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On peut d'abord assurer avec confiance que Bossuet ne demanda pas l'évêché de Beauvais rien n'eût été plus contraire à ses principes. Indépendamment d'une considération aussi décisive, cette demande auroit blessé toutes les convenances. L'évêché de Beauvais vaqua par la mort de M. Choart de Buzenval le 21 juillet 1679, et Bossuet exerçoit encore ses fonctions de précepteur auprès de monseigneur le Dauphin.

Il est possible qu'en prévoyant le terme peu éloigné où alloit finir l'éducation du jeune prince, le public ait désigné Bossuet pour l'évêché de Beauvais, comme on l'appeloit à tous les siéges importants qui venoient alors à vaquer; et lorsqu'on vit qu'il n'y avoit pas été nommé, on peut imaginer le prétendu motif qu'allègue Amelot de la Houssaye. Mais on doit dire en même temps que les expressions dont il se sert manquent de convenance et de justesse. Bossuet, comme on l'a déjà remarqué, appartenoit à une famille honorable, par les places qu'elle occupoit depuis assez longtemps dans la première cour de magistrature de sa province. D'ailleurs on étoit alors accoutumé à voir les évêchés-pairies occupés par des ecclésiastiques plus recommandables par leur mérite, que distingués par leur naissance. Le prélat même dont la mort venoit de faire vaquer l'évêché de Beauvais, en offroit lui-même un témoignage bien récent.

Le cardinal de Richelieu, qui avoit trouvé l'Eglise de France dans l'état le plus déplorable après cinquante ans de guerres civiles et religieuses, s'étoit fait un principe de ne chercher dans les sujets qu'il vouloit appeler au gouvernement des diocèses, que la science et le mérite; et l'on peut dire que c'est à lui que cette Eglise si célèbre a été redevable de la restauration de sa discipline au milieu des ruines et des ravages dont un demi-siècle de désolation avoit couvert la France.

C'est à cette époque que l'Eglise gallicane offrit le spectacle du clergé le plus instruit et le plus régulier de la catholicité, et prépara cette longue succession de

grands évêques qui lui donnèrent tant d'éclat sous le règne de Louis XIV.

On ne voit pas que Louis XIV lui-même ait jamais affecté d'accorder une préférence marquée à l'avantage de la naissance dans le choix des personnes qu'il élevoit à de grandes dignités ecclésiastiques, ou à des places importantes dans l'administration: et si, dans la suite, les évêchés-pairies furent remplis par les enfants, ou par les frères des seigneurs de sa cour, c'est que, trouvant en eux le mérite de leur état, ce prince put trouver une convenance bien placée à donner à leurs familles la satisfaction de les voir plus rapprochés

d'elles.

Mais le mérite fut toujours le premier de tous les titres aux yeux de Louis XIV: on ne voit pas même dans les mémoires du temps, que la nomination de Fléchier, de Mascaron, de Soanen à des évêchés, quoique nés dans une condition obscure, et celle de Massillon, bien peu de temps après la mort de ce prince, aient paru seulement exciter un sentiment de surprise.

On peut même dire que l'esprit de la monarchie françoise fut constamment qu'il n'existât aucune dignité dans les armées, dans le clergé, dans la magistrature, à laquelle tout François n'eût le droit de prétendre par le seul ascendant de ses talents ou de ses vertus.

C'étoit la juste observation que le chancelier de l'Hôpital adressoit à la France entière dans son discours d'ouverture des états d'Orléans, et qu'il présentoit avec un noble orgueil comme un des plus beaux caractères de la constitution françoise. L'élévation de ce grand magistrat lui-même à la première dignité de l'état offroit l'application la plus sensible et la plus éclatante de la justesse et de la vérité de cette observation. On a vu depuis, sous Louis XIV, Rozen, Fabert, Catinat, maréchaux de France comme Turenne et Luxembourg.

Nous n'aurions pas cru tout-à-fait inutile de rappeler des faits si connus et si notoires, dans un temps où l'on affectoit de les oublier pour calomnier l'ancien es

prit de la monarchie françoise, en confondant la cour avec le gouvernement, ou quelques institutions particulières à la noblesse avec les lois générales du royaume.

Une considération bien honorable pour Bossuet justifioit cette espèce d'impatience générale qui le portoit à toutes les grandes places : tout se préparoit en France pour la célèbre assemblée de 1682, et tous les esprits étoient en mouvement sur les grands intérêts qui devoient être la matière de ses délibérations.

La Providence disposa les choses de manière que celui qui paroissoit devoir être étranger à cette assemblée, puisqu'il n'avoit encore ni titre ni caractère pour y prendre place, en devint tout-à-coup l'âme, l'organe, l'interprète et le défenseur.

M. de Ligny, évêque de Meaux, le même qui avoit désiré si vivement, quelques mois auparavant, d'avoir Bossuet pour successeur, mourut le 27 avril 1681.

Louis XIV de lui-même avoit choisi Bossuet pour précepteur de son fils. Le mérite d'avoir donné à l'Eglise gallicane l'évêque qui devoit en étendre la gloire sur la longue suite des siècles, appartient également à Louis XIV seul.

