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de travaux plus importants. Il y apportoit cette attention et cette espèce de scrupule qui montroit jusqu'à quel point il étoit convaincu que tout est grand, que tout est noble dans l'exercice du culte public.

Les manuscrits dont nous empruntons ces détails ', n'ont pas négligé de rapporter que Bossuet avoit la voix douce, sonore, flexible, mais en même temps mâle et imposante; qu'autant il étoit soigneux à éviter dans les chants de l'Eglise toute affectation, et toute prétention à se faire remarquer, autant il étoit attentif à donner à sa voix cet accent grave et soutenu qui inspire au peuple le respect et le recueillement.

XXXII. Etudes de Bossuet à Metz.

Pendant une résidence consécutive de six années à Metz, Bossuet ne sortoit de l'église que pour aller se renfermer dans son cabinet, s'y nourrir de l'étude des livres sacrés, et se livrer à ses recherches immenses sur la tradition, qui lui ont fourni des armes si puissantes pour combattre tous les genres d'erreurs. Il rejetoit toutes les études frivoles ou agréables qui étoient étrangères à son état.

Si Bossuet a montré dans tous ses ouvrages qu'il étoit aussi profondément versé dans l'histoire profane que dans l'histoire sacrée, il est facile d'observer qu'il s'étoit attaché à considérer la première sous un point de vue qui lui appartient d'une manière particulière. Toutes les révolutions du monde politique n'étoient à ses yeux que l'enchaînement des événements préparés par la Providence pour l'établissement de la religion et l'instruction du genre humain.

Dès sa jeunesse, dans tous ses entretiens avec ses amis, il ne cessoit d'insister sur les avantages et les consolations que l'on trouve dans la méditation des livres sacrés, qui offrent aux hommes de toutes les conditions les leçons les plus utiles pour la vie publique et privée. Il répétoit souvent ces paroles de saint Jérôme à

Mts. de Ledieu.

Népotien Que ce divin livre ne sorte jamais de vos

mains.

Celui qui nous a conservé ces détails, et qui a vécu vingt ans avec lui 1, rapporte qu'il ne se passoit pas un seul jour sans que Bossuet ne chargeât les marges de sa Bible de quelque note abrégée sur la doctrine ou sur la morale quoiqu'il en sût par cœur presque tout le texte, il la lisoit et lá relisoit sans cesse, et il y trouvoit toujours de nouveaux sujets d'instruction.

C'étoit le nouveau Testament qui étoit l'objet le plus habituel de ses méditations. Il le regardoit comme la source de toute piété et de toute doctrine. Il y trouvoit un fonds inépuisable de réflexions sur le caractère et la personne de Jésus-Christ, sur ses discours et ses paraboles, sur toutes les circonstances de sa vie et de sa mort, sur le caractère et la personne des apôtres, sur leur foi, leur zèle, l'autorité de leur témoignage. Rien ne lui échappoit, il ne négligeoit pas les plus petites circonstances, et il écrivoit toutes ses réflexions aussitôt qu'elles s'offroient à son esprit en lisant le texte sacré.

Quand il avoit à traiter quelque point de doctrine, il reprenoit son nouveau Testament, et il le lisoit avec une attention aussi forte, que s'il ne l'avoit jamais ouvert. Mais c'étoit moins une lecture qu'une méditation, pour s'imprimer profondément dans l'esprit les vérités qu'il vouloit établir ou éclaircir.

Pendant la messe, ou en voyage, on observoit qu'il avoit toujours l'Evangile à la main, plus souvent fermé qu'ouvert, et qu'il étoit absorbé dans ses réflexions. Aussitôt qu'il étoit rentré dans son cabinet, on le voyoit prendre la plume, et écrire rapidement les discours et les instructions qu'il avoit puisés dans cette profonde méditation.

Lors même qu'il ne se proposoit pas de composer un ouvrage, sa vie étoit, comme celle de saint Augustin, une méditation continuelle de la parole de Dieu. Mais cette espèce de contemplation n'étoit jamais vague,

'L'abbé Ledieu.

oisive, ni stérile. Elle avoit toujours un objet déterminé, qui devoit produire un effet certain dans une occasion ou dans une autre. Tous les ouvrages qu'il a publiés pendant sa longue carrière, et tous ceux qui n'ont vu le jour qu'après sa mort, en offrent la preuve. Nous avons sous les yeux une multitude infinie de notes écrites de sa main, qui ne sont que des textes de l'Ecriture ou des saints Pères, qu'il prévoyoit devoir employer, pour confirmer quelque vérité, ou pour réfuter quelque erreur.

L'étude de l'Ecriture sainte étoit en même temps pour Bossuet une prière continuelle, parce qu'elle le ramenoit toujours à celui qui en avoit inspiré les auteurs. Il s'y attachoit avec une telle passion, qu'il ne pouvoit s'en arracher qu'avec une espèce de violence, pour s'occuper d'affaires ou de devoirs de société. Jamais il ne faisoit un voyage, dût-il n'être que d'une heure ou deux, sans faire mettre dans sa voiture son nouveau Testament avec son bréviaire. Ce fut dans la suite une règle établie dans toutes ses maisons, à la cour, à Paris, à la campagne, de trouver toujours sur son bureau une Bible et une Concordance; il ne pouvoit s'en passer « Je ne pourrois vivre sans cela, » disoit-il.

