoup à la guérir. On ne parle que de la » beauté de vos troupes, et de ce qu'elles sont capables >> d'exécuter sous un si grand capitaine; et moi, Sire, » pendant ce temps, je songe secrètement en moi» même à une guerre bien plus importante, et à une » victoire bien plus difficile que Dieu vous propose....

>> Mes inquiétudes pour votre salut redoublent de » jour en jour, parce que je vois tous les jours de plus >> en plus quels sont vos périls. Sire, accordez-moi une >> grâce. Ordonnez au père de La Chaise de me mander » quelque chose de l'état où vous vous trouvez. Je serai >> heureux, Sire, si j'apprends de lui que l'éloignement >> et les occupations commencent à faire le bon effet que »> nous avons espéré...

» Je vois, autant que je puis, madame de Montespan, » comme Votre Majesté me l'a commandé. Je la trouve as» sez tranquille. Elle s'occupe beaucoup aux bonnes œuvres, » et je la vois fort touchée des vérités que je lui propose, » qui sont les mêmes que je dis aussi à Votre Majesté. » Dieu veuille vous les mettre à tous deux dans le fond du » cœur, et achever son ouvrage, afin que tant de larmes, » tant de violences, tant d'efforts que vous avez faits sur » vous-mêmes ne soient pas inutiles. »

Dans cette première lettre, Bossuet s'étoit borné à parler à Louis XIV comme un ministre de l'Evangile doit parler à un chrétien ; mais dans une seconde lettre du 10 juillet 1675, c'est au Roi qu'il parle, et il lui rappelle toutes les obligations qu'un si grand titre lui impose.

« Vous êtes né, Sire, avec un amour extrême pour » la justice, avec une bonté et une douceur qui ne >> peuvent être assez estimées; et c'est dans ces choses >> que Dieu a renfermé la plus grande partie de vos >> devoirs. Car l'Ecriture a dit: La miséricorde et la » justice gardent le Roi, et son trône est affermi par la » clémence et la bonté. Le trône que vous remplissez est » à Dieu; vous y tenez sa place, vous devez y régner

>> selon ses lois. Les lois qu'il vous a données sont que, >> parmi vos sujets, votre puissance ne soit formidable » qu'aux méchants, et que vos autres sujets puissent >> vivre en paix et en repos en vous rendant obéis

»sance...

» Je n'ignore pas, Sire, combien il vous est difficile » de donner à votre peuple tout le soulagement dont il >> a besoin, au milieu d'une grande guerre où vous » êtes obligé à des dépenses si extraordinaires, et pour >> conserver vos alliés; mais la guerre qui oblige Votre » Majesté à de si grandes dépenses, l'oblige en même » temps à ne pas laisser accabler le peuple, par qui seul » elle peut les soutenir...

>> Il n'est pas possible que de si grands maux, qui » sont capables d'abîmer l'état, soient sans remède, au» trement tout seroit perdu sans ressource; mais ces >> remèdes ne se peuvent trouver qu'avec beaucoup de » soin et de patience. Car il est malaisé d'imaginer des >> expédients praticables, et ce n'est pas à moi de dis>> courir de ces choses. Mais ce que je sais très-certai»nement, c'est que si Votre Majesté témoigne persé» véramment qu'elle veut la chose; si malgré la diffi» culté qui se trouvera dans le détail, elle persiste in» vinciblement à vouloir qu'on cherche; si enfin, elle » fait sentir, comme elle le sait très-bien faire, qu'elle ne » veut pas être trompée sur ce sujet, et qu'elle ne se con» tentera que de choses solides et effectives, ceux à qui » elle confie l'exécution, se plieront à ses volontés et tour» neront tout leur esprit à la satisfaire dans la plus juste » inclination qu'elle puisse jamais avoir.

>> Au reste, Votre Majesté doit être persuadée, quel>> que bonne intention que puissent avoir ceux qui la » servent pour le soulagement de ses peuples, qu'elle » n'égalera jamais la vôtre. Les bons rois sont les vrais » pères des peuples; ils les aiment naturellement; leur >> gloire et leur intérêt le plus essentiel est de les con» server, et de leur bien faire, et les autres n'iront » jamais en cela aussi avant qu'eux. »

Bossuet finit cette lettre par chercher à exciter dans le cœur de Louis XIV la noble ambition de prendre Henri IV pour modèle ; et il peint avec toute l'émotion que le seul nom d'Henri IV réveille encore dans tous les cœurs, après deux siècles révolus, le deuil général qui couvrit la France, au moment où un coup affreux enleva ce prince à ses sujets.

