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L'Autriche avait eu de terribles craintes pendant la campagne de Wagram. Elle s'était demandé avec anxiété si les Hapsbourg n'allaient pas disparaître de la liste des souverains, comme les Bourbons d'Espagne, ou s'ils ne seraient pas réduits, comme les Bourbons de Naples, à ne plus posséder qu'une petite partie de leurs États. La paix conclue à Vienne le 14 octobre 1809 avait quelque peu atténué ces graves appréhensions. Mais la situation de l'Autriche n'en demeurait pas moins très pénible et très douloureuse. Ainsi que l'a dit le prince de Metternich dans ses curieux mémoires, « la soi-disant paix de Vienne avait enfermé l'empire dans un cercle de fer, lui avait enlevé ses communications avec l'Adriatique, et l'avait enveloppé depuis Brody, point extrême au nord-est, du côté de la Russie, jusqu'aux frontières du sud-est, vers l'empire

ottoman, d'une ligne d'États placés sous la domination de Napoléon ou sous son influence directe. L'empire, serré comme dans un étau, n'était plus libre de faire un mouvement; de plus, le vainqueur avait fait tout ce qui dépendait de lui pour empêcher le vaincu de reprendre des forces par un article secret du traité de paix, il avait fixé à un maximum de 150,000 hommes l'effectif de l'armée autrichienne. »

Un péril, peut-être plus redoutable encore que tous les autres, menaçait le trône des Hapsbourg, nous voulons parler d'un mariage que tout le monde considérait alors comme très probable et très prochain, celui de Napoléon avec une sœur de czar. Prise entre deux empires gigantesques, entre l'empire d'Occident et l'empire d'Orient, comme entre le marteau et l'enclume, que deviendrait l'Autriche, mutilée et paralysée?

Pour prévenir les dangers qui menaçaient l'Autriche, n'y avait-il pas encore une chance favorable, mais une seule, une seule, et très problématique? L'union matrimoniale à laquelle songeait la cour de Russie, était-il certain que la cour de Vienne fût dans l'impossibilité de la conclure? Les mariages lui avaient souvent porté bonheur. Devait-elle oublier la fameuse maxime, formulée dans un vers latin :

Bella gerant alii, tu felix Austria nube}

Que d'autres fassent la guerre; toi, heureuse Autriche, marie-toi! Les dernières campagnes avaient été fatales à la dynastie des Hapsbourg. Un mariage lui réussirait.

A Vienne, un parti politique qu'on pouvait désigner sous le nom de parti de la paix, venait d'arriver aux affaires. M. de Stadion, homme d'État aux tendances belliqueuses, avait été rem-' placé, comme ministre des relations extérieures, par un jeune et brillant diplomate, le comte de Metternich. Ambassadeur à Paris, avant la campagne de Wagram, ce dernier n'avait pas réussi à empêcher la guerre, et cependant il avait laissé de bons souvenirs à la cour de Napoléon, où ses succès, comme homme du monde, comme grand seigneur, eurent beaucoup de retentissement. Il ne portait alors que le titre de comte (son père, le prince de Metternich, vivant encore). Voulant peut-être prouver qu'il ne considérait pas comme impossible une réconciliation entre l'Autriche et Napoléon, il avait laissé en France, pendant la guerre, la comtesse de Metternich, sa femme. Arrivé au pouvoir, il conçut un système politique dont l'alliance française devait être la base, sinon définitive, du moins provisoire. Mais, pour qu'un pareil système pût produire tous les avantages qu'on était en droit d'en espérer, le mariage de Napoléon avec une princesse autrichienne devenait nécessaire, et M. de Metternich, au courant des négociations matrimoniales enga

gées entre les cours de France et de Russie, ne croyait pas beaucoup, malgré le désir qu'il en avait, à un mariage possible entre une archiduchesse d'Autriche et le vainqueur de Wagram. Ni avant ni après la conclusion du traité de Vienne, il n'y avait pas eu un seul mot d'échangé sur un projet de cette nature entre Napoléon et le cabinet autrichien.

L'empereur des Français était absolument décidé au divorce, mais il pensait encore que la femme qui remplacerait Joséphine serait la jeune grande-duchesse Anne, sœur de l'empereur de Russie Alexandre. Lors de l'entrevue d'Erfürt, il avait parlé de ce mariage, dont le czar paraissait accueillir la pensée de la manière la plus sympathique. Le 22 novembre 1809, le duc de Cadore, ministre des affaires étrangères, adressa cette dépêche au duc de Vicence, ambassadeur de France à Saint-Pétersbourg: « Des propos de divorce étaient revenus à Erfürt aux oreilles de l'empereur Alexandre, qui en parla à l'empereur, et lui dit que la princesse Anne sa sœur était à sa disposition. Sa Majesté veut que vous abordiez la question franchement et simplement avec l'empereur Alexandre et que vous lui parliez en ces termes : « Sire, j'ai lieu de penser que l'empereur, pressé par toute la France, se prépare au divorce. Puis-je mander qu'on peut compter sur votre sœur? Que Votre Majesté y pense deux jours et me donne franchement sa réponse, non comme à

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