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nouveau ministère. Toutes les études qu'il avoit faites jusqu'alors, sembloient avoir été dirigées vers cet objet, et il n'avoit qu'à répandre tous les trésors de science qu'il avoit acquis depuis dix ans.

Indépendamment de ce fonds immense, la nature aidée de la réflexion et de l'exercice, lui avoit donné cette puissante et invincible dialectique à laquelle il a dû l'ascendant qu'on l'a vu exercer pendant cinquante ans dans tous les combats qu'il a eus à soutenir. Son élocution noble, facile et abondante, le laissoit toujours le maître d'employer les expressions les plus propres à son sujet, sans paroître jamais les chercher, ni y attacher du prix. En un mot le plus heureux accord de tous les avantages naturels et de tous les fruits d'un génie cultivé, sembloit présager ses glorieuses destinées.

Bossuet s'étoit pénétré des sentiments de saint Augustin comme de sa doctrine. Il avoit appris à son école qu'on ne doit jamais ni craindre ni regretter de montrer trop de douceur à ceux qu'on veut persuader et convaincre. A cette maxime générale, conforme à l'esprit du christianisme, il ajoutoit une considération fondée sur la connoissance du cœur humain : « C'étoit » déjà, disoit-il, une assez grande peine aux gens, que » de leur montrer qu'ils ont tort, surtout en matière de » religion. »

Telles étoient les relations de Bossuet avec Paul Ferry, lorsque ce ministre publia un Catéchisme, où il se proposoit de démontrer:

1o Que la réformation avoit été nécessaire ;

2° Qu'encore qu'avant la réformation on pút se sauver dans l'Eglise romaine, on ne le pouvoit plus depuis la réformation.

La question, présentée sous ce point de vue général, offroit un grand intérêt, et étoit digne d'attirer également l'attention des catholiques et des protestants.

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XXXV. Réfutation du Catéchisme de Paul Ferry. : Bossuet prit aussitôt la plume et écrivit sa Réfutation du Catéchisme de Paul Ferry.

Il plaça à la tête un court avertissement, où il fait connoître l'esprit qu'il apporte dans cette controverse : « Je conjure nos adversaires', dit Bossuet, de lire cet » écrit en esprit de paix, et d'en peser les raisonne>>ments avec l'attention et le soin que méritent des » matières de cette importance. J'espère que la lecture >> leur fera connoître que je parle contre leur doctrine, » sans aucune aigreur contre leurs personnes, et » qu'outre la nature qui nous est commune, je sais >> encore honorer en eux le baptême de Jésus-Christ, >> que leurs erreurs n'ont point effacé. »

On aura souvent lieu d'observer dans le cours de cette histoire, que les relations d'amitié, d'estime et de société ne pouvoient jamais faire consentir Bossuet à déroger à l'austère inflexibilité de ses principes et de son langage, lorsqu'il s'agissoit de la religion et de la vérité. Tout étoit sacrifié à ce grand intérêt, qui fut la passion dominante de sa vie entière.

Ainsi, dès le début, Bossuet exprime son étonnement « de ce qu'un homme qui paroît assez retenu, ait traité >> des matières de cette importance avec si peu de sin» cérité, ou si peu de connoissance de la doctrine qu'il >> entreprend de combattre. Quiconque sera un peu in>> 'struit de nos sentiments, verra d'abord qu'il nous >> attribue beaucoup d'erreurs que nous détestons; et si » une personne que nos adversaires estiment si sage et » si avisée, s'emporte à de telles extrémités, qu'ils nous » pardonnent, si nous croyons que tel est l'esprit de » la secte, qui ne pourroit subsister sans cet artifice. » Aux deux propositions qui servoient de fondement au Catéchisme de Paul Ferry, Bossuet oppose les deux propositions contraires :

Réfutation du Catéchisme de Paul Ferry. OEuvr. de Bossuet, tom. vii, p. 102.

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1o La réformation, comme elle a été entreprise et exécutée, a été pernicieuse;

2o Si on pouvoit se sauver dans l'Eglise romaine avant la réformation, on le peut encore aujourd'hui.

Ce qu'il y a de remarquable, c'est que Bossuet ne fait usage que des principes et des aveux du ministre lui-même, pour confirmer la vérité des deux propositions qu'il a établies.

Il commence par démontrer la seconde, qui, étant une fois reconnue, auroit pu le dispenser de remonter à la première.

Luther et Calvin avoient impitoyablement damné l'E– glise romaine dès le moment où ils avoient jugé à propos de se séparer d'elle.

Le ministre Ferry étoit un peu plus indulgent; il reculoit cette damnation jusqu'en 1545.

Il faut convenir que c'étoit une idée assez bizarre que celle de fixer une époque de cette nature, avec cette précision chronologique.

Si l'on demande au ministre Ferry pourquoi cette date de 1545?

Il répond que ce fut alors que le concile de Trente changea la doctrine et la discipline de l'Eglise sur la justification, la grâce, le libre arbitre, et le mérite des bonnes œuvres.

