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en est ravi. Cette superbe enfant, éblouissante de fraîcheur et de jeunesse, de force et de santé, avec ses beaux cheveux blonds, ses yeux d'azur, son air d'innocence et de candeur, c'est la compagne qu'il lui fallait, c'est l'impératrice de ses rêves! Et comme la première phrase qu'elle lui adresse le flatte, le touche, lui va au cœur! Après l'avoir longtemps regardé : « Vous êtes bien mieux que votre portrait », lui dit-elle d'une voix timide et douce.

Un courrier part à bride abattue pour aller annoncer à Compiègne que l'empereur et l'impératrice y arriveront le soir même, vers dix heures, et la voiture dans laquelle Napoléon et Marie-Louise se trouvent avec le roi et la reine de Naples, repart dans la direction de Soissons, ainsi que les voitures où sont les personnes de la suite de l'impératrice.

On ne s'arrêta qu'un instant à Soissons. « J'avais l'honneur, nous dit M. de Bausset, d'être dans la voiture de Mm de Montmorency, de Montemart et de l'évêque de Metz. Il me parut que ces dames ne furent pas plus satisfaites que moi de passer devant l'excellent dîner qui nous attendait. » La ville de Soissons, qui avait fait tant de préparatifs et de dépenses, en fut pour ses frais. Quant à la cérémonie de la rencontre dans le pavillon élevé à deux lieues de la ville, cette cérémonie organisée si fastueusement pour le lendemain,— il n'en était même plus question. Napoléon avait

assurément fait preuve de tact et de courtoisie en dispensant sa jeune épouse de cette solennité intimidante, et surtout de l'obligation de s'agenouiller devant lui. Il avait été bien inspiré en mettant le sentiment au-dessus de l'étiquette, et en n'écoutant que son impatience de voir les traits, d'entendre la voix d'une femme si ardemment désirée.

Dès que le courrier, parti de Courcelles, et devançant les souverains, arriva à Compiègne, pour y annoncer la grande nouvelle, la ville fut en émoi. On se hâta de préparer des illuminations, de pavoiser les arcs de triomphe, de donner des ordres pour qu'à l'entrée de l'empereur et de l'impératrice on pût tirer une salve de cent un coups de canon. Le maréchal Bessières fit monter à cheval la cavalerie de la garde. Les habitants de Compiègne se portèrent en foule, malgré le mauvais temps, au-devant des souverains, en se dirigeant vers le pont de pierre où Louis XV, en 1770, avait été chercher la dauphine MarieAntoinette. Les cours et les galeries du château, dont on permit l'accès au public, étaient remplies de curieux. Une pluie battante tombait, et la nuit était si profonde que sans les torches on n'eût rien distingué du tout. A dix heures du soir, le canon annonça l'arrivée du couple impérial, qui traversa rapidement l'avenue. Les princes et princesses attendaient au bas de l'escalier. L'empereur les présenta à l'impératrice;

les autorités de la ville étaient réunies dans la galerie où se trouvait le prince de Schwarzenberg, ambassadeur d'Autriche; un groupe de jeunes filles vêtues de blanc complimenta la souveraine, et lui offrit des fleurs. L'empereur la reconduisit ensuite dans son appartement, où elle fut aussi heureuse qu'étonnée de trouver son petit chien et ses oiseaux de Vienne, ainsi qu'un ouvrage de tapisserie, qu'elle avait laissé inachevé à la Burg. Cette attention délicate de Napoléon la toucha jusqu'aux larmes. Elle aperçut aussi avec plaisir un magnifique piano. Après un souper intime, où les époux n'admirent que la reine de Naples, l'empereur mena sa femme dans la chambre de sa sœur Pauline, princesse Borghèse, qui était souffrante, et n'avait pu assister à là présentation. Puis il ramena l'impératrice dans sa chambre, où elle se coucha.

D'après le cérémonial prescrit à l'avance, il avait été convenu que les époux passeraient séparément cette première nuit. L'impératrice devait coucher dans son appartement, et l'empereur à l'hôtel de la Chancellerie. Mais il en fut de ce cérémonial comme de celui de la rencontre des époux. L'impatience de Napoléon ne voulut pas en tenir compte; et il agit comme Henri IV envers Marie de Médicis. Le portrait que le baron de Méneval trace de l'impératrice ne fait-il pas comprendre cette impatience de son mari ? Marie-Louise. dit le secrétaire de l'empereur,

était, dans tout l'éclat de la jeunesse; sa taille était d'une régularité parfaite; le corsage de sa robe était plus long qu'on ne le portait alors, ce qui ajoutait à sa dignité naturelle, et contrastait avec le disgracieux raccourci de la taille de nos dames; son teint était animé par le mouvement du voyage et par la timidité; ses cheveux châtain-clair, fins et abondants, encadraient un visage frais et plein, sur lequel des yeux remplis de douceur répandaient une expression charmante; ses lèvres, un peu grosses, rappelaient le type de la famille régnante d'Autriche, comme la légère convexité du nez distingue les princes de la maison de Bourbon; toute sa personne respirait la candeur et l'innocence, et un embonpoint qu'elle ne conserva pas après ses couches annonçait sa bonne santé. »

Le lendemain, au matin, Napoléon, à sa toilette, demanda à son valet de chambre Constant, si l'on s'était aperçu de l'accroc qu'il avait fait au programme. Au risque de mentir, Constant répondit que non. « En ce moment, dit-il dans ses Mémoires, entra un des familiers de l'empereur qui n'était pas marié. Sa Majesté, lui tirant les oreilles, lui dit : « Mon cher, épousez une Allemande. Ce sont les meilleures femmes du monde, douces, bonnes, naïves et fraîches comme des roses. » A l'air de satisfaction de Sa Majesté, il était facile de voir qu'elle faisait un portrait, et qu'il n'y avait pas longtemps que le peintre avait

quitté le modèle. Après quelques soins donnés à sa personne, l'empereur retourna chez l'impératrice, et, vers midi, il fit monter à déjeuner pour elle et pour lui, se faisant servir près du lit, et par les femmes de Sa Majesté. »

A une heure eut lieu la présentation des dames et des officiers de la maison de l'impératrice, qui, n'étaient pas du voyage de Braunau. Ils prêtèrent serment entre les mains de la souveraine. Ensuite, les colonels, généraux de la garde, les ministres, les grands officiers de la couronne, les officiers et les dames désignés pour être du voyage de Compiègne, furent présentés à l'impératrice. Elle eut le plaisir de voir au château son oncle le grand-duc de Wurzbourg, le frère de son père, et parla longtemps avec lui de la patrie et de la famille. Elle causa aussi avec le prince de Schwarzenberg, ainsi qu'avec le comte et la comtesse de Metternich. Tout le jour, Napoléon fut d'une gaieté charmante. Ayant, contresa coutume, fait une seconde toilette pour dîner, il endossa l'habit de fantaisie que, sur le conseil de sa sœur Pauline, arbitre de la mode, il s'était commandé chez le tailleur Léger, tailleur du roi de Naples qui avait la passion des élégants et riches costumes. Cet habit et la cravate blanche ne convenaient pas à Napoléon. Ses uniformes simples avec la cravate noire lui allaient beaucoup mieux. Il ne porta que cette seule fois l'ha-bit recommandé par la princesse Pauline, et il

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