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On me dit que le ci-devant évêque de Carcassonne demeure toujours chez l'archevêque. Peutêtre aussi le nonce, qui est encore ici, a-t-il usé, à cette occasion, de quelque influence. Ce qui prouve l'existence de cette action, monseigneur, c'est le parti que plusieurs intrigants ont voulu tirer d'une prétendue excommunication de S.M. l'empereur par le pape. M. le comte de Metternich m'assure cependant que ni le nonce, ni l'archevêque n'ont voulu entendre parler de ce dernier empêchement. L'empereur lui-même, sentant, à cette occasion, l'atteinte portée à la dignité des couronnés, repousse cette objection indécente avec le mépris qu'elle mérite.

« Le ministre a eu plusieurs entretiens infructueux avec l'archevêque, qui a l'air de vouloir évoquer cette cause à son tribunal. L'empereur lui-même est très inquiet; on cherche à gagner du temps, et l'on craint aujourd'hui que Mgr le prince de Neufchâtel ne vienne trop tôt. S'il n'arrivait que le 3 mars, on trouverait le moyen de remettre la bénédiction nuptiale jusqu'au 11, époque à laquelle on espère que les sentences de l'officialité pourront être revenues. Mais, dans ce cas-là même, l'ambassadeur extraordinaire aura peut-être besoin de toute la fermeté de son caractère pour en imposer à cette cabale qui porte le trouble dans la famille de l'empereur, et dont l'archevêque n'est que l'instrument. J'ai fait tout ce que j'ai pu, monseigneur, pour faire sentir au

ministre combien, dans l'état actuel des choses, la dignité de sa cour était compromise. Il m'a montré une série de questions proposées par l'archevêque, auxquelles il serait impossible de répondre sans avoir l'air de reconnaître un tribunal qui doit nous être étranger. Jamais négociation d'une si haute importance n'a été troublée par un incident plus singulier. (Dépêche du comte Otto au duc de Cadore, 28 février 1810. Archives du ministère des affaires étrangères.)

Les perplexités de l'ambassadeur sont bien vives. Elles seraient encore plus grandes, s'il se trouvait en possession des papiers qu'on lui demande. Et, en effet, serait-il fondé à soumettre à un tribunal ecclésiastique étranger des pièces qu'il ne devait confier qu'a l'empereur d'Autriche, pour lever les scrupules que le souverain pouvait avoir personnellement? Le comte de Metternich avait dit à l'ambassadeur, le 24 février, que la cérémonie aurait lieu malgré l'opposition de l'archevêque. Et, le lendemain, M. de Metternich s'était convaincu du contraire.

Dans le but de gagner du temps, le comte Otto avait écrit à l'ambassadeur extraordinaire de l'empereur Napoléon, le prince de Neuchâtel, pour le prier de faire en sorte que son arrivée à Vienne fût retardée jusqu'au 4 mars. On finirait le carnaval par les fêtes brillantes pour lesquelles on faisait de si grands préparatifs. Le Mercredi des Cendres et les trois jours suivants seraient

consacrés à la dévotion, et, le 11, les cérémonies de l'Église auraient lieu, si, comme on l'espérait, les pièces demandées étaient alors revenues de Paris.

Après quelques jours d'une incertitude très pénible pour la cour de Vienne comme pour l'ambassadeur de France, les difficultés s'aplanirent. Le comte Otto écrivait au duc de Cadore, le 3 mars 1810: Mon long silence doit avoir étonné Votre Excellence; mais il était commandé par les circonstances les plus extraordinaires où je me sois trouvé depuis bien des années... Ce n'est enfin qu'aujourd'hui que nous sommes hors de l'atteinte du comité ecclésiastique et de ses scrupules. Sept longues journées et quelques nuits ont été employées à compulser la collection du Moniteur et du Bulletin des lois pour prouver la nullité du premier mariage de Sa Majesté l'empereur. Rien ne pouvait rassurer la conscience timorée de l'archevêque. J'ai d'abord refusé, et j'ai résisté pendant vingt-quatre heures. Après beaucoup de discussions, et en changeant presque en entier la pièce que l'on voulait me faire signer, j'ai consenti aujourd'hui à remettre le papier dont j'ai l'honneur de joindre ici copie, mais sous la condition expresse et signée du ministre, que cette pièce ne servirait qu'à être montrée à l'archevêque, pour lever ses scrupules, et que, dans aucun cas, elle ne serait rendue publique.

Voici le texte de la pièce dont parle M. Otto: « Je soussigné, ambassadeur de S. M. l'empereur des Français, atteste que j'ai vu et lu les originaux des deux sentences des deux officialités diocésaines de Paris, concernant le mariage entre Leurs Majestés l'empereur et l'impératrice Joséphine, et qu'il résulte de ces actes que, conformément aux lois ecclésiastiques catholiques établies dans l'empire français, ledit mariage a été déclaré de toute nullité, parce que, lors de la conclusion de ce mariage, on avait négligé les formalités les plus essentielles requises par les lois de l'Église, et, en tout temps, reconnues en France comme nécessaires pour la solidité d'un mariage catholique. J'atteste, en outre, que, conformément aux lois civiques existantes lors de la conclusion de ce mariage, toute union conjugale était fondée sur le principe qu'elle pouvait être dissoute au gré des contractants. En foi de quoi, j'ai signé la présente déclaration, et j'y ai fait apposer le sceau de mes armes. >>

Dans sa dépêche du 3 mars 1810, l'ambassadeur ajoutait, à propos du document que nous venons de transcrire : « Le seul motif, monseigneur, qui ait pu m'engager à adopter ce biais était la persuasion que l'archevêque ne consentirait à donner la bénédiction qu'après avoir vu les deux sentences, et il m'a paru bien dangereux de livrer ces deux actes au caprice d'un vieillard influencé par deux prêtres émigrés. Enfin, ce moyen a

réussi, et le retard de l'arrivée de Mgr le prince de Neuchâtel empêche qu'on puisse même soupçonner dans le public l'existence de cette discussion qui nous a donné tant d'inquiétudes. L'archevêque est satisfait; toutes les cérémonies se feront conformément au programme, sauf le dérangement occasionné par les mauvaises routes. Le mariage aura lieu le 11 mars, et, pour regagner le temps perdu, Madame l'archiduchesse voyagera un peu plus vite et pourra très facilement être rendue à Paris le 27. Aujourd'hui le retard de la bénédiction nuptiale ne peut être attribué qu'aux circonstances qui ont ralenti le voyage de Mgr le prince de Neufchâtel. Pendant le carême, le dimanche est considéré comme le seul jour heureux pour les mariages, et le Mercredi des Cendres étant très rapproché, il est impossible que cette cérémonie religieuse se fasse plus tôt que le 11. » (Archives du ministère des affaires étrangères.)

Les dernières difficultés avaient disparu et les fêtes pouvaient commencer.

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