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son glacial m'envahissait, et j'étais si troublée que le prince de Neuchâtel en eut les larmes aux yeux. Le prince de Trautmannsdorff me remit à lui, et ma maison me fut présentée. Ah! Dieu, quelle différence entre les dames françaises et les dames autrichiennes !... La reine de Naples vint à ma rencontre, me prit dans ses bras, et me témoigna une étonnante tendresse ; mais pourtant je ne m'y fie pas; je ne crois pas que le seul désir de m'être utile la guide dans ce voyage. Elle vint avec moi à Braunau, et là il me fallut endurer une toilette de deux heures. Je vous assure que je suis déjà aussi parfumée que les autres Françaises. L'empereur Napoléon m'a envoyé une superbe toilette en or. Il ne m'a pas encore écrit. Puisqu'il m'a fallu vous quitter, j'aimerais mieux être avec lui plutôt que de voyager avec toutes ces dames. Ah! Dieu, comme je regrette les bons moments passés près de vous ! Maintenant seulement je les apprécie. Je vous assure, cher papa, que je suis triste et inconsolable. J'espère que votre catarrhe est passé. Tous les jours je prie pour vous. Excusez mon griffonnage. J'ai si peu de temps. Je vous baise mille fois les mains, et j'ai l'honneur d'être, cher papa, votre obéissante et humble fille, MARIE-Louise. Braunau, 16 mars 1810. »

Dans la soirée, l'impératrice se montra encore une fois aux personnes qui l'avaient accompagnée depuis Vienne, pour leur faire un dernier adieu.

Parmi ces personnes, lisons-nous dans les Mémoires de Mme Durand, première femme de la nouvelle souveraine, il s'en trouvait plusieurs qui avaient connu Marie-Antoinette. Toutes se représentaient le chagrin que devait éprouver Marie-Louise, en venant s'asseoir sur un trône où sa grand'tante avait trouvé tant de malheurs... Au moment où elle monta dans la voiture qui devait la conduire à Munich, le grand-maître de sa maison, vieillard de soixante-cinq ans, qui l'avait suivie jusque-là, éleva ses mains jointes vers le ciel, en ayant l'air'de l'implorer en faveur de sa jeune maîtresse, et en la bénissant, comme aurait fait un père. Ses yeux annonçaient une âme pleine de grandes pensées et de tristes souvenirs. Ses larmes en arrachèrent d'autres à tous les témoins de cette scène attendrissante. »

L'impératrice, accompagnée de toute la mission française, partit de Braunau pour Munich, le 17 mars, de bonne heure, par un temps affreux. Elle n'avait conservé de sa suite autrichienne qu'une personne, la grande maîtresse, comtesse Lazansky. Elle espérait que cette dame, pour laquelle elle avait une très grande affection, resterait encore une année auprès d'elle. Mais cette espérance, cette illusion, allait bien vite se dissiper.

X

LE VOYAGE

L'impératrice arriva, dans la journée du 17 mars, à Haag, où le prince royal de Bavière la reçut. A dix heures du soir, elle était à Munich. Le lendemain, M. de Boyne, chargé d'affaires de France, écrivait au duc de Cadore : «S. M. l'impératrice a recueilli sur toute sa route, et hier, à son entrée à Munich, les témoignages les plus expressifs de respect et d'amour. Cette capitale était illuminée avec un goût et une magnificence qui surpassaient tout ce que l'on avait jamais vu ici. Le prince royal avait été jusqu'à Haag, pour complimenter Sa Majesté. Les troupes, la garde bourgeoise étaient sous les armes, et le roi et la reine, suivis de toute la cour, ont été la recevoir jusqu'en bas de l'escalier d'honneur. »> (Archives du ministère des affaires étrangères.)

Marie-Louise ne devait repartir de Munich que

le 19 mars. Dans la journée du 18, elle reçut une lettre de son mari, qui lui fut apportée par l'un des écuyers de l'empereur, le baron de SaintAignan. Le soir, il y eut au palais dîner de gala, cercle et représentation théâtrale. Le lendemain 19, l'impératrice devait avoir un grand chagrin. Elle avait emmené avec elle de Vienne jusqu'à Braunau, et de Braunau jusqu'à Munich, sa grande-maîtresse, son amie, sa confidente, la femme qui avait pris soin avec un zèle infatigable de son enfance et de sa jeunesse, la comtesse Lazansky. Lors de son arrivée dans la capitale de la Bavière, elle était encore persuadée que cette dame ne la quitterait pas. Puisque la comtesse n'était point partie à Braunau, tout portait à croire qu'elle ferait le voyage jusqu'à Paris, et Marie-Louise comptait bien la garder encore auprès d'elle au moins toute une année. La cour d'Autriche partageait cette croyance, et l'ambassadeur de France avait écrit le 6 mars au duc de Cadore : « Je ne m'opposerai plus, même indirectement, au voyage de Mme Lazansky, puisque Sa Majesté veut bien lui permettre d'accompapagner l'impératrice. Cette attention sera vivement sentie. Mais cela ne faisait pas le compte de la sœur de Napoléon, la reine de Naples, à qui la grande-maîtresse autrichienne portait ombrage, et qui aurait voulu exercer une influence sans partage sur l'esprit de la nouvelle impératrice.

»

La reine de Naples était une femme fort agréable, fort séduisante. Mais le comte Otto avait eu beau écrire que la cour d'Autriche s'était montrée flattée d'apprendre que Napoléon eût désigné sa sœur Caroline pour aller au-devant de la nouvelle impératrice, ce choix n'était peut être pas très heureux, et l'empereur eût sans doute mieux fait d'envoyer une autre princesse de sa famille. Pouvait-on, en effet, oublier qu'il y avait une autre femme, qui était reine aussi, qui s'appelait aussi Caroline, qui était la grand'mère de Marie-Louise, que Marie-Louise aimait beaucoup, et dont le trône était occupé par la femme de Murat? On aurait dû songer qu'aux yeux de la cour de Vienne, la légitime, la véritable souveraine des Deux-Siciles, ce n'était pas Caroline, sœur de Napoléon, c'était l'autre Caroline, la fille de la grande Marie-Thérèse, la sœur de Marie-Antoinette.

Laissons la parole à la veuve du général Durand, première femme de l'impératrice. Elle dit dans ses intéressants Mémoires : « La princesse Caroline, Mme Murat, alors reine de Naples, était venue à Braunau pour recevoir sa belle-sœur. La duchesse de Montebello, belle, sage, mère de cinq enfants, qui avait perdu son mari à la dernière guerre, avait été nommée dame d'honneur, faible dédommagement que l'empereur avait cru devoir lui accorder pour la perte d'un époux. La comtesse de Luçay, douce, bonne, ayant le meil

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