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NOTICE HISTORIQUE

SUR

LA VIE ET LES