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des contrées étrangères ses sacrifices et ses autels teints encore du sang de ses pontifes et de ses prêtres, offrir à l'admiration de l'Europe entière le spectacle des plus touchantes vertus et de la plus noble dignité dans l'excès du malheur.

Lous XIV avoit cru devoir convoquer l'assemblée de 1682 pour s'appuyer de son autorité dans ses démêlés avec le pape Innocent XI.

Nous ne nous arrêterons pas longtemps sur l'affaire de la régale, qui fut dans l'origine la cause de ce grand mouvement, et qui par la suite des événements n'en devint qu'une circonstance accessoire. Mais elle servit d'occasion et de motif pour rappeler et consacrer des maximes d'un bien plus grand intérêt pour la paix de l'Eglise et la tranquillité des empires.

V.- Affaire de la régale.

La question de la régale est devenue assez indifférente depuis 1682, et aujourd'hui elle n'a même plus d'objet.

La régale en France étoit un droit par lequel nos rois jouissoient du revenu des archevêchés et des évêchés pendant leur vacance, et même conféroient les bénéfices dépendants de leur collation jusqu'à ce que les nouveaux pourvus eussent prêté leur serment de fidélité, et l'eussent fait enregistrer à la chambre des comptes de Paris.

Le célèbre Pasquier avoue de bonne foi1 que c'est un des points de notre histoire qui lui a toujours paru le plus obscur, et que tous les auteurs qui en ont écrit n'offrent rien de certain ni de satisfaisant sur l'origine et l'étendue de la régale.

Ce qui est incontestable, c'est qu'on en trouve des traces dès la première et la seconde race de nos rois, et que ceux de la troisième l'exercèrent sans aucune opposition sur une partie des églises de France. Le testament de Philippe-Auguste en fait une mention exRecherches, liv. 111. ch. 27.

presse et les lettres-patentes de saint Louis, à l'époque de son voyage d'Afrique, prouvent qu'il étoit en possession du droit de régale.

Mais il n'en est pas moins certain que l'exercice de ce droit ne s'étendoit pas généralement sur toutes les églises du royaume. Plusieurs d'entre elles en étoient exemptes, soit à titre onéreux, soit en vertu de quelque concession particulière, soit enfin parce que les différentes provinces dont elles faisoient partie, ayant été successivement réunies à la France, elles s'étoient maintenues dans l'exemption dont elles étoient en possession.

Ce défaut d'uniformité fit naître une multitude de discussions entre les officiers du Roi, toujours empressés de donner la plus grande extension aux prérogatives de la couronne, et les églises d'un grand nombre de provinces, qui résistoient à des prétentions contraires au droit où elles s'étoient jusqu'alors maintenues.

1

Le second concile général de Lyon, tenu en 1274, par Grégoire X, fit un décret 1 par lequel la régale fut autorisée dans les églises où elle étoit établie par le titre de fondation, ou par une ancienne coutume, avec défense de l'introduire dans les églises où elle n'étoit pas encore reçue.

On voit que cette disposition consacroit la légitimité de la possession de nos rois sur les églises déjà soumises à la régale, et sembloit devoir en garantir celles qui en étoient exemptes.

Les églises de Languedoc, de Guyenne, de Provence et de Dauphiné se maintinrent paisiblement dans leur exemption.

Ce ne fut guère que vers le commencement du dixseptième siècle que la couronne voulut étendre ce droit sur toutes les églises sans aucune exemption.

Après plusieurs arrêts dont les remontrances du clergé avoit suspendu l'exécution, Louis XIV rendit la déclaration de février 1673, par laquelle il déclara le droit de

1 Canon XII.

régale inaliénable et imprescriptible dans tous les archevéchés et évéchés du royaume, et ordonna que tous les archevêques et évêques qui n'avoient point fait enregistrer leur serment de fidélité, seroient tenus de le faire dans deux mois.

Presque tous les évêques de Languedoc, de Guyenne, de Provence et du Dauphiné, qui jusqu'alors s'étoient maintenus dans l'exemption du droit de régale, cédèrent à l'autorité du Roi.

Plusieurs considérations raisonnables les portèrent à cette condescendance. La protection éclatante que le roi accordoit à la religion et à ses ministres, la modération connue de ce monarque, l'inutilité bien évidente d'une résistance indiscrète, et les principes de soumission que le clergé de France se faisoit honneur de professer, déterminèrent cette sage et respectueuse conduite.

D'ailleurs le droit de régale étoit déjà paisiblement exercé dans la très-grande partie de la France. Il ne s'agissoit que d'un droit particulier à quelques églises : et de grands avantages pour la discipline ecclésiastique devoient balancer un sacrifice assez peu important en lui-même.

