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contre le vainqueur pendant un temps limité ou pendant la continuation de la guerre. Tuer des prisonniers ne peut se justifier que dans ces cas extrêmes où la résistance de leur part ou de la part des autres qui viennent les délivrer rend impossible de les garder. La raison et l'opinion générale concourent à montrer que rien autre chose que la plus impérieuse nécessité ne justifie un pareil acte 1.

D'après les lois de la guerre encore en usage chez les nations sauvages, les prisonniers pris à la guerre sont mis à mort. Parmi les nations plus civilisées de l'antiquité cet usage fut remplacé graduellement par celui d'en faire des esclaves. A cette coutume fut substituée celle de la rançon, qui continua à travers les guerres féodales du moyen âge. L'usage actuel d'échanger les prisonniers ne fut solidement établi en Europe que vers le courant du dix-septième siècle. Même à présent cet usage n'est pas obligatoire parmi les nations qui préfèrent insister sur la rançon des prisonniers pris par elles, ou laisser leurs concitoyens entre les mains de l'ennemi jusqu'à la fin de la guerre. Les cartels d'échange de prisonniers de guerre sont réglés par convention spéciale entre les États belligérants d'après leurs intérêts respectifs et leurs vues politiques. Quelquefois on permet à des prisonniers de guerre par capitulation, de retourner dans leur pays, à la condition de ne pas servir de nouveau pendant la guerre ou jusqu'à ce qu'ils soient dûment échangés. Les officiers sont fréquemment relâchés sur parole sous la même condition. La bonne foi et l'humanité doivent présider à l'exécution de ces conventions, qui ont pour but d'adoucir les maux de la guerre sans en détruire l'objet légitime. Suivant l'usage moderne des nations, des commissaires ont la permission de résider dans chacun des pays belligérants, pour mettre

1 RUTHERFORTH's Instit., b. II, chap. ix, § 15.

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à exécution les arrangements nécessaires à cet effet. L'atteinte à la bonne foi dans de telles transactions ne peut être punie qu'en refusant à la partie coupable d'une pareille violation les avantages stipulés par le cartel, ou, dans les cas où on peut supposer qu'elle s'est mise à l'abri de ce recours, en exerçant des représailles ou rétorsion de fait 1.

Tous les membres de l'État ennemi peuvent légalement être traités comme ennemis dans une guerre publique. Mais il ne suit pas de là que tous ces ennemis doivent être traités de la même manière. Quoiqu'on puisse légalement détruire certains d'entre eux, il ne s'ensuit pas cependant qu'on puisse légalement les détruire tous. Car la règle générale déduite de la loi naturelle est toujours la même, qu'aucun emploi de la force contre un ennemi n'est légal s'il n'est nécessaire à l'accomplissement du but de la guerre. La coutume des nations civilisées, fondée sur ce principe, a donc exempté de l'effet direct des opérations militaires la personne du souverain et sa famille, les membres du gouvernement civil, les femmes, les enfants, les cultivateurs, les artisans, les laboureurs, les marchands, les hommes de lettres et de science, et généralement tous les autres individus publics ou privés engagés dans les travaux civils ordinaires de la vie, à moins qu'ils ne soient pris les armes à la main, ou qu'ils ne se soient rendus coupables de quelque violation des usages de la guerre qui leur ait fait perdre leur immunité 2.

1 GROTIUS, de jure belli ac pacis, lib. III, cap. VII, § 8-9; cap. xi, § 9-13. VATTEL, Droit des gens, liv. III, chap. VIII, § 153. ROBINSON'S Admiralty Reports, vol. III, note, appendix A. Correspondance entre M. Otto, commissaire français des prisonniers en Angleterre, et le bâtiment de transport anglais, 1801. Annual Register, vol LXIV, p. 265. (State Papers.) WHEATON, Histoire du droit des gens, p. 162-164.

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2 RUTHERFORTA's Institut., b. II, chap. ix, § 15. VATTEL, Droit des gens, liv. III, chap. vIII, § 145-147, 159. KLÜBER, Droit des gens moderne de l'Europe, pt. II, tit, H, sect. II, chap. 1, § 245-247.

