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Bossuet venoit de finir ses études théologiques avec un éclat qui rappeloit tous les succès les plus brillants du même genre. Sa réputation n'étoit pas restée enfermée dans l'enceinte des écoles; différentes circonstances avoient contribué à la répandre dans les sociétés les plus distinguées de Paris. Le monde alloit s'ouvrir devant lui; sa destinée, sa gloire pouvoient dépendre du genre de vie qu'il alloit embrasser, et de la direction qu'il sauroit donner à l'emploi de ses talents.

S'il n'eût pas été porté par ses principes, autant que par son caractère, à dédaigner ces vains succès de société, qui séduisent si souvent la jeunesse, peu de personnes auroient été aussi fondées que Bossuet à se prévaloir de tous les dons de l'esprit, et de tous les avantages dont la nature l'avoit orné. Elle l'avoit doué de la figure la plus noble; le feu de son esprit brilloit dans ses regards; les traits de son génie perçoient dans tous ses discours. Il suffit de considérer le portrait de Bossuet, peint dans sa vieillesse par le célèbre Rigaud, pour se faire une idée de ce qu'il avoit dû être dans sa jeunesse.

Le marquis de Feuquières, en le faisant connoître à l'hôtel de Rambouillet et de Nevers, l'avoit lié avec tous les beaux esprits de son temps. Costar, Voiture, Godeau, personnages alors fameux, et qui dictoient à l'opinion publique les jugements qu'elle devoit porter, s'honoroient eux-mêmes de leurs relations avec le jeune Bossuet. Ses talents s'étoient déjà montrés avec éclat; il étoit désiré et recherché par tous ceux qui s'étoient établis les juges des prétentions à la gloire, et les dispensateurs de la renommée.

D'ailleurs Bossuet n'avoit besoin de faire aucun pas vers la fortune. Il se trouvoit assez naturellement à portée d'obtenir des grâces, si l'élévation de son caractère et de ses pensées avoit pu se concilier avec le sentiment d'une ambition vulgaire et commune. Le ma

réchal et la maréchale de Schomberg, qui s'étoient attachés à lui pendant son séjour à Metz, en parloient sans cesse à la cour, et le témoignage de deux personnes si généralement respectées suffisoit pour disposer la reine en sa faveur.

Il avoit aussi dans sa famille un puissant appui; et quoique François Bossuet, son proche parent, n'eût pas à la cour une de ces places éclatantes qui approchent de la personne du souverain, sa charge de secrétaire du conseil des finances lui donnoit des moyens de crédit souvent plus actifs et plus utiles que des recommandations imposantes. On peut juger de l'importance que cette charge avoit alors, par le prix de son acquisition. François Bossuet l'avoit achetée quatorze cent mille francs; sa fortune étoit de quatre millions. Aussi François Bossuet avoit à Paris une réputation convenable à sa fortune. Sa femme recevoit chez elle tout ce que la cour avoit de plus distingué par le rang et la naissance. Ses deux filles *, dont l'une fut depuis la marquise de Fercourt, et l'autre la comtesse de Pont Chavigny, passoient pour les deux plus grands partis de Paris; on vantoit leur esprit, leur mérite, leurs manières nobles et élégantes. On voyoit habituellement chez elles, et dans toute l'intimité de l'amitié, la marquise de Senecey, dame d'honneur de la reine, nièce du cardinal de la Rochefoucauld, et héritière de la maison de Randan. Henri de Beaufremont, marquis de Senecey, son mari, avoit présidé l'ordre de la noblesse aux états-généraux de 1614. La marquise de Senecey étoit devenue gouvernante des enfants de France, et sa fille, la comtesse de Fleiz, avoit été reçue en survivance de sa mère pour la charge de dame d'honneur de la reine. La mère et la fille étoient très-zélées pour les intérêts de la religion; et, en voyant habituellement Bossuet chez ses parents, elles conçurent la pensée de le fixer à Paris et à la cour.

* François Bossuet avoit perdu un fils, le seul qu'il eût eu de son mariage.

Ainsi, de quelque côté qu'il portàt ses regards, il ne voyoit devant lui qu'un chemin facile pour arriver, sans peine et sans effort, à cette existence douce et agréable, qui n'exige ni un travail forcé, ni un genre de vie trop pénible, et qui, sans donner la gloire, n'exclut pas toujours la considération.

Que de moyens de séduction pour un jeune ambitieux, si Bossuet eût été ambitieux; ou pour un caractère foible et facile, si Bossuet n'avoit pas eu cette âme forte, ces mœurs graves et antiques dont il existoit encore quelques grands modèles? A cet âge, où tout est illusion et ivresse; à cet âge, où le monde venoit s'ofrir à lui sous les formes les plus attirantes, on vit avec étonnement Bossuet se séparer du monde, pour aller remplir à Metz les fonctions qui l'attachoient à l'église de cette ville.

Mais peu s'en fallut qu'un autre genre de séduction, contre lequel rien n'avoit dû armer ses principes et son caractère, ne changeât la résolution qu'il avoit prise. XXX.. Bossuet refuse la place de grand maître de Navarre.

