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Le discours des Paranymphes étoit toujours terminé par une pièce de vers latins sur des sujets moins graves, et dans lesquels il étoit même permis de se livrer à quelques légères et innocentes plaisanteries sur les défauts et les ridicules de ses compagnons d'études.

L'objet de cette institution étoit d'entretenir les jeunes étudiants en théologie dans le goût de la bonne et ancienne littérature, en ramenant leur imagination encore jeune et sensible à l'étude des auteurs classiques de Rome et d'Athènes, par la lecture des chefs-d'œuvre des Grecs et des Latins. La connoissance de ces deux langues étoit alors généralement répandue; il eût été honteux, non-seulement pour des ecclésiastiques, mais même pour des magistrats, de ne pouvoir pas s'énoncer facilement en latin, aussitôt que quelque circonstance imprévue l'exigeoit. De là venoit cette heureuse habitude qui nous étonne tant aujourd'hui, et qui étoit alors si commune, de parler et d'écrire en latin avec autant d'élégance et de facilité que dans sa langue naturelle. Cet avantage précieux résultoit en grande partie des fortes études auxquelles la jeunesse étoit alors assujettie, de la discipline sévère qui présidoit à l'éducation publique, et de la vie sérieuse et solitaire que menoient les maîtres et les disciples. On doit convenir en même temps que la disette presque absolue de bons écrivains dans la langue françoise contribuoit à entretenir ce goût universel pour la langue latine. C'étoit la seule langue commune à tous les savants de l'Europe, et la seule dont ils fissent usage dans leurs ouvrages et leurs écrits, de quelque genre qu'ils pussent être.

Bossuet se distingua parmi ses émules, par les discours et les vers latins qu'il étoit ordinairement chargé de prononcer dans ces solennités littéraires. Nos manuscrits rapportent qu'à l'époque de sa mort, il existoit plusieurs contemporains de ces premiers essais de sa jeunesse, et des applaudissements qu'ils avoient reçus. On doit bien penser qu'il s'étoit peu occupé de les con

server; et il faut convenir qu'on doit peu les regretter, lorsqu'on jouit de l'immense collection qu'il nous a laissée d'ouvrages bien plus importants et bien plus utiles à la religion.

XXIII.-Bossuet obtient la seconde place de sa licence. 1652.

On sera sans doute étonné qu'avec une supériorité aussi marquée sur tous ses concurrents, Bossuet n'ait obtenu que la seconde place dans sa licence. Ce fut le célèbre abbé de Rancé qui eut la première. L'abbé de Rancé avoit des talents généralement reconnus, et des connoissances théologiques assez étendues. Il appartenoit à une famille puissante et accréditée; et la forme dans laquelle tous les docteurs de la faculté concouroient alors à la distribution des rangs, offroit des abus qui devenoient des facilités pour surprendre les suffrages. Il avoit d'ailleurs des qualités qui servent souvent à séduire la bienveillance, ou à subjuguer l'opinion. Et en effet, les deux parties les plus remarquables de la vie de l'abbé de Rancé montrent assez que s'il avoit dans l'imagination cette effervescence qui égara sa jeunesse, il portoit aussi dans le caractère et dans la conduite cette force et cette suite qui commandent aux esprits et aux volontés.

'XXIV. De l'abbé de Rancé.

Bossuet et l'abbé de Rancé étoient faits pour s'aimer et s'estimer malgré le contraste de leurs goûts et de leurs mœurs. Cette noble concurrence, dans le début de leur carrière, devint même dans la suite le fondement d'une liaison et d'une confiance, dont nous aurons à rapporter de nombreux témoignages dans le cours de cette histoire.

Cependant ils se perdirent entièrement de vue au sortir de leurs études. L'abbé de Rancé, livré à toutes les séductions du monde, se précipita dans un genre de vie peu conforme à la sainteté de son état, et que dégradoit en quelque sorte le triomphe qu'il avoit obtenu sur son

illustre émule. Il étoit difficile que Bossuet, resté toujours fidèle aux devoirs et à la dignité de sa profession, pût se rencontrer avec l'abbé de Rancé dans les mèmes sociétés.

Mais, par une disposition singulière de la Providence, Bossuet, qui avoit passé sa vie dans l'étude et la retraite, fut tout-à-coup transporté dans la cour la plus brillante de l'Europe, tandis que l'on voyoit l'abbé de Rancé expier sous la haire et le cilice les erreurs de sa jeunesse. Quelques divisions intérieures menaçoient alors de troubler la paix des déserts de la Trappe, et Bossuet n'attendit pas les sollicitations de son ancien ami pour porter Louis XIV à lui accorder son appui. Alors se renouèrent entre eux les liens qui les avoient unis dans leur jeunesse ; et nous verrons plus d'une fois Bossuet s'arracher à la Cour, au monde, à la gloire même de ses nobles travaux, pour aller se recueillir dans le silence de la solitude de la Trappe, et y contempler le pouvoir de la religion sur des cœurs brisés par le remords, ou enflammés par la plus sublime vertu.

XXV.- Bossuet reçoit le bonnet de docteur. 1652.