L'application du même principe a aussi limité et restreint

§. 5. Propriété de l'ennemi,

point elle est

sujette à capture et à

les opérations de la guerre contre le territoire et autre jusqu'à quel propriété de l'ennemi. Du moment où un État est en guerre avec un autre, il a, en principes généraux, le droit de saisir confiscation. toute la propriété de l'ennemi, de quelque espèce et en quelque lieu qu'elle soit, et d'approprier la propriété ainsi prise à son usage ou à celui de ceux qui s'en sont emparés. Par l'ancien droit des gens, même ce qu'on appelait res sacræ n'était pas exempt de capture et de confiscation. Cicéron a invoqué cette idée dans son langage métaphorique expressif, quand il dit dans son quatrième discours contre Verrès: «La victoire a rendu profanes toutes les choses sacrées des Syracusains.» Mais dans l'usage moderne des nations qui a maintenant acquis force de loi, les temples de la religion, les édifices publics affectés au service civil seulement, les monuments d'art, les dépôts de la science sont exemptés des opérations générales de la guerre. La propriété privée sur terre est aussi exempte de confiscation, à l'exception de celle qui peut se convertir en butin dans certains cas, quand elle est enlevée à l'ennemi dans les camps ou dans les villes assiégées, et à l'exception des contributions militaires levées sur les habitants d'un territoire ennemi. Cette exemption s'étend même au cas d'une conquête absolue et sans réserve du pays de l'ennemi. Dans les anciens temps la propriété tant mobilière qu'immobilière du vaincu passait au vainqueur. Tel était la loi romaine de la guerre souvent revendiquée avec une inflexible sévérité, et tel fut le sort des provinces romaines subjuguées par les barbares du Nord à la décadence et à la chute de l'empire d'Occident. Une large part, depuis un jusqu'à deux tiers des terres appartenant aux provinces vaincues, était confisquée et partagée entre les conquérants. Le dernier exemple en Europe d'une pareille conquête fut celle de l'Angleterre par Guillaume de Normandie. Depuis cette période, parmi

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les nations civilisées de la chrétienté, la conquête, même quand elle fut assurée par des traités de paix, ne fut jamais suivie d'une transmutation générale ou partielle de la propriété territoriale. La propriété appartenant au gouvernement de la nation vaincue passe à l'État vainqueur, qui prend aussi la place de l'ancien souverain à l'égard du domaine éminent. A tous autres égards les droits privés ne sont point affectés par la conquête 1.

Les exceptions à ces adoucissements généraux des droits excessifs de la guerre considérée comme une lutte de force, viennent toutes du même principe originel du droit naturel qui nous autorise à nous servir contre l'ennemi du degré de violence nécessaire seulement pour assurer l'objet des hostilités. La même règle générale qui détermine jusqu'à quel point il est légal de détruire la personne des ennemis, servira de guide pour juger jusqu'à quel point il est légal de ravager ou de laisser dévaster leur pays. Si ce moyen est nécessaire pour arriver au juste but de la guerre, il peut être employé légalement, mais non pour un autre objet. Ainsi si nous ne pouvons arrêter les progrès d'un ennemi, ni secourir nos frontières, ou si l'on ne peut approcher d'une ville qu'on veut attaquer sans dévaster le territoire intermédiaire, le cas extrême peut justifier le recours à des mesures que l'objet ordinaire de la guerre n'autorise pas. Si l'usage moderne a sanctionné d'autres exceptions, on les trouvera dans le droit de représailles ou rétorsion de fait. Le code international est en entier fondé sur la réciprocité. Les règles qu'il prescrit sont observées par une nation dans la confiance qu'elles le seront aussi par les autres. Lors donc que les usages etablis de la guerre sont violés par un ennemi, et qu'il n'y a pas d'autres moyens d'arrêter ses

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VATTEL, Droit des gens, liv. II, chap. Ix, § 13. KLÜBER, Droit des gens moderne de l'Europe, pt. II, tit. 11, sect. II, chap 1, § 250-253. MARTENS, Précis, etc., liv. VII, chap. iv, § 279-282.

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excès, la nation qui les souffre peut justement recourir aux représailles afin de forcer l'ennemi à revenir à l'observation des lois qu'il a violées 1.

La dernière guerre entre les États-Unis et la GrandeBretagne a été marquée par une série de mesures destructives de la part de cette dernière, dirigées contre des personnes et des propriétés jusque-là regardées comme exemptes des hostilités par l'usage général des nations civilisées. On essaya de justifier ces mesures comme étant des actes de réprésailles pour de semblables excès de la part des forces américaines sur les frontières du Canada, dans une lettre adressée à M. le secrétaire Monroe par l'amiral Cochrane, commandant les forces navales anglaises dans la station de l'Amérique septentrionale, datée à bord de son vaisseau-pavillon, dans la rivière de Patuxent, du 18 août 1814. Dans cette communication il était exposé que l'amiral anglais ayant été appelé par le gouverneur général du Canada pour l'aider à mettre à effet les mesures de représailles contre les habitants des États-Unis pour l'odieuse destruction commise par leur armée dans le haut Canada, il était devenu du devoir de l'amiral de donner aux forces navales qu'il commandait l'ordre de détruire et de dévaster toutes les villes et cantons sur la côte, qui seraient attaquables.

Dans la réponse du gouvernement américain à cette communication, datée de Washington, le 6 septembre 1814, il fut exposé que le gouvernement avait vu avec la plus grande surprise que ce système de dévastation pratiqué par les forces anglaises, et si manifestement contraire aux usages de la civilisation, fût établi sur le pied de réprésailles. Les États-Unis n'avaient pas plutôt été forcés de recourir à la guerre contre la Grande-Bretagne, qu'ils avaient

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KLÜBER,

1 VATTEL, liv. Ill, chap. vIII, § 142; chap. IX, § 166-173. MARTENS, Précis, etc., liv. VIII, chap. IV, § 272-280. pt. II, tit. II, sect. II, chap. 1, § 262-265.

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