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quelques heures à Harlem, cité moitié gothique, moitié japonaise, connue par la passion de ses habitants pour les fleurs, surtout pour les tulipes. Ils arrivèrent le 26 octobre à Rotterdam, le 27 à Loo, couchèrent le 28 à La Haye, et quittèrent la Hollande pour se rendre sur les bords du Rhin. L'empereur emportait une très bonne impression du peuple hollandais, dont il avait pu apprécier les qualités sérieuses, la moralité, l'esprit d'ordre, l'amour du travail, et il en était presque à justifier son frère Louis de la partialité que ce prince avait montrée pour une nation si intéressante, par son présent, comme par son passé.

Le 2 novembre, Napoléon arrivait, avec l'impératrice, à Dusseldorf. Cette jolie ville, placée dans une position pittoresque à l'embouchure de la Dussel dans le Rhin, était alors la capitale du grand-duché de Berg, dont Murat avait été le souverain avant d'être nommé roi de Naples, et dont l'empereur venait de donner l'investiture à un enfant, le fils aîné de Louis Bonaparte. Le comte Beugnot administrait en ce moment la principauté, qui ne comptait pas moins d'un million d'habitants. C'est lui qui dit dans ses Mémoires, si curieux et si spirituels : « Ah! comme il en aurait peu coûté pour s'attacher les Allemands, qui ne résistent pas au prestige de la gloire militaire, aux yeux desquels le serment de fidélité n'est pas un titre vain, et qui ressentaient pour la France je ne sais quel vieux penchant

dont nous les avons cruellement corrigés !... L'Allemagne, où le merveilleux occupe toujours une grande place, a mis beaucoup de temps à se débarrasser de son admiration pour l'empereur. Elle était alors complète pour le héros qui n'avait eu besoin que de souffler, pour la faire disparaître, sur cette monarchie prussienne que n'avaient su défendre ni les armées, ni les souvenirs du grand Frédéric, réunis aux légions invincibles du successeur de Pierre le Grand. »

A Dusseldorf, Napoléon reçut, selon son habi tude, toutes les autorités civiles et militaires, ainsi que les représentants de tous les cultes. Au nombre de ces derniers était un vieux rabbin à barbe blanche, qui avait cent ans, et qui, ayant absolument voulu voir l'empereur, s'était fait porter dans l'endroit de l'audience. Il y entra, soutenu d'un côté par le curé de la paroisse, de l'autre par le ministre protestant. Cette union des trois cultes dans un même hommage au souverain ne déplut pas à l'empereur, bien qu'elle eût quelque chose d'assez étrange. Il faut lire dans les Mémoires du comte Beugnot, l'activité, le souci des détails, la minutie des investigations administratives qui caractérisèrent, à Dusseldorf comme ailleurs, l'attitude de Napoléon dans ces laborieux voyages, où, sous prétexte de distractions apparentes, il se donnait presque plus de mouvement qu'à la guerre. Le comte, qui fit, à Dusseldorf, la partie de whist de Marie-Louise,

avec la duchesse de Montebello et le prince de Neuchâtel, et qui était le partenaire de la souveraine, nous dit à ce propos : « La partie fut jouée fort négligemment, comme il arrive en pareil cas; chacun des acteurs ne prêtant guère que les yeux à ses cartes et appliquant son esprit à ce qui se passait autour de la table, où l'empereur revenait de temps en temps pour adresser quelques mots agréables à l'impératrice ou quelques plaisanteries au prince de Neuchâtel et à moi. J'étais trop peu libre d'esprit pour rechercher, soit pendant le dîner, soit durant la partie, dans quelles dispositions était l'impératrice, et pour surprendre dans ses traits quelque indice de son caractère. Le voyage avait été long; elle paraissait fatiguée et ennuyée. Elle ne répondait à l'empereur que par des monosyllabes, et aux autres que par un geste de tête assez monotone. Je ne sais à vrai dire ce qui en est; mais je suis porté à croire que Sa Majesté n'est pas exempte du timide respect qu'impose son auguste époux à tout ce qui a l'honneur de l'approcher.

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Après être restés deux jours à Dusseldorf, Napoléon et Marie-Louise arrivèrent à Cologne, où ils visitèrent la chapelle des onze mille vierges, et où un beau Te Deum fut chanté dans la célèbre cathédrale. Ils passèrent ensuite par Liège, Givet, Mézières, Compiègne, et furent de retour à Saint-Cloud, après une absence de près de trois mois, la plus longue que l'empereur eût faite

dans les provinces de la vieille ou de la nouvelle France. Partout, sur son passage, il avait trouvé l'expression de deux sentiments prononcés, mais un peu différents : pour l'impératrice, un respect affectueux; pour lui, l'espèce de saisissement qu'inspire l'apparition d'un homme qui est un vivant prodige.

VI

L'APOGÉE DE NAPOLÉON

Au commencement de 1812, l'empereur était arrivé à son apogée. Avant de voir commencer son déclin, il convient de l'examiner au sommet de sa fortune, dans la plénitude de sa force, de sa puissance et de sa gloire. Il y eut, dans sa carrière, deux périodes distinctes: la période démocratique et la période aristocratique. Au commencement de l'Empire, la première n'était pas entièrement terminée; les pièces de monnaie portaient encore pour légende: «< République française. Napoléon, empereur; » le souverain ressemblait à César plutôt qu'à Charlemagne; il ne créait point de majorats; il n'avait auprès de lui qu'un très petit nombre d'émigrés; il restait, sous bien des rapports, l'homme de la Révolution. En 1812, au contraire, il avait donné à son autorité une sorte de caractère féodal, et il se

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