Le docteur Cornet, qui étoit rentré dans la place de grand maître de Navarre, jeta les yeux sur Bossuet pour l'exécution d'un projet qui l'occupoit tout entier. Ce respectable ecclésiastique pressentoit que son âge déjà assez avancé et sa santé affoiblie par de longs et pénibles travaux, ne lui permettroient pas de suivre l'exécution du dessein qu'il avoit conçu; il vouloit au moins en poser les fondements, et avoir, en mourant, la consolation de réserver à Bossuet la gloire d'achever cette entreprise. Le docteur Cornet avoit inspiré au cardinal Mazarin la noble ambition de faire pour le collége de Navarre ce que le cardinal de Richelieu avoit fait pour celui de Sorbonne. Mazarin étoit supérieur de la maison de Navarre, et ce titre l'invitoit à se montrer aussi magnifique que son prédécesseur. D'ailleurs le collége de Navarre étoit le premier et le plus ancien de l'université de Paris; il devoit sa fondation à la bien

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faisance éclairée d'une reine protectrice des sciences et des lettres, dans un siècle encore ignorant et barbare. Philippe le Bel, et tous les rois ses successeurs, avoient pris ce collége sous leur protection immédiate, et le cardinal Mazarin, en devenant le restaurateur de cet antique établissement, s'associoit en quelque sorte à la gloire et à la magnificence des rois, et plaçoit son nom à leur suite parmi les protecteurs des lettres et les bienfaiteurs de la nation. Il avoit sous les yeux l'exemple encore récent du cardinal de Richelieu, qui avoit attaché son nom à la restauration de la Sorbonne et à l'institution de l'Académie française. Toute l'histoire dépose, en effet, que les monuments consacrés à la religion, aux sciences et aux lettres, sont les garants les plus certains et les plus durables de la mémoire des hommes. Les honneurs, les titres et les richesses, que tant de ministres ont accumulés dans leurs familles, se sont évanouis avec leurs familles; les institutions immortelles donnent seules l'immortalité. D'ailleurs la fortune immense du cardinal Mazarin lui permettoit d'accorder beaucoup à la vanité de son nom, et d'obéir en même temps à une inspiration plus noble. Aussi s'empara-t-il avec ardeur de l'idée du docteur Cornet, et il l'autorisa à lui présenter tous les plans relatifs à la restauration du collége de Navarre.

Le grand maître s'empressa de communiquer à Bossuet ses vues, ses espérances, et les engagements du cardinal ministre. Il le conjura, avec les plus tendres instances, d'accepter le titre de grand maître de Navarre, dont il étoit prêt à se démettre en sa faveur."

Quelque spécieuses que fussent toutes les considérations que lui présenta le docteur Cornet, elles ne sé

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Jeaune,

reine de Navarre, épouse de Philippe le Bel.

"La première pierre du collège de Sorbonne fut posée le 4 juin 1629, et celle du portail de l'église au mois de mai 1635. Le cardinal de Richelieu dépensa plus de deux millions en monnoie d'alors, à la construction de ce magnifique établissement. Voyez Richard, Parallèle de Ximenes et de Richelieu..

duisirent point Bossuet. La Providence l'avoit déjà attaché à l'église de Metz, et il crut qu'elle ne lui permettoit pas de rompre les nœuds qu'elle avoit ellemême formés. La voix du sang parloit aussi à son cœur, et il ne put consentir à se séparer pour toujours d'un père auprès duquel cette même Providence sembloit l'avoir placé pour soigner ses derniers jours, et entretenir dans son âme les sentiments religieux qui l'occupoient toute entière.

Le docteur Cornet, découragé et affligé du refus de Bossuet, ne mit plus autant d'empressement à cultiver les favorables dispositions du cardinal Mazarin. Mais il paroît que ce fut cette première idée qui inspira dans la suite à ce ministre le dessein de fonder le collége de Mazarin, également connu sous celui des Quatre-Nations. Il porta même dans cet établissement des vues de sagesse et de politique qui honorent son caractère et lui méritent la reconnoissance de la France. Il affecta les places gratuites de cette fondation aux familles des quatre provinces que le traité des Pyrénées venoit de réunir à la France. Il s'étoit proposé, par ce bienfait, de les attacher à la nouvelle patrie et au nouveau maître que le sort des armes venoit de leur donner. Ce fut en vertu de ces dispositions qu'il consigna dans son testament, et avec le secours des fonds considérables qu'il y avoit destinés, que ses héritiers élevèrent ce magnifique établissement, qui a honoré le nom du cardinal Mazarin aux yeux de la postérité, par les grands avantages que l'éducation publique en a recueillis pendant plus d'un siècle.

XXXI. Bossuet s'établit à Metz.

Bossuet se rendit donc à Metz, pour y exercer ses fonctions d'archidiacre et de chanoine. Il s'attacha à en remplir tous les devoirs avec autant de modestie que d'assiduité. Il assistoit à tous les offices avec une exactitude et une régularité à laquelle il ne se permettoit jamais de déroger, sous le prétexte spécieux d'étude et

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