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VIII

LE DÉPART

Marie-Louise ne devait plus passer qu'une seule journée à Vienne. Le mariage par procuration avait été célébré le 11 mars 1810, ct, le 13, la nouvelle impératrice des Français devait quitter la capitale de l'Autriche, pour se rendre en France auprès de son époux. Après tant de fêtes et tant d'animation, la journée du 12 fut consacrée au repos et au recueillement. L'empereur François en profita pour adresser cette lettre à l'empereur Napoléon : « 12 mars 1810. Monsieur mon frère et très cher beau-fils, je charge mon chambellan, comte de Clary, de remettre à Votre Majesté Impériale la présente lettre. Le grand pacte qui à jamais lie nos deux trônes a été consommé hier, Je veux être le premier à féliciter Votre Majesté sur un évènement qu'Elle a désiré, que mes voeux, bien conformes aux vô

tres, Monsieur mon frère, ont couronné, et que je regarde comme le gage le plus précieux et, en même temps, le plus sûr de notre bonheur réciproque et, par conséquent, de celui de nos peuples. Si le sacrifice que je fais, en me séparant de ma fille, est immense, si. dans le moment actuel, mon cœur saigne de la perte de cette enfant chérie, l'idée et, je n'hésite pas à le dire, la conviction la plus intime de son bonheur peut scule me consoler. Le comte de Metternich, qui suivra dans peu de jours le comte de Clary, sera chargé d'exprimer de vive voix à Votre Majesté Impériale l'attachement que j'ai voué au prince qui depuis hier est un des membres les plus précieux de ma famille. Je me borne dans ce moment à la prier de recevoir les assurances de mon estime et de mon amitié inaltérable. De Votre Majesté Impériale et Royale le bon frère et beau-frère, FRANÇOIS.» (Archives du ministère des affaires étrangères.)

Dans la journée du 12 mars, le maréchal Berthier, prince de Neuchâtel, quitta Vienne pour se rendre à Braunau, sur la frontière austrobavaroise. Il devait y retrouver l'impératrice des Français, qui allait y être conduite par la mission. autrichienne, pour y être remise à la mission française, avec laquelle elle continuerait son voyage. « Avant le départ du prince de Neuchâtel, écrivait le comte Otto, plusieurs archiducs sont venus le voir, de même que les grands-offi

ciers de la couronne. Son Altesse est partie à deux heures, au milieu des acclamations d'un peuple immense. Jamais ambassade n'a été mieux accueillie, ni remplie avec plus de dignité et de noblesse. Le prince a fait distribuer plus de soixante mille francs à la maison qui avait été montée pour lui. Il a mis une mesure admirable dans toutes ses démarches, et, malgré les honneurs de tout genre dont il a été comblé, je ne pense pas qu'il existe à la cour un seul individu dont l'amour-propre ait pu être blessé. » (Dépêche du 10 mars 1810, adressée au duc de Cadore.)

A mesure que s'approchait le moment où elle allait quitter une famille et une patrie qu'elle chérissait, pour se jeter dans l'inconnu, la jeune impératrice sentait son émotion grandir. Allemande et Autrichienne dans l'âme, elle ne pouvait se faire à l'idée que peut-être elle ne reverrait plus jamais ce père pour qui elle avait tant de vénération et de tendresse, cette famille où elle était si aimée, ce bon peuple viennois qui lui avait toujours témoigné un si vif intérêt, ces palais du Burg et de Schoenbrünn où s'étaient écoulées les douces années de son enfance, cette chère église des Augustins, où tant de fois elle avait prié de si bon cœur. Tous les éloges qu'on lui faisait de Napoléon, depuis peu de jours, pouvaient-ils effacer le souvenir du mal qu'on lui en avait dit si souvent? On lui promettait les richesses, les

grandeurs, la puissance; mais tout cela est-ce le bonheur ?

On était arrivé au 13 mars. L'heure du départ avait sonné. L'ambassadeur de France écrivait le même jour: « Sa Majesté l'impératrice des Français est partie ce matin avec une suite très consi.. dérable. En quittant une famille chérie et un pays qu'elle ne reverra jamais, cette princesse a senti pour la première fois les angoisses d'une si cruelle séparation. Dès huit heures du matin, toute la cour était assemblée dans les salles d'audience. Vers neuf heures, on a vu paraître l'impératrice d'Autriche conduisant encore de sa main droite son auguste belle-fille. Elle a fait un effort pour m'adresser la parole, mais les sanglots étouffaient sa voix. La jeune impératrice a été accompagnée par sa belle-mère et les archiducs jusqu'à la portière de sa voiture, où elles se sont embrassées pour la dernière fois. Ici les forces de cette mère affectueusé étaient épuisées. Prête à s'évanouir, elle fut portée dans son appartement par deux chambellans. Lajeune impératrice fondait en larmes, et son affliction gagnait même les spectateurs étrangers. »

Le cortège se mit en marche dans l'ordre suivant une division de cuirassiers, un escadron de la cavalerie bourgeoise, trois postillons, le prince de Paar, directeur des postes, dans une voiture à six chevaux, quatre voitures également attelées de six chevaux, dans lesquelles étaient le

comte Édelinck, grand-maître de la cour, et les chambellans contes Eugène de Haugwitz; Dominique de Wrbna, Joseph Metternich, landgrave de Furstenberg; comtes Ernest de Hoyos et Félix de Mier, comte de Haddick, feld-maréchal comte de Wurmbrand, comte François Zichy, prince Zinzendorf, prince Paul Esterhazy, comte Antoine Bathiani; puis, le prince de Trautmannsdorf, premier grand-maître de la cour, et commissaire pour la remise, dans une voiture à six chevaux; puis, dans une voiture à huit chevaux, l'impératrice des Français, ayant avec elle la comtesse de Lazansky, grande-maîtresse de sa maison; enfin, dans trois voitures à six chevaux chacune, les dames du palais, princesse de Trautmannsdorf, comtesse O'Donnell, de Sauran, d'Appony, de Blumeyen, de Trann, de Podstalzky, de Kaunitz, de Hunyady, de Chotek, de Palfy, de Zichy. Un détachement de cavalerie fermait la marche. Le cortège traversa lentement la place Saint-Michel, le Colmarck, le Graben, la rue de Carinthie, le glacis et la rue de Mariahiff. Les troupes et la garde bourgeoise formaient une double haie.

« L'impératrice, disait le comte Otto, dans son rapport du 13 mars, a traversé, au son des cloches et au bruit du canon, les principales rues de la ville et du faubourg, suivie d'une multitude innombrable qui la couvrait de bénédictions et de tendres adieux. Le peuple avait attaché aux mai

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