Page images
PDF
EPUB

engagé à soutenir avec ardeur la doctrine du clergé de France.

Mais c'étoit du côté de Rome que se portoient toutes les inquiétudes de Bossuet. Quoique la lettre si sévère et même si dure d'Innocent XI à l'assemblée sur l'affaire de la régale dût faire présumer que la déclaration sur la puissance ecclésiastique le blesseroit encore plus vivement, Bossuet aimoit à se flatter que le Pape seroit assez bien conseillé pour concentrer son ressentiment dans le secret de ses pensées. Il se croyoit même fondé à présumer que la mesure qu'il avoit observée dans toutes les expressions des quatre articles, les mettoit à l'abri de toute censure; et que dans l'impossibilité de les condamner, Rome auroit au moins le bon esprit de ne pas en paroitre trop offensée.

XVI. L'assemblée de 1682 est séparée.

Louis XIV donna en cette occasion une nouvelle preuve de la modération de son caractère. Satisfait d'avoir terminé l'affaire de la régale de la manière la plus convenable à sa dignité et à l'esprit de la discipline ecclésiastique; rassuré par les maximes que son clergé venoit de proclamer, il ne voulut point que l'assemblée fit parvenir aux évêques la lettre que Bossuet avoit rédigée pour répondre indirectement au bref du 11 avril. Il crut plus conforme à ses sentiments pour le saint Siége, et même à la majesté royale, de mettre un terme à toutes ces discussions trop animées, dans lesquelles il est souvent difficile que la charité chrétienne ne soit pas un peu altérée, et dont le moindre des inconvénients est d'entretenir l'inquiétude des esprits, et d'offrir des prétextes à la malveillance. Il prit même la résolution de séparer l'assemblée, afin que les évêques et les ecclésiastiques qui en étoient membres pussent porter dans les provinces l'excellent esprit dont ils étoient animés. D'ailleurs cette mesure de sagesse et de prudence lui laissoit le temps et la liberté d'attendre les résultats de l'impression que pourroit faire sur l'es

prit du Pape l'admirable concert qui régnoit en France entre le gouvernement et tous les ordres de l'état. Les séances de l'assemblée furent interrompues depuis le 9 mai jusqu'au 23 juin; et le 25 juin l'assemblée entendit la lecture de la lettre du Roi qui prorogeoit indéfiniment sa session.

Louis XIV porta même les égards pour le saint Siége jusqu'aux attentions les plus recherchées. Il fit entendre qu'il ne jugeoit pas encore à propos qu'on rendit public et qu'on imprimât le procès-verbal de l'assemblée de 1682 *.

Innocent XI ne s'expliqua pas d'abord sur la Déclaration du clergé de France, et son silence permettoit de croire qu'il vouloit éviter de rompre ouvertement avec un roi et avec une Eglise qui méritoient tant d'égards de la part de la cour de Rome.

XVII. Disposition de la cour de Rome.

C'est ce qu'on croit entrevoir dans une lettre que Bossuet écrivoit à Rome le 13 juillet 1682. Il paroissoit même avoir une telle confiance aux dispositions de cette cour, qu'en envoyant au cardinal d'Estrées un projet de censure qu'il avoit rédigé contre la Morale reláchée, et que l'assemblée auroit adopté, si elle n'eût pas été tout-à-coup séparée par ordre du Roi, il se croyoit fondé à présumer que Rome devoit savoir gré au clergé de France de tous ses égards et de tous ses ménagements pour elle. Il ne doutoit même pas qu'Innocent XI ne saisît avec empressement cette nouvelle occasion d'illustrer son pontificat, en se rendant aux vœux de l'Eglise gallicane pour condamner dans

*Ce qu'il y eut de plus singulier, c'est que ce procès – verbal ne fut pas même déposé aux archives du clergé. M. de Harlay le retint comme président de l'assemblée; et à la mort de ce prélat en 1695, l'archevêque de Reims (Charles-Maurice Le Tellier) le réclama en qualité de plus ancien archevêque de France. Ce ne fut qu'à la mort de ce dernier (en 1710) que l'abbé de Louvois, son neveu, le rendit, et le fit déposer aux archives du clergé.

la forme la plus solennelle les honteux excès de quelques casuistes.

1

Bossuet dit dans cette lettre : « Une bulle 1 en forme >> comblera de gloire Innocent XI, et on verra par la >> manière dont elle sera reçue, que le clergé de France, » quoi qu'on puisse dire, sait bien rendre le vrai respect >> au saint Siége, et s'en fait honneur; et que si on se >> réserve quelque liberté dans des cas extraordinaires, » qu'on espère qui n'arriveront jamais, on sait bien re>> connoître quelle autorité il y a dans la chaire de >> saint Pierre, et qu'on veut l'élever aussi haut qu'elle » l'a jamais été par les plus grand papes est par les dé>> crets du saint Siége les plus forts. »

Mais ces heureuses espérances ne tardèrent pas à s'évanouir. On exagéra même les mauvaises dispositions du Pape pour la France. On répandit les bruits les plus sinistres, et on parut craindre de sa part quelques mesures extrêmes dont les suites auroient été incalculables. On peut juger de la peine et de l'inquiétude de Bossuet par la lettre suivante.

A Versailles, ce 28 octobre 1682 2.