II. Bossuet est nommé à l'évêché de Meaux.

Ce prince ne se contenta pas de nommer Bossuet à l'évêché de Meaux; il accompagna ce choix d'une distinction particulière. Il ordonna au Père de La Chaise d'aller lui-même annoncer cette nomination à l'archevêque de Paris (M. de Harlay), et de charger de sa part ce prélat de la déclarer publiquement à l'assemblée des évêques, qui se tenoit ce jour-là (2 mai 1681) à l'archevêché. C'étoit avertir toute l'Eglise de France de l'importance qu'il attachoit à un tel choix.

Bossuet, qui n'avoit jamais gouverné aucun diocèse, sentoit combien l'expérience est nécessaire dans toute administration.

Il avoit lui-même, dans un sermon, prêché peu de

temps auparavant en présence de Louis XIV, exhorté le Roi à n'élever à l'épiscopat que des ecclésiastiques déjà préparés et exercés par une association anticipée aux devoirs et aux fonctions du ministère pastoral; et il se croyoit plus obligé que tout autre de suppléer en quelque manière à l'expérience qu'il présumoit lui être nécessaire. Quand on pense que c'est Bossuet qui croit avoir besoin d'apprendre à être évêque, on ne sait ce qu'on doit le plus admirer de tant de modestie ou de tant de grandeur.

Il s'étoit donc toujours proposé, dans le cas où il plairoit encore à la Providence de l'attacher à une église particulière, de consacrer l'intervalle plus ou moins long qui devoit se trouver entre sa nomination et l'expédition de ses bulles, à une espèce de retraite auprès de quelqu'un de ces anciens évêques qui honoroient le plus alors l'Eglise de France par l'exemple de leurs vertus et par leur amour de la règle et de la discipline. C'étoit M. Vialart, évèque de Châlons-sur-Marne, qu'il avoit eu dessein de prendre pour guide, pour maître et pour modèle dans son nouvel apostolat. Mais ce prélat étoit mort depuis près d'un an, lorsque Bossuet fut nommé à l'évêché de Meaux.

Cet événement changea ses premières vues; et il voulut au moins se préparer à la méditation des nouveaux devoirs qui lui étoient imposés, dans une retraite encore plus séparée du monde que la maison d'un évêque même étranger au monde.

Ce fut vers la solitude de la Trappe qu'il tourna ses regards, pour s'y recueillir tout entier dans les graves pensées qui alloient l'occuper.

En répondant au compliment que lui fit l'abbé de Rancé sur sa nomination à l'évêché de Meaux, il lui annonça ses dispositions en ces termes :

« La promesse1 que vous me faites de prier Dieu pour » qu'il me conduise dans les fonctions de l'épiscopat,

1 Lettre de Bossuet à l'abbé de Rancé, 22 juin 1681, OEuvr. de Bossuet, t. x. lett. LXXIX.

>> m'est d'un grand soutien. Mais vous n'en serez pas >> quitte pour cela. Il y a dix ans que j'ai dans l'esprit » que si Dieu me remettoit en charge dans son Eglise, >> j'aurois deux choses à faire, l'une d'aller passer quel» que temps en action avec feu M. de Châlons; l'autre » d'aller aussi passer quelque temps en oraison avec >> vous. Dieu m'a privé du premier par la mort de ce » saint prélat, je vous prie de ne pas me refuser l'autre. >> Si vous me faites cette grâce, aussitôt que j'aurai >> reçu réponse de Rome, je disposerai mes affaires au » départ. »

III. Il est député à l'assemblée de 1682.

Mais les circonstances ne permirent pas à Bossuet de suivre son dessein. La célèbre assemblée de 1682 * alloit s'ouvrir; et comme il falloit, pour ainsi dire, que tous les pas de Bossuet dans sa glorieuse carrière fussent marqués par des exceptions honorables, l'assemblée métropolitaine de Paris le nomma député à l'assemblée générale du clergé, quoiqu'il n'eût point encore reçu ses bulles de l'évêché de Meaux **; et il fut immédiatement désigné pour faire le sermon d'ouverture de cette assemblée.

Bossuet se hâta d'instruire l'abbé de Rancé de l'obstacie imprévu que cette succession rapide d'événements apportoit à ses projets. « Je crains bien, lui écrivoit-il, » d'être privé pour cette année de la consolation que

* Cette assemblée commença dès le mois de novembre 1684, mais, comme les quatre fameux articles ne furent proclamés qu'au mois de mars 1682, cette assemblée est restée plus connue sous cette dernière date.

** Le procès-verbal de l'assemblée métropolitaine de Paris est du 30 septembre 1681, et Bossuet y est simplement désigné comme nommé évêque de Meaux. Il ne reçut ses bulles qu'à la fin du mois d'octobre suivant. Le pape Innocent XI, qui étoit rempli d'estime pour Bossuet, et qui lui en avoit déjà donné des témoignages authentiques au sujet du livre de l'Exposition et de sa Lettre sur l'éducation de monseigneur le Dauphin, lui accorda de lui-même la remise de la moitié de la taxe des bulles. Bossuet se hâta de lui en témoigner sa reconnoissance par une lettre dont nous avons la minute originale de la

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