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» à l'abbé de Rancé, c'est un grand mal dans de si hautes » places; prions, gémissons. »

Bossuet avoit observé une telle mesure dans la rédaction des quatre Articles, et avoit si solidement établi la primauté d'honneur et de juridiction que Jésus-Christ a attribuée à la chaire de Pierre, comme centre de l'unité catholique, qu'à Rome on eut l'indiscrétion de vouloir se servir de cet aveu pour consacrer toutes les autres prétentions ultramontaines. C'est à cette occasion que Bossuet fit cette belle réponse, qui est la plus belle leçon qu'on puisse jamais adresser aux évêques. « Je » l'ai bien prévu, mais à cela je n'ai autre chose à » dire, sinon que des évêques qui parlent doivent re» garder les siècles futurs aussi bien que le siècle pré» sent, et que leur force est à dire la vérité telle qu'ils >> l'entendent. >>

On trouve dans cette même lettre de Bossuet une observation remarquable. « On sait que le quatrième ar»ticle de 1682 exige le consentement de l'Eglise pour » rendre irréformable un jugement du pape en matière de » doctrine. » Plusieurs Théologiens éclairés, et même des gallicans zélés, tels que M. Dirois, avoient pensé que cet article pouvoit se concilier avec la doctrine des ultramontains. « J'ai peine à le concevoir, répond Bos» suet; nous n'avons pas eu ce dessein, quoique d'autre » part nous ayons bien vu que quoi qu'on enseignât en spé»culation, il ne faudroit toujours en pratique revenir à ne » mettre la dernière et irrévocable décision que dans le » consentement de l'Eglise universelle, à laquelle seule » nous attachons notre foi dans le symbole. » Et en effet, c'est toujours où en reviennent les ultramontains euxmêmes, lorsqu'ils sont forcés dans leurs derniers retranchements. L'infaillibilité du pape finit par ne plus être que celle de l'Eglise.

Heureusement les esprits se calmèrent à Rome, et la Providence détourna Innocent XI de la funeste penséc de censurer la doctrine du clergé de France. Il se borna à encourager et à récompenser, avec plus de générosité

que de jugement, les nombreux écrivains qui se dévouèrent à combattre l'assemblée de 1682.

Autant Bossuet avoit redouté quelque décision indiscrète de la cour de Rome, autant il s'applaudit de n'avoir à lutter que contre d'imprudents adversaires. C'étoit lui offrir l'occasion qu'il avoit recherchée lui-mème de confirmer la doctrine de l'Eglise de France par une suite de témoignages, d'autorités et de raisonnements qui devoit tôt ou tard rendre cette doctrine commune à toutes les églises de la catholicité; et c'est ce qui est résulté de sa belle Défense de la Déclaration du clergé de France1.

XVIII. Innocent XI refuse les bulles aux évêques nommés qui avoient été membres de l'assemblée de 1682.

Innocent XI, n'osant condamner les quatre Articles, voulut au moins satisfaire son mécontentement, en refusant des bulles aux ecclésiastiques qui avoient été membres de l'assemblée de 1682, et que le Roi avoit nommés à des évêchés; un pareil refus étoit non-seulement une contravention aux dispositions du concordat de François Ier et de Léon X; mais il n'offroit pas même un motif plausible. Il étoit de notoriété publique, et Innocent IX ne pouvoit pas l'ignorer, que les députés du second ordre à l'assemblée de 1682 n'y avoient point eu de voix délibérative, et n'avoient fait que souscrire au jugement des évêques leurs supérieurs dans l'ordre de la hiérarchie.

Louis XIV, blessé du refus du Pape, ne voulut pas à son tour que les autres ecclésiastiques nommés aux évêchés reçussent les bulles que Rome consentoit à leur accorder.

Les choses restèrent en cet état pendant tout le pontificat d'Innocent XI et celui d'Alexandre VIII. Quant à toutes les autres grâces, dispenses, provisions de bénéfices que la cour de Rome étoit en possession d'accor

1 Voyez les Pièces justificatives du livre sixième, sur la Défense des quatre articles.

der, on continua à les lui demander, et elle continua à les expédier.

Mais plus d'un tiers des évêchés de France étoient privés de pasteurs institués canoniquement. Il est certain que, sous un prince moins religieux que Louis XIV, l'inflexibilité d'Innocent XI et la conduite équivoque d'Alexandre VIII auroient pu avoir des suites funestes à la paix de l'Eglise.

Il arriva même sur la fin du pontificat d'Innocent XI, un incident où le Pape porta son ressentiment aussi loin qu'il pouvoit aller. Ce fut l'affaire des franchises, où Louis XIV eu le tort de soutenir avec trop de hauteur une prétention peu raisonnable; et Innocent XI, celui de compromettre inutilement l'autorité de l'Eglise en faisant usage des armes spirituelles dans une affaire purement politique.

