dorée, traînée par deux moutons blancs comme la neige! Il n'avait qu'un an, lorsque le peintre Gérard le représentait assis dans son berceau, et jouant avec un bilboquet, dont on aurait pu prendre le bâton pour un sceptre, et la boule pour le globe du monde, hochets de son enfance. La veille de la bataille de la Moskowa, Napoléon donnait ses derniers ordres pour la lutte colossale du lendemain. Tout à coup, un préfet du palais, M. de Bausset, arrive à l'improviste, venant en droite ligne de Paris, et apportant à l'empereur le chef-d'œuvre de Gérard. Aussitôt toutes les préoccupations du général disparaissent devant l'émotion joyeuse du père: «— Messieurs, dit Napoléon à ses officiers, si mon fils avait quinze ans, croyez bien qu'il serait ici, parmi tant de braves, autrement qu'en peinture. » Puis il fait placer le portrait du roi de Rome sur une chaise, devant sa tente, afin que les soldats puissent le voir, et que cette vue soit pour eux une nouvelle excitation à la victoire. Et voilà que les vieux grenadiers de la garde impériale, les vétérans à moustache grise, — ceux qui n'abandonneront jamais leur empereur, ceux qui le suivront jusqu'à l'île d'Elbe, et qui mourront à Waterloo, - les hommes héroïques, aussi bons qu'ils sont braves, pleurent de joie en regardant le portrait de cet enfant, dont ils espèrent que leurs exploits ont assuré à tout jamais le glorieux avenir. Ch! cet avenir, qu'il sera triste! Moins de deux ans après, le roi de Rome aura pour escorte des Cosaques. Prisonnier de la coalition, il sera pour toujours arraché à son père. Napoléon, revenant de l'île d'Elbe, comme par miracle rentrera triom phant au château des Tuileries, le 20 mars 1815. Sa joie sera bien incomplète. Le 20 mars, c'est le jour anniversaire de la naissance du roi de Rome, le jour où il a quatre ans. Mais l'enfant n'est pas là. Son père ne le reverra jamais. A Vienne, le petit prince semble frappé d'une tristesse précoce. Il regrette ses jeunes compagnons. « On voit bien, dit-il, que je ne suis plus roi, je n'ai plus de pages. >> Le roi de Rome a perdu l'enjouement, la loquacité enfantine, qui avaient tant de charmes en lui. Loin de se familiariser avec les personnes qui forment son nouvel entourage, on dirait qu'il les soupçonne, qu'il s'en défie. Pendant les CentJours, le secrétaire des commandements de MarieLouise la quitte à Vienne, pour retourner en France auprès de Napoléon. « Avez-vous quelques commissions pour votre père ? » dit-il alors au petit prince. L'enfant se recueille, et, comme s'il était surveillé, il conduit le fidèle serviteur dans l'embrasure d'une fenêtre et tout bas, en cachette, il murmure cette phrase: « Vous lui direz que je l'aime toujours bien. >> A travers les milliers de lieues qui les séparent, le fils sera le consolateur du père. En 1816, le prisonnier de Sainte-Hélène reçoit une boucle de cheveux du jeune prince, et une lettre dont on avait fait tracer les lignes, en guidant la main inexpérimentée de l'enfant. Napoléon tressaille de joie. Le captif oublie ses chaînes. C'est le même élan de bonheur que la veille de la bataille de la Moskowa, au moment où on lui avait remis le portrait de ce fils tant aimé. Comme alors, il appelle les personnes de son entourage, et leur montre avec une émotion profonde les cheveux et la lettre de l'enfant. Mais écoutons Victor Hugo: Vous savez ce qu'on fit du géant historique : Oh! n'exilons personne! oh! l'exil est impie! - Ployée et les genoux aux dents ! Encor si ce banni n'eût rien aimé sur terre !... Deux choses lui restaient, dans sa cage inféconde, Le soir, quand son regard se perdait dans l'alcôve, Ce que son œil cherchait dans le passé profond, Ni l'apparition des vieilles Pyramides; Ce n'était Quand son souffle poussait sur cette mer troublée Ce n'était pas Madrid, le Kremlin et le Phare, Tandis qu'avec amour, sa nourrice enchantée Le père alors posait ses coudes sur sa chaise, Sois béni, pauvre enfant, tète aujourd'hui glacée, Du trône du monde perdu ! De son côté, l'enfant n'oubliait pas son père. En vain on lui donnait un titre et un nom germaniques; en vain on lui enlevait le blason impérial avec l'aigle; en vain on lui ôtait jusqu'à son prénom de Napoléon, ce prénom qui faisait peur aux ennemis de la France. Son Altesse le prince François-Charles-Joseph, duc de Reichstadt, savait bien qu'il s'était appelé le roi de Rome et Napoléon II. Il savait que dans ses veines coulait du sang du plus grand guerrier des temps modernes. A peine au sortir du berceau, il avait montré des instincts militaires. Il était âgé de cinq ans, lorsqu'il disait au peintre Hummel, qui faisait son portrait : « Je veux être soldat, je me battrai bien, je monterai à l'assaut. Mais, monseigneur, reprenait le peintre, vous trouverez les baïonnettes des grenadiers qui vous repousseront, qui vous tueront peut-être. » — Et l'enfant répliquait : « Pour écarter les baïonnettes, est-ce que je n'aurai pas une épée ? » Avant qu'il eût sa septième année, on lui fit revêtir l'uniforme. Il apprit avec un zèle extrême le maniement des armes, et, quand pour le récompenser on lui donna le grade de sergent, il fut fier de ses galons, autant qu'il aurait été fier d'un trône. L'épopée paternelle occupait sans cesse sa pensée et plongeait sa jeune imagination dans une sorte d'extase. Un grand poète, tour à tour familier et lyrique, François Coppée, a décrit admirablement dans une pièce de vers qui a pour titre le « Fils de l'empereur », la précoce ardeur militaire et la touchante piété filiale de l'enfant qui avait été le roi de Rome : Il n'avait pas dix ans, pâle et chétive Altesse, |