Bossuet reçut le bonnet de docteur le 18 mai 1652. Ce ne fut point une vaine cérémonie pour un homme tel que lui. Il se prépara à cette action, comme à l'une des plus importantes de sa vie. Il la regarda comme l'acte d'un dévouement entier et absolu à la défense de la religion et de la vérité. Il falloit qu'il fût bien pénétré du sentiment profond qu'il y avoit apporté, puisque, plus de cinquante ans après, il se rappeloit encore les propres paroles qu'il adressa au chancelier de l'université, en recevant, au pied de l'autel des Martyrs, la bénédiction et les pouvoirs apostoliques,

On doit à l'abbé Ledieu de nous avoir conservé cette belle déclaration de Bossuet. Devenu son secrétaire et son aumônier, il s'occupoit avec un soin religieux à recueillir tous les traits et toutes les paroles qui avoient

illustré une vie si glorieuse. Un jour, au mois d'août 1703, quelques mois seulement avant la mort de ce grand homme, et plus de cinquante et un ans après l'action dont nous venons de rendre compte, l'abbé Ledieu déploroit, en sa présence, la négligence qu'il avoit mise à conserver les premières compositions de sa jeunesse, telles que ses discours latins au collége de Navarre, sa harangue au grand Condé, et surtout son discours au chancelier de l'université. L'abbé Ledieu fut saisi de plaisir et d'admiration, en entendant tout-àcoup Bossuet prononcer du ton le plus ferme, sans aucune hésitation, en se promenant dans sa chambre, ce même discours, dont il n'avoit jamais conservé de copie.

« Ibo*, te duce, lætus ad sanctas illas aras, testes fidei » doctoralis, quæ majores nostros toties audierunt ; ibi » exiges à me pulcherrimum illud sanctissimumque jusju» randum, quo caput hoc meum adducam neci propter » Christum, meque integrum devovebo veritati. O vocem, » non jam doctoris, sed martyris! nisi fortè ea est con» venientia doctoris, quò magis martyrem decet. Quid » enim doctor, nisi testis veritatis? Quamobrem, 6 summa » paterno in sinu concepta Veritas, quæ elapsa in terras » te ipsam nobis in Scripturis tradidisti, tibi nos totos » obstringimus, tibi dedicatum imus, quidquid in nobis »spirat; intellecturi posthac quàm nihil debeant sudori» bus parcere quos etiam sanguinis prodigos esse oporteat. » Sans doute le sentiment vrai et passionné qui avoit

« J'irai, sous votre conduite, et plein de la plus vive joie, à ces » saints autels, témoins de la foi doctorale si souvent jurée par nos » saints prédécesseurs. Là, vous m'imposerez ce noble et sacré ser>>ment qui dévouera ma tête à la mort pour le Christ et toute ma vie à » la vérité. O serment! non plus d'un docteur, mais d'un martyr, si » pourtant il n'appartient d'autant plus à un docteur qu'il convient » plus à un martyr. Qu'est en effet un docteur, sinon un intrépide té» moin de la vérité? Ainsi, ô Vérité suprême conçue dans le sein pa>> ternel d'un Dieu, et descendue sur la terre pour se donner à nous » dans ses saintes Ecritures, nous nous enchainons tout entiers à » vous, nous vous consacrons tout ce qui respire en nous. Et com>>ment lui refuserions-nous nos sueurs, nous qui venons de jurer de » lui prodiguer notre sang! »

inspiré ce serment à Bossuet dans sa jeunesse, et la conscience d'y avoir été fidèle depuis plus d'un demisiècle, l'avoit profondément gravé dans son cœur et dans sa mémoire. L'abbé Ledieu lui demanda la permission de conserver ces belles paroles; il voulut bien y consentir; il porta même la complaisance jusqu'à les répéter, pour que son secrétaire pût les écrire sous sa dictée.

XXVI. Bossuet est nommé archidiacre de Metz. 1652.

Au moment où Bossuet venoit d'achever son cours de licence, le 24 janvier 1652, il fut nommé archidiacre de l'Eglise de Metz, sous le titre d'archidiacre de Sarrebourg. Environ deux ans après, il fut nommé grand archidiacre de la même Eglise, s'élevant ainsi par degrés, sans brigues, sans sollicitations, par le seul ascendant d'un mérite supérieur à son âge.

Il dut la première de ces deux dignités au duc de Verneuil, fils naturel d'Henri IV, évêque titulaire de Metz, et qui exerçoit la juridiction épiscopale, en vertu d'une dispense du pape, quoiqu'il ne fût point engagé dans les ordres sacrés.

Le grand archidiaconé lui fut conféré par l'abbé de Coursan, qui administroit le diocèse au nom du cardinal Mazarin, devenu évêque titulaire de Metz.

XXVII. Bossuet reçoit la prêtrise. 1652.

Bossuet reçut la prêtrise au carême de 1652; et, pour s'y disposer saintement, il fit sa retraite à Saint-Lazare, sous la direction de saint Vincent de Paul.

Convaincu que toutes les cérémonies de la religion portent un caractère de sainteté et de dignité par l'objet de leur institution, il s'attacha à les connoître et à les étudier avec une attention scrupuleuse; et il les observa toujours avec une fidélité inviolable. Ce n'est pas qu'il voulût jamais affecter en aucun genre des recherches minutieuses; mais il savoit que les formes extérieures sont la sauvegarde de cet esprit intérieur qui

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