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gram, que des paroles inspirées par le ressentiment, par la peur, par la haine. Pouvait-elle donc se passionner en un seul jour pour celui qu'on lui avait représenté si longtemps comme un second Attila, comme le fléau de Dieu ? Aussi, dès qu'on lui fit entrevoir vaguement la possibilité de son mariage avec cet homme, eut-elle un mouvement de surprise, d'effroi, de répulsion, et sa première idée fut-elle de se considérer comme une victime sacrifiée à je ne sais quel Minotaure. Ce mot de sacrifice, on le retrouvait jusque dans la bouche des hommes politiques autrichiens les plus favorables à l'alliance française, de ceux-là même qui avaient conseillé et décidé le mariage. L'ambassadeur d'Autriche à Paris, le prince de Schwarzenberg, n'écrivait-il pas à M. de Metternich, le 8 février 1810: « Je plains la princesse, mais qu'elle n'oublie pas cependant qu'il est bien beau de rendre la paix à de si bons peuples!» Et M. de Metternich n'écrivait-il pas, le 15 février suivant au prince de Schwarzenberg: « Me l'archiduchesse Marie-Louise n'a vu dans l'ouverture que son auguste père lui a faite sur la possibilité que Napoléon étendît ses vues jusqu'à elle qu'un moyen de plus de prouver à ce père chéri le dévouement le plus absolu. Elle sent toute la force du sacrifice, mais son amour filial l'emportera sur toutes les autres considérations. » Elevée dans les habitudes d'une austère discipline et d'une obéissance passive, elle appartenait à une

famille où l'on regarde les princesses autrichiennes comme les instruments dociles de la grandeur des Habsbourg. Elle se résigna donc à faire la volonté de son père, sans murmure, mais non pas sans tristesse. Ce que pensait MarieLouise, au moment de la conclusion de son mariage, elle le pensait encore, dans les dernières années de sa vie. Le général de Trobriand, ce Français qui s'est distingué sous les drapeaux yankees, lors de la guerre de sécession, me ra contait récemment combien il avait été péniblement surpris lorsqu'à Venise il avait entendu la veuve de Napoléon, devenue la femme de M. de Bombelles, lui dire à propos de son mariage avec le grand empereur: « J'ai été sacrifiée. »

L'Autriche était remplie de ruines, ses hôpitaux regorgeaient de blessés français et autrichiens, et les Viennois avaient encore dans l'oreille l'infernal écho du canon de Wagram, quand des salves d'artillerie retentirent, non plus pour la guerre, mais pour l'hyménée. Les souvenirs d'une lutte acharnée, d'une lutte qui avait été, de part et d'autre, regardée comme un duel à mort, étaient trop récents, trop terribles pour que la réconciliation entre les deux peuples pût être complète. Au fond la paix n'était qu'une trève. Pour faciliter l'entrée solennelle de l'ambassadeur extraordinaire de Napoléon à Vienne, n'avait-on pas dû construire à la hâte un pont sur les débris des remparts que les Français avaient fait

sauter, quelques mois auparavant, en guise d'adieux à la population? Marie-Louise, qui partait les yeux tout pleins de larmes, ne s'avançait qu'en tremblant vers cette terre de France qui avait été si fatale à Marie-Antoinette.

Bientôt cette première impression diminua, et la jeune impératrice fut assez flattée de l'éclat prodigieux dont rayonnait son trône, le plus éblouissant de l'univers. Et cependant, au milieu de cette pompe babylonienne, de toutes les splendeurs, de tous les prestiges, de toutes les adulations qui peuvent flatter l'orgueil d'une femme, elle ne cessait jamais de penser à sa patrie allemande. Un jour qu'elle était debout devant une fenêtre de son château de Saint-Cloud, et contemplait d'un air pensif l'horizon qui s'ouvrait devant elle, M. de Méneval se permit de lui demander la cause de la rêverie profonde dans laquelle elle semblait plongée. Alors elle répondit qu'en considérant le beau site qu'elle avait sous les yeux, elle s'était surprise à regretter les paysages des environs de Vienne, et à désirer ardeinment qu'une baguette magique lui en fît apercevoir seulement un coin. Marie-Louise avait peur, alors, de ne jamais revoir sa patrie, et soupirait. Quelles sont les gloires ou les grandeurs qui peuvent faire oublier les touchants souvenirs de l'enfance?

Sans doute Napoléon comblait sa jeune femme d'égards et de prévenances. Mais, dans le senti

ment affectueux qu'il lui inspirait, on aurait trouvé, croyons-nous, plus d'admiration que de tendresse. Cet homme était trop grand pour elle. Elle était fascinée, mais troublée, par tant de puissance et tant de génie. Elle avait des yeux de colombe, et il lui aurait fallu des yeux d'aigle pour pouvoir regarder en face ce soleil impérial, dont les chauds rayons l'éblouissaient. Elle aurait désiré moins d'éclat, moins de majesté, moins de triomphes, elle dont les goûts simples et modestes étaient plutôt ceux d'une bourgeoise que ceux d'une souveraine. Entouré de courtisans qui ressemblaient à des prêtres adorant leur idole, son redoutable époux lui apparaissait comme un demi-dieu plutôt que comme un homme. Elle aurait voulu être moins subjuguée, plus attendrie.

Il ne faudrait pas croire cependant qu'avant les catastrophes qui amenèrent la chute de l'Empire, Marie-Louise ait été malheureuse. Elle était sincère lorsque, dans ses lettres à son père, elle se louait de son époux, et sa joie fut très vive, quand elle eut mis au monde un enfant dont la naissance paraissait être un gage de paix et de bonheur pour l'humanité. Ajoutons que l'empereur n'eut jamais à lui adresser un reproche. Douce, réservée, obéissante, elle réunissait toutes les qua. lités que son mari avait désirées. Jamais il n'eût rêvé impératrice plus à son goût. Abandonné par elle, il cherchera plus tard à l'excuser, à la

plaindre, au lieu de la blâmer. Il la regardera comme l'esclave, la victime de la cour de Vienne. Il ignorera, du reste, absolument l'amour qu'elle ressentait pour le comte de Neipperg, et aucun sentiment de jalousie ne le troublera sur le rocher de Sainte-Hélène. « Soyez bien persuadé, dirat-il quelques jours avant sa mort, que si l'impératrice ne fait aucun effort pour alléger mes maux, c'est qu'on la tient environnée d'espions qui l'empêchent de ne rien savoir de tout ce qu'on me fait souffrir; car Marie-Louise est la vertu même. »> Douce erreur, qui rendit moins cruelle la fin du grand homme, dont les dernières pensées furent pour sa femme et pour son fils.

Quant à l'empereur d'Autriche, nous croyons qu'au début du mariage de sa fille il était de bonne foi dans ses protestations de dévouement et d'amitié pour Napoléon. Il ne songeait alors, en aucune manière, à le détrôner ou à le combattre. Il espérait retirer les plus grands avantages de l'alliance française, et il aurait été très étonné si on lui eût prédit qu'au bout de si peu de temps il deviendrait l'un des agents les plus actifs de la ruine de ce gendre, auquel il témoignait des sentiments si affectueux. En 1811, il désirait très sincèrement que son petit-fils et filleul le roi de Rome devînt un jour le successeur de Napoléon sur le trône de l'immense empire. Les passions anti-françaises étaient alors presque entièrement apaisées en Autriche. Elles n'y

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