« Je reviens, monsieur, d'un assez long voyage que » j'ai fait en Normandie, et la première chose que je >> fais en arrivant, avant même que d'entrer à Paris, où » je serai ce soir, c'est de répondre à votre dernière >> lettre.

>> Elle me fait une peinture de l'état présent de la >> cour de Rome qui me fait trembler. Quoi! Bellarmin >> y tient lieu de tout, et y fait tout seul toute la tradi» tion! Où en sommes-nous, si cela est, et si le Pape » va condamner ce que condamne cet auteur? Jus» qu'ici on n'a osé le faire; on n'a osé donner cette at>> teinte au concile de Constance, ni aux papes qui l'ont >> ›.approuvé. Que répondrons-nous aux hérétiques, quand ils nous objecteront ce concile et ses décrets

[ocr errors]

1 OEuvres de Bossuet, tom. x. pag. 673.

2 Lettre de Bossuet à M. Dirois, tom. x. pag. 673 et suiv.

» répétés à Bâle avec l'expresse approbation d'Eugène IV, » et toutes les autres choses que Rome a faites en con>> firmation! Si Eugène IV a bien fait en approuvant >> authentiquement ces décrets, comment pent-on les » attaquer? Et s'il a mal fait, où en étoit, diront-ils, » cette infaillibilité prétendue? Faudra-il sortir de ces » embarras, et se tirer de l'autorité de ces décrets, et » de tant d'autres décrets anciens et modernes, par des >> distinctions scholastiques et par les chicanes de Bel>> larmin? Faudra-t-il aussi dire avec lui et Baronius, » que les actes du sixième concile et les lettres de saint >> Léon sont falsifiés ? et l'Eglise, qui jusqu'ici a fermé » la bouche aux hérétiques par des raisons si solides, » n'aura-t-elle plus de défense que dans ces pitoyables >> tergiversations? Dieu nous en préserve! Ne cessez, » monsieur, de leur représenter à quoi ils s'engagent » et à quoi ils nous engagent tous. Je ne doute pas que » M. le cardinal d'Estrées ne parle en cette occasion » avec toute la force aussi bien qu'avec toute la capa» cité possible, et il a le salut de l'Eglise entre ses >> mains..... Je ne puis m'imaginer qu'un pape si zélé » pour la conversion des hérétiques et pour la réunion >> des schismatiques, y veuille mettre un obstacle éter»nel par une décision telle que celle dont on nous » menace. Dieu détournera ce coup, et pour peu qu'on >> ait de prudence, on ne se jettera pas dans cet incon>> vénient. >>

Ce qu'on auroit peine à croire, si cette lettre de Bossuet n'en offroit la preuve, c'est qu'on étoit encore à Rome frappé d'un tel aveuglement, qu'on imaginoit d'y ressusciter les vieilles prétentions des papes sur la souveraineté des rois, au lieu de les laisser ensevelies dans un oubli éternel. Cette seule pensée dans un tel siècle suffisoit pour justifier la convenance et la nécessité de la Déclaration du clergé de France.

« J'oubliois1, écrit Bossuet, l'un des articles princi>> paux, qui est celui de l'indépendance de la tempo1 Lettre de Bossuet à M. Dirois, tom. x. pag. 675.

>> ralité des rois. Il ne faut plus que condamner cet ar>>ticle, pour achever de tout perdre; quelle espérance >> peut-on jamais avoir de ramener les princes du » Nord, et de convertir les rois infidèles, s'ils ne peu>> vent se faire catholiques, sans se donner un maître >> qui puisse les déposséder quand il lui plaira? Cepen» dant je vois par votre lettre et par toutes les précé>> dentes, que c'est sur quoi Rome s'émeut le plus...............

>> On m'a dit que l'Inquisition avoit condamné le sens » favorable à cette indépendance, que quelques doc>>teurs de la faculté avoient donné au serment d'An>> gleterre. On perdra tout par ces hauteurs. Dieu >> veuille donner des bornes à ces excès.

>> Ce n'est pas par ces moyens, s'écrie Bossuet avec >> l'accent de son éloquence, qu'on rétablira l'autorité >> du saint Siége; personne ne souhaite plus que moi » de la voir grande et élevée : elle ne le fut jamais tant >> au fond que sous saint Léon et saint Grégoire, et les >> autres qui ne songeoient pas à une telle domination. » La force, la fermeté, la vigueur se trouvent dans >> ces grands papes; tout le monde étoit à genoux quand >> ils parloient; ils pouvoient tout dans l'Eglise, parce >> qu'ils mettoient la règle pour eux. Mais, selon que >> vous m'écrivez, je vois bien qu'il ne faut guère es» pérer cela accommodons-nous au temps, mais sans » blesser la vérité, et sans jeter encore de nouvelles >> entraves aux siècles futurs. La vérité est pour nous; >> Dieu est puissant, et il faut croire CONTRA SPEM IN >> SPEM, qu'il ne la laissera pas éteindre dans son >> Eglise. >>

:

C'étoit là le juste fondement des espérances de Bossuet; car, malgré toute son estime pour les vertus d'Innocent XI, il laissoit assez apercevoir dans le sein de la confiance et de l'amitié, son opinion sur un pontife plus recommandable par sa piété et son désintéressement que par l'étendue de ses lumières. « Une » bonne intention avec peu de lumières, écrivoit Bossuet 1 Du 30 octobre 1682, tom, x. p. 676.

« PreviousContinue »