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ce prince de reprendre bientôt après les chaînes qui le livrèrent encore à la domination de madame de Montespan. Bossuet, au contraire, par la rectitude de sa conduite, par ses utiles instructions, et surtout par ce caractère de vertu et de sagesse qui ne l'abandonnoit jamais dans les circonstances les plus difficiles et les plus délicates, vit enfin ses vœux couronnés *. Il suffiroit d'ailleurs, pour la justification de Bossuet, d'observer que madame de Maintenon est la seule de tous ses contemporains, qui se soit permis en cette occasion de donner comme un témoignage de mollesse, ou comme un défaut d'esprit de la cour, une conduite pleine de bienséance et conforme aux maximes de la prudence chrétienne.

Mais on seroit également injuste envers madame de Maintenon, si on se plaisoit à attribuer le chagrin qu'elle eut de voir madame de Montespan revenir à la cour à des motifs peu dignes d'elle, et à ces petites passions qu'on retrouve si souvent dans la société. Toute la suite de sa vie a montré qu'en cette occasion sa peine la plus sensible fut la perte des espérances qu'elle avoit déjà conçues de ramener le Roi à une conduite plus conforme aux sentiments de religion et de piété dont elle étoit pénétrée.

Il est vraisemblable cependant qu'elle sut mauvais gré à Bossuet de ce qu'il continua à voir quelquefois madame de Montespan depuis son retour à la cour.

C'est ce qui est confirmé par le témoignage de M. de Saint-Simon dans ses Mémoires.

« C'étoit (Bossuet) un homme, dont les vertus, la droiture et l'hon>>neur étoient aussi inséparables que la science et la vaste érudition. » La place de précepteur de monseigneur le Dauphin l'avoit familiarisé » avec le Roi, qui s'étoit plus d'une fois adressé à lui dans les scrupules » de sa vie. Bossuet lui avoit souvent parlé là-dessus avec une liberté » digne des premiers siècles et des premiers évêques de l'Eglise. Il » avoit interrompu le cours de ses liaisons plus d'une fois; il avoit osé » poursuivre le Roi, qui lui avoit échappé. Il fit à la fin cesser tout » commerce, et il acheva de couronner cette grande œuvre par les >> derniers efforts qui chassèrent pour jamais madame de Montespan » de la cour. »

Ce qu'il y a de certain, c'est qu'elle vécut dans une disposition peu favorable à son égard jusqu'à l'époque de l'affaire du quiétisme, où par les conseils de l'évêque de Chartres, elle s'abandonna entièrement à sa conduite et à ses inspirations

Bossuet continua en effet à voir madame de Montespan; mais c'étoit toujours chez madame de Thianges, sa sœur, et en observant à son égard la gravité et la dignité de son ministère. De son côté, madame de Montespan lui montra constamment autant d'estime que de confiance. Ce fut de sa main qu'elle voulut recevoir tous les gens de mérite qui présidèrent à l'éducation de ses enfants. L'amitié qu'elle conserva toujours pour lui fut si inaltérable, et celle de Bossuet étoit si désintéressée que lorsqu'elle quitta la cour en 1687, pour se retirer à Saint-Joseph, il continua à la voir encore plus souvent, surtout depuis qu'elle se fixa entièrement dans cette retraite. Elle avoit laissé à Versailles mademoiselle de Blois, sa fille, entre les mains de madame de Maintenon; et à l'époque du mariage de cette princesse avec M. le duc de Chartres, depuis duc d'Orléans, et régent du royaume, madame de Montespan se montra quelquefois au Palais-Royal, mais jamais à la cour. Se trouvant en 1695 à Frênes, diocèse de Meaux, elle alla voir Bossuet à Germigny avec l'abbesse de Fontevrault sa sœur, la duchesse de Nevers sa nièce, et le duc de Nevers. Madame de Montespan mourut en 1707, trois ans après Bossuet, à l'âge de soixante-six ans.

Lors mème que madame de Montespan eut entièrement quitté la cour, ce fut toujours Bossuet que Louis XIV consulta pour le choix des instituteurs qu'il vouloit donner aux princes ses enfants. Nous avons sous les yeux une lettre qu'il lui écrivit de sa propre main en 1691. Les expressions affectueuses et sensibles dont il

* C'est ce qu'on voit par une note manuscrite de l'abbé Fleury. «Par là (par l'affaire du quiétisme), M. de Meaux rentra en commerce » avec madame de Maintenon, qui étoit aliénée depuis quelques an» nées. »

se sert à son égard, montrent tout le goût et toute l'estime qu'il avoit pour lui; on sait que Louis XIV étoit encore plus réservé dans ses lettres que dans son maintien et dans ses discours. Cette lettre offre également une nouvelle preuve de l'attention qu'il apportoit aux plus petits détails de sa famille et de son gouvernement jusque dans le tumulte des camps et au milieu des mouvements d'une armée.

XI. Lettre de Louis XIV à Bossuet, copiée sur l'original.

« Au camp près de Mons, 11 avril 1691.