Ce fut à cette occasion que M. Talon, avocat général au parlement de Paris, fit le 23 janvier 1688 ce réquisitoire si véhément et si connu, qui provoquoit les mesures les plus fortes et les plus décisives pour dispenser désormais l'Eglise de France de l'obligation que le concordat de Léon X et de François Ier lui avoit imposée de recourir à Rome pour l'institution canonique de ses évêques. M. Talon demandoit en même temps au nom du procureur - général, à être reçu appelant au futur concile général, « de toutes les procédures et jugements » que le Pape auroit pu faire ou pourroit faire et rendre » à l'avenir au préjudice de Sa Majesté, des droits de sa >>> couronne et de ses sujets.

>>

L'arrêt du Parlement de Paris, qui intervint le même jour (23 janvier 1688), ordonna « l'enregistrement de >> l'acte d'appel du procureur-général au futur concile... » et que le Roi seroit supplié d'ordonner la tenue des >> conciles provinciaux, ou même d'un concile natio>> nal, ou une assemblée de notables de son royaume, >> afin d'aviser aux moyens les plus convenables pour >> remédier aux désordres que la longue vacance de >> plusieurs archevêchés et évèchés y a introduits, et

» pour en prévenir le progrès et l'accroissement. >> Mais Louis XIV, satisfait d'avoir laissé apercevoir à la cour de Rome toute l'étendue des moyens qu'il avoit en son pouvoir, ne crut pas devoir faire usage des mesures que le parlement lui proposoit au sujet de l'institution canonique des évêques. Il voyoit le pape Innocent XI prêt à descendre au tombeau ; et il devoit se flatter de trouver dans ses successeurs un caractère plus conciliant et des dispositions plus pacifiques; l'événement justifia la sagesse et la prévoyance de ce prince.

Louis XIV porta même la modération jusqu'à ne permettre au procureur-général d'interjeter son appel au futur concile par un acte en forme, que plus de sept mois après l'arrêt du 23 janvier 1688. Le Roi avoit voulu épuiser auprès d'Innocent XI tous les moyens de douceur, avant d'avoir recours à cette mesure extraordinaire. On observe la répugnance extrême qu'il eut à l'adopter, jusque dans les dispositions mêmes de l'acte d'appel 1. « Le procureur - général y déclaroit, >> au nom et suivant le commandement exprès qu'il en >> avoit reçu du Roi, que son intention étoit de de» meurer toujours inviolablement attaché au saint » Siége, comme au centre véritable de l'unité de l'Eglise, d'en conserver les droits, l'autorité et les préé>> minences, avec le même zèle que Sa Majesté a fait en >> tant d'occasions importantes; de lui rendre elle» même, et de lui faire rendre par tous ses sujets le » respect, la déférence et la soumission qui lui sont dus. >>

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Cet acte d'appel fut relevé à l'officialité de Paris, le 27 septembre suivant, et l'official, en donnant les lettres usitées en pareil cas, déclara les accorder, « autant » qu'il le pouvoit faire par son respect pour l'Eglise » universelle représentée par un concile général, et en >> considération de ce que ledit appel regardoit les droits >> du Roi, les libertés de l'Eglise gallicane, et le repos » du royaume. »

Le Roi ne voulut pas même que cet acte fût rendu En date du 20 septembre 1688.

public avant de l'avoir fait communiquer aux évêques qui se trouvoient alors à Paris. Ils se réunirent à l'archevêché par son ordre, le 30 septembre (1688), au nombre de vingt-six; l'archevêque de Paris (de Harlay) se borna dans cette assemblée à leur faire donner lecture de la lettre du Roi au cardinal d'Estrées, en date du 6 septembre (1688), à l'occasion des affaires présentes et de l'acte d'appel du procureur-général au futur concile. Il leur dit en même temps « que le Roi » étoit persuadé que, connoissant parfaitement eux» mêmes la différence qu'il y a entre un démèlé de >> religion et une guerre temporelle, ils sauroient lever >> les alarmes des personnes les plus scrupuleuses, et >> dissiper les effets de la malignité de ceux qui seroient » les plus malintentionnés contre son service et le re» pos de l'état. »

Les évêques assemblés se bornèrent de leur côté à prier l'archevêque de Paris de remercier très-humblement Sa Majesté de l'honneur qu'elle leur avoit fait en leur donnant communication de ces actes, et à exprimer « qu'ils ne pouvoient mieux répondre à cette fa>> veur qu'en formant des vœux pour qu'il plût à Dieu » d'inspirer au Pape dans cette occasion des sentiments >> de paix, et qu'en offrant au roi leurs actions de grâces >> et les applaudissements les plus respectueux à la sage >> conduite de Sa Majesté. »

Nous avons été étonnés de n'avoir point trouvé le nom de Bossuet parmi les membres de cette assemblée. Il est vraisemblable qu'il étoit alors dans son diocèse, et que l'objet de la réunion des évêques devant se borner à entendre la lecture de deux actes destinés à devenir publics, on crut inutile de détourner Bossuet des soins qui l'occupoient.

XIX.- Suites de ce refus.

Mais ce qui nous a encore plus frappé, c'est de n'avoir trouvé, ni dans les ouvrages imprimés de Bossuet, ni dans ses manuscrits, ni même dans les papiers de

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