Bossuet apporta la même ardeur et la même assiduité à l'étude des saints Pères.

Il étudioit dans saint Chrysostome les heureuses interprétations que ce Père de l'Eglise avoit faites de l'Ecriture, pour les appliquer à l'éloquence de la chaire. Il cherchoit à se familiariser avec sa noble et douce élocu→ tion, et il le regardoit comme le plus grand prédicateur de l'Eglise.

La profonde érudition d'Origène, la noblesse de son style, le caractère de candeur qu'il montre dans tous ses écrits, avoient un grand charme' pour Bossuet. On voit, dit l'abbé Ledieu, qu'il a cherché à l'imiter dans son Commentaire sur le Cantique des cantiques. On pourroit croire que saint Chrysostome et Origène furent les deux modèles que Bossuet se proposa pour l'éloquence

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de la chaire, s'il n'étoit pas encore plus vrai de dire que Bossuet n'a eu aucun modèle, et n'aura peut-être jamais aucun imitateur.

Mais saint Augustin fut celui de tous les Pères de l'Eglise dont il fit l'étude la plus assidue, pour apprendre, disoit-il, les principes de la religion. Il s'étoit tellement pénétré de ses ouvrages, qu'à force d'en faire des extraits il avoit mis, pour ainsi dire, en morceaux saint Augustin tout entier. Tantôt c'étoit dans la vue d'en saisir et d'en exposer les principes théologiques; tantôt c'étoit pour tracer des plans raisonnés de ses sermons, et pour en faire ressortir les divisions et les preuves. Il avoit une édition in-8° des Commentaires de saint Augustin sur les Psaumes, de sa Cité de Dieu et de ses écrits contre les pélagiens. Le texte et les marges de cette édition étoient couverts de ses notes. Cette édition, d'une forme portative, le suivoit partout, et il la consultoit à chaque instant. Mais dans la suite il en eut dans chacune de ses maisons une édition complète. Celle de Gryphe, de Lyon, restoit à Paris : c'étoit la première qu'il avoit lue, et elle étoit toute remplie de remarques de sa main. La belle édition des Bénédictins. étoit pour son usage à Meaux; il la préféroit à toutes les autres, et elle étoit chargée de marques au crayon., Bossuet étoit si rempli de l'esprit de saint Augustin, et si attaché à ses principes, qu'il n'établissoit aucun point de doctrine, qu'il ne faisoit aucune instruction, qu'il ne répondoit à aucune difficulté que par saint Augustin; il y trouvoit tout pour la défense de la foi et pour la pureté de la morale. Quand il avoit à monter en chaire, il ne demandoit que la Bible et saint Augustin. Quand il avoit une erreur à combattre, une règle de doctrine à consacrer, il lisoit saint Augustin; on le voyoit parcourir rapidement ceux de ses ouvrages qu'il jugeoit devoir être propres à son sujet : il y trouvoit d'un coup d'œil tout ce qu'il cherchoit, marqué d'avance par un trait de crayon aux marges, qui lui rappeloit sur-le-champ toutes les réflexions qu'une longue

étude de ce Père de l'Eglise avoit suggérées à son esprit.

Ce n'étoit pas seulement les principes de saint Augustin dont Bossuet avoit voulu se pénétrer, c'étoit encore ses règles de conduite envers ceux dont il avoit combattu les erreurs. Car, à l'exemple de ce saint docteur, le vœu le plus cher de Bossuet étoit de disposer les cœurs à la paix et à la soumission, après avoir triomphé des erreurs de l'esprit. C'est ce qui se fait surtout remarquer dans ses deux Instructions sur les promesses faites à l'Eglise, où il ramène constamment la conduite de saint Augustin avec les pélagiens et les donatistes.

Il s'étoit fait une telle habitude de saint Augustin, de son style, de ses principes, de ses paroles mêmes, qu'il parvint à rétablir une lacune de huit lignes dans le sermon deux cent quatre-vingt dix-neuvième de l'édition des Bénédictins.

Ce fut également sur les conseils et les inspirations de Bossuet, que Mabillon rédigea la belle Préface qu'il a placée, en 1700, à la tête du dernier tome des ouvrages de saint Augustin. Ce savant bénédictin, bien convaincu que personne n'étoit plus pénétré que Bossuet de la véritable doctrine de ce Père de l'Eglise, se fit un devoir de lui soumettre le plan de son travail, et de se conformer à la marche qu'il lui traça. Il étoit d'autant plus important que cette préface n'offrit pas la plus légère prise à la censure, qu'elle devoit en quelque sorte servir de réponse aux accusations que l'on avoit portées contre quelques notes des premiers éditeurs

*L'abbé Ledieu rapporte une anecdote qui montre jusqu'à quel point Bossuet étoit admirateur de saint Augustin: en 1689, il voulut célébrer l'office pontifical le jour de la fête de ce saint, dans l'église des chanoinesses de Notre-Dame de Meaux. Pour donner plus de pompe à cette solennité, il prononça lui-même son panégyrique. Il se renferma dans ces deux propositions: Ce que la grâce a fait pour saint Augustin, et ce que saint Augustin a fait pour la grace. Mais son éloquence et l'abondance de ses idées l'entrainèrent si loin, qu'en une hcure et demie il ne put développer que la première proposition.

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