>> Je suis persuadé que la prise de Mons et mon re>> tour à Versailles vous feront plaisir. Je vous ai dit de>> vant que de partir, que je ne souhaitois pas que l'abbé » Girard retournât auprès du comte de Toulouse, et » que je vous ferois savoir mes intentions avant que » d'arriver. Faites-lui entendre ce que je désire, et l'as» surez en même temps que j'aurai soin de lui *. Son» gez à quelqu'un pour mettre à sa place, afin que je » puisse l'établir à mon arrivée, ou peu de jours après, auprès du comte. Je serai à Versailles le mardi d'a» près Pâques, s'il n'arrive rien qui m'en empêche. Pre»> nez vos mesures là-dessus, et croyez qu'on ne peut >> avoir plus d'estime que j'en ai pour vous, jointe à >> beaucoup de confiance.

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1

» Louis. >>

Peu de temps après que Bossuet eut prononcé le discours de la profession des vœux de madame de La Vallière, la France perdit celui de ses capitaines qui a laissé la plus longue et la plus honorable mémoire, celui dont ses contemporains ont dit « qu'on 2 ne pouvoit » ni l'aimer, ni être touché de son mérite sans en étre plus » honnéte homme, et que jamais homme n'a été si près » d'être parfait. »

Bossuet fut longtemps inconsolable, ajoute madame

* Louis XIV le nomma quelque temps après 1 Le 27 juillet 1675.-2 Mme de Sévigné.

l'évêché de Poitiers.

de Sévigné; car, lorsqu'on parle de la mort de M. de Turenne, c'est toujours de madame de Sévigné qu'il faut emprunter les expressions de la douleur publique et des douleurs particulières. Turenne étoit resté l'ami et l'admirateur de Bossuet après avoir été son disciple; et si Bossuet ne fut point appelé à rendre à la mémoire de Turenne les derniers honneurs dans sa pompe funèbre, il l'a encore plus honorée, lorsqu'en présence même du cercueil du grand Condé, il a établi entre ces deux fameux capitaines ce beau parallèle, qui laisse la postérité encore indécise sur la prééminence qu'elle doit accorder à l'un ou à l'autre.

LIVRE SIXIÈME.

DE L'ASSEMBLÉE DE 1682.

L'ÉDUCATION de monseigneur le Dauphin étoit finie; Bossuet avoit été nommé premier aumônier de madame la Dauphine dès le 9 mars 1680. Les fonctions de cette place le fixoient à la Cour, et il attendoit paisiblement ce que la Providence ordonneroit du reste de sa vie. Tout ce qu'il avoit déjà fait pour la religion et pour l'Eglise auroit suffi à la gloire de tout autre que Bossuet *. Mais la gloire et les vains applaudissements des hommes n'étoient rien pour celui qui ne voyoit que Dieu et la religion.

I.- Bossuet proposé pour différents siéges.

Il ne vaquoit aucun siége important dans le clergé de France, que la voix publique ne s'empressât de l'y

On a vu comment Bossuet avoit su remplir ce court intervalle de repos et d'inaction dans sa vie publique. Ce fut alors qu'on vit paroitre son chef-d'œuvre, son Discours sur l'Histoire universelle, qui fut imprimé au commencement de 1684,

appeler. L'abbé Ledieu nous apprend que les églises de Lyon, de Sens et de Beauvais, qui perdirent leurs premiers pasteurs* dans l'intervalle de 1679 à 1681, exprimèrent le vœu aussi honorable pour elles-mêmes que pour Bossuet, de voir le choix du Roi se fixer sur celui qu'il avoit jugé digne d'élever son fils.

M. Félix Vialart, évêque de Châlons-sur-Marne, prélat qui jouissoit d'une grande considération dans son diocèse et dans l'Eglise de France, étoit lié d'amitié avec Bossuet; accablé sous le poids des années, des infirmités et des travaux qui avoient rempli sa longue carrière, il voulut honorer sa mémoire en le désignant pour son successeur, et il s'en ouvrit à Bossuet.

M. de Ligni, évêque de Meaux, qui l'avoit souvent entendu prêcher dans différentes églises de son diocèse, professoit également pour lui une singulière estime. Il étoit malade et languissant depuis deux ans. Il offrit sa démission au Roi, et se permit de proposer Bossuet pour occuper sa place. C'est à ce siége que la Providence le destinoit. Mais il entroit dans les vues et dans les principes de Louis XIV de ne l'y appeler qu'après la mort de M. de Ligny.

Amelot de la Houssaye avance dans ses Mémoires historiques 1 «< que Bossuet, évêque de Condom et précepteur de monseigneur le Dauphin, demanda l'évêché de Beauvais, et que le Roi le lui refusa sous le prétexte honnête que sa présence étoit nécessaire auprès de monseigneur; mais au vrai, parce qu'il ne vouloit pas donner une pairie à un homme d'une naissance bourgeoise.

Amelot n'appuie cette prétendue anecdote d'aucun témoignage ni d'aucun garant; et ceux qui l'ont rapportée après lui **, n'ont pas eu d'autre autorité que la sienne.

* Par la mort de MM. de Villeroy, de Montpezat et Choart de Buzenval.

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