Bossuet montre comment le concile de Trente n'a fait que déclarer et confirmer la doctrine qui lui a été transmise par toute la tradition; et c'est dans son ouvrage même qu'il faut lire la discussion dogmatique de ces différents points de controverse.

Mais il n'est pas inutile d'observer, comme un fait remarquable dans l'histoire des contradictions humaines, que la doctrine si dure et si décourageante de Luther et de Calvin sur la justification, la grâce, le libre arbitre, et le mérite des bonnes œuvres, est aujourd'hui entièrement abandonnée des luthériens et des calvinistes, et qu'ils paroissent même s'être portés vers l'excès opposé.

Bossuet, dans la seconde partie de sa Réfutation du Catéchisme de Ferry, renverse tout le système des protestants sur les causes ou plutôt sur les prétextes de leur séparation.

Il y établit la perpétuité, la visibilité, et l'infaillibilité de l'Eglise.

Les protestants affectoient de croire et de dire que la doctrine des catholiques sur l'infaillibilité de l'Eglise tendoit à la rendre juge souverain de la parole même de Dieu consignée dans l'Ecriture.

« Nous ne disons pas, répond Bossuet, que l'Eglise » soit juge de la parole de Dieu; mais nous assurons » qu'elle est juge des interprétations que les hommes donnent » à cette parole..... Lorsque du temps des apòtres une » grande question s'éleva sur les cérémonies de la loi, » l'Eglise s'assembla pour la décider; et, après l'avoir » bien examinée, elle donna son jugement en ces mots: » IL A PLU AU SAINT-ESPRIT ET A NOUS; cette façon de » parler, si peu usitée dans les saintes lettres, et qui » semble mettre dans un même rang le SAINT-ESPRIT et » ses serviteurs, en cela même qu'elle est extraordi»> naire, avertit le lecteur que Dieu veut faire entendre » à l'Eglise quelque vérité importante. Car il semble » que les apôtres devoient se contenter de dire que le >> SAINT-ESPRIT s'expliquoit par leur ministère. Mais » Dieu, qui les gouvernoit intérieurement par une sa» gesse profonde, considérant par sa Providence com» bien il étoit important d'établir en termes très-forts » l'inviolable autorité de l'Eglise dans la première de » ses assemblées, leur inspira cette expression magnifi» que; IL A PLU AU SAINT-ESPRIT ET A NOUS; afin que » tous les siècles, apprissent par un commencement si re» marquable, que les fidèles doivent écouter l'Eglise comme » si le Saint-Esprit parloit lui-même. »

Bossuet termine cet ouvrage par un mouvement oratoire, qui le montre déjà tel qu'on l'a vu depuis, avec

suiv.

Réfutation du Catéchisme de Paul Ferry, tom. VIII, pag. 156 et

cette noble alliance de la majesté de l'éloquence et du langage sévère de la théologie.

« Votre nouveauté s'égalera-t-elle à cette antiquité » vénérable, à cette constance de tant de siècles, à cette » majesté de l'Eglise? Qui étes-vous, et d'où venez-vous ? » A qui avez-vous succédé? où étoit l'Eglise de Dieu lors» que vous êtes paru tout d'un coup dans le monde ? Cher» chez les antiquités, lisez les historiens et les saints doc» teurs, et montrez que, depuis l'origine du christia>>nisme, aucune Eglise vraiment chrétienne se soit éta» blie en se séparant de toutes les autres..... Vous vous » plaignez de nos abus et de nos désordres; êtes-vous si » étrangement aveuglés que vous croyiez qu'il n'y en » ait point parmi vous? S'il y a des abus dans l'Eglise, >> sachez que nous les déplorons tous les jours. Mais >> nous détestons les mauvais desseins de ceux qui ont >> voulu les réformer par le sacrilége du schisme. Le >> triomphe de la charité est d'aimer l'unité catholique >> malgré les troubles, malgré les scandales, malgré >> les déréglements de la discipline, qui paroissent quel» quefois dans l'Eglise...... Dieu saura bien, quand il >> lui plaira, susciter des pasteurs fidèles, qui réfor>> meront les mœurs du troupeau, qui rétabliront l'E>> glise en son premier lustre, qui ne sortiront pas de>> hors pour la détruire, comme ont fait vos prédéces»seurs, mais qui agiront au dedans pour l'édifier. >> Puissiez-vous enfin vous repentir d'avoir ajouté le >> malheur du schisme à tous les autres maux de l'E>> glise ! »>

Bossuet n'avoit que vingt-sept ans lorsqu'il écrivit cet ouvrage. Ce fut son début dans la carrière de la controverse; et il est toujours curieux d'observer les premiers traits de génie et de caractère qui annoncent la vie entière d'un grand homme.

Ce premier essai du talent de Bossuet devint un hommage de sa reconnoissance. Il le dédia au maréchal de Schomberg. Le nom d'un homme aussi vertueux

Réfutation du Catéchisme de Paul Ferry, tom. vII. p. 165 et 166.

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