Mais deux évêques dont l'opposition étoit certainement fondée sur les intentions les plus pures et sur des considérations plausibles, crurent devoir se montrer inflexibles. Ce furent les évêques d'Alet * et de Pamiers **. Ces évêques étoient recommandables par leur piété, leurs vertus et leurs mœurs; et il est certain que s'il n'eût été question que d'un droit en litige entre des particuliers, ils auroient pu se présenter avec confiance devant les tribunaux, en s'appuyant sur une longue et antique possession. Mais ils oublièrent qu'il est des circonstances où le sacrifice de quelques prétentions et de quelques droits peu importants est conseillé par les règles mêmes de la prudence chrétienne.

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En conséquence du refus des évêques d'Alet et de Pamiers de faire enregistrer leur serment de fidélité, le Roi nomma, en exécution de sa déclaration de 1673, aux bénéfices vacants dépendants de leur collation. Ils prodiguèrent alors les censures et les excommunications contre les pourvus en régale, comme si toutes les lois de l'Eglise eussent été foulées aux pieds, et la religion attaquée dans ses points les plus essentiels.

Les pourvus en régale suivirent les formes accoutumées; ils appelèrent de ces sentences à l'archevêque de Narbonne et à l'archevêque de Toulouse, métropolitains d'Alet et de Pamiers. Les deux métropolitains cassèrent les ordonnances des deux évêques, et prononcèrent la nullité de leurs censures.

Les deux évêques interjetèrent appel au saint Siége du jugement de leurs métropolitains.

Innocent XI avoit les mêmes vertus qu'on admiroit dans les évêques d'Alet et de Pamiers, et les mêmes défauts qu'on pouvoit leur reprocher. Il avoit, comme eux, une régularité édifiante et un désintéressement digne des temps apostoliques. Mais comme eux il avoit cet entêtement qu'il est si facile et si commun de confondre avec la fermeté *.

Au lieu de s'établir médiateur et conciliateur, rôle qui convenoit si bien à sa dignité de chef de l'Eglise, il se constitua juge suprême dans une contestation qui auroit pu suivre naturellement le cours accoutumé d'une négociation amicale et politique; et il prononça son jugement d'une manière si absolue, que Louis XIV, quelque modéré qu'il fût par caractère, et de quelque respect qu'il fût pénétré pour le saint Siége, dut justement s'offenser d'un procédé si extraordinaire.

Innocent XI ne se contenta pas de casser les ordon

Arnauld lui-même, quelque bien disposé qu'il fût pour Innocent XI, à cause des vigoureux combats qu'il livra en faveur des évêques d'Alet et de Pamiers, ne peut s'empècher, sur un autre sujet, de comparer la fermeté de ce pontife à celle d'un pilier, qui n'avance ni ne recule. Voyez les Lettres d'Arnauld,

nances rendues par les archevêques de Narbonne et

de Toulouse: il écrivit au Roi deux brefs en date du 12 mars 1678 et du 21 septembre de la même année, dans lesquels il s'exhaloit en reproches contre les ministres du Roi, qui abusoient de sa confiance par leurs sinistres conseils pour satisfaire leur intérêt et leur ambition.

Ces deux brefs n'ayant point arrêté l'exécution de la déclaration de 1673, il lui en adressa un troisième en date du 29 décembre 1679, dont les expressions menaçantes obligèrent Louis XIV à adopter des mesures convenables pour faire respecter la dignité de sa couronne et assurer la tranquillité de ses états.

Le Pape disoit dans ce bref: « Nous ne traiterons plus » cette affaire par lettres; mais aussi nous ne négligerons » pas les remèdes que la puissance dont Dieu nous a re» vétus nous met en main, et que nous ne pouvons omettre » dans un danger si pressant, sans nous rendre coupables » d'une négligence très-criminelle dans l'administration » de la charge apostolique qui nous a été confiée. Il n'y a » ni incommodités, ni périls, ni tempêtes qui puissent » nous ébranler, car c'est à cela que nous avons été appelés, » et nous ne tenons pas notre vie plus chère que votre salut » et le nôtre. »

Au moment où ce bref devint public en France, l'assemblée du clergé de 1680 tenoit ses séances à SaintGermain-en-Laye; et tous les membres qui la composoient crurent devoir manifester hautement leur attachement à Louis XIV, ainsi que leur ferme détermination à défendre la majesté du trône, si le Pape se permettoit quelqu'entreprise contre les droits du Roi ou contre sa personne.

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<< Sire1, écrivoient à Louis XIV les évêques et les ecclésiastiques députés à cette assemblée, nous avons appris avec un extrême déplaisir que notre saint Père » le Pape a écrit un bref à Votre Majesté, par lequel >> non-seulement il l'exhorte de ne pas assujettir quel

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'Lettre de l'assemblée du clergé à Louis XIV, 10 juillet 1680.

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