<«< Il est arrivé souvent qu'on a dit aux rois que les >> peuples sont plaintifs naturellement, et qu'il n'est pas » possible de les contenter, quoi qu'on fasse. Sans re>> monter bien loin dans l'histoire des siècles passés, le » nôtre a vu Henri IV votre aïeul qui, par sa bonté in» génieuse et persévérante à chercher les remèdes aux » maux de l'état, avoit trouvé les moyens de rendre >> les peuples heureux, et de leur faire sentir et avouer » leur bonheur; aussi en étoit-il aimé jusqu'à la passion, » et dans le temps de sa mort, on vit par tout le royaume et » dans toutes les familles, je ne dis pas l'étonnement ; » l'horreur et l'indignation que devoit inspirer un coup si » soudain et si exécrable, mais une désolation pareille à » celle que cause la perte d'un bon père à ses enfants. Il » n'y a personne de nous qui ne se souvienne d'avoir our » souvent raconter ce gémissement universel à son père ou » à son grand-père, et qui n'ait encore le cœur attendri » de ce qu'il a ouï réciter de la bonté de ce grand roi envers » son peuple, et de l'amour extrême de son peuple envers » lui; c'est ainsi qu'il avoit gagné les cœurs, et s'il avoit » ôté de sa vie la tache que Votre Majesté vient d'effacer, » sa gloire seroit accomplie, et on pourroit le proposer » comme le modèle d'un roi parfait.

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>> Je supplie Votre Majesté de me pardonner cette >> longue lettre; jamais je n'aurois eu la hardiesse de » lui parler de ces choses, si elle ne me l'avoit si ex>> pressément commandé. Je lui dis les choses en géné» ral, et je lui en laisse faire l'application, suivant que >> Dieu l'inspirera. »

X.- Instruction de Bossuet pour Louis XIV.

Bossuet joignoit à ces lettres une instruction particulière sur ce sujet important: Quelle est la dévotion d'un

roi.

On y remarque l'art infini et les ménagements délicats, que la prudence chrétienne recommande envers les princes, et qui consistent à présenter les règles et les maximes de la religion sous la forme la plus convenable au caractère, aux qualités, et aux dispositions de ceux qu'on veut ramener aux vertus du christianisme.

Bossuet évite de censurer avec trop d'amertume la passion, peut-être extrême, que Louis XIV avoit pour la gloire; cette jalousie du pouvoir supreme; cette magnificence qu'il se plaisoit à étaler dans sa cour et dans ses palais; le goût excessif qu'on lui a reproché trop légèrement pour le luxe, les beaux-arts et les fêtes; il s'attache même à jeter un voile respectueux sur les suites affligeantes qui pouvoient en accompagner l'excès. Il fait plus; il cherche à faire ressortir les avantages et les bons effets qui peuvent naître de la magnificence à laquelle les rois sont condamnés, lorsqu'ils savent la renfermer dans de justes bornes. Bossuet se flattoit que, si Louis XIV consentoit à régler ses penchants sur les maximes de la religion, il trouveroit dans l'application de ces maximes mêmes le grand art de concilier la majesté de son rang et les intérêts de sa gloire avec le soulagement de ses peuples.

Au reste, après un siècle de déclamations, il est aujourd'hui bien reconnu que, loin d'avoir excédé les bornes d'une sage et utile magnificence, Louis XIV a apporté la plus sévère économie dans l'exécution de ses belles créations; et la postérité, plus équitable, admirera comment il a pu faire tant et de si grandes choses avec d'aussi foibles moyens *.

* Voyez aux Pièces justificatives du tome iv de la troisième édition de l'Histoire de Fénelon, la preuve irrécusable de l'exagération de

Bossuet montre la même sagesse et la même modération dans les avis qu'il donne à Louis XIV sur les exercices et les pratiques de la religion. Il n'est personne d'éclairé qui ne sache en effet que la dévotion d'un roi, dont tous les moments sont remplis par les soins et les intérêts d'un vaste empire, ne peut ni ne doit être celle d'un particulier, et encore moins celle d'un religieux.

<< Lorsqu'un roi, dit Bossuet, agit fortement pour sou>> tenir son autorité, et qu'il est jaloux de la conserver, » il fait un grand bien à tout le monde, puisqu'en main» tenant cette autorité, il conserve le seul moyen que » Dieu ait donné aux hommes pour soutenir la tranquillité publique, c'est-à-dire le plus grand bien du » genre humain.

>> Lorsqu'il est contraint de faire la guerre, il la fait » avec vigueur. Il empêche ses peuples d'ètre ravagés, » et se met en état de conclure une paix durable, en » faisant redouter ses forces.

>> Lorsqu'il soutient sa gloire, il soutient en même » temps le bien public; car la gloire du prince est l'or»nement et le soutien de tout l'état.

>> S'il cultive les arts et les sciences, il procure par » ce moyen de grands biens à son royaume, et y ré» pand un éclat qui fait honorer la nation, et rejaillit sur tous les particuliers.

» S'il entreprend quelque grand ouvrage, comme » des ports, de grands bâtiments, et d'autres choses » semblables, outre l'utilité publique qui se trouve dans » ses travaux, il donne à son règne une gloire qui sert >> à entretenir ce respect de la majesté royale si néces>> saire au bien du monde.

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» Ainsi, quoi que fasse le prince, il peut avoir toujours en vue le bien du prochain, et dans le bien du prochain, le véritable service que Dieu exige de lui. » Par tout cela, il paroît qu'un prince appliqué, au

tous les calculs que tant de déclamateurs avoient hasardés sur les dépenses de Louis XIV pour ses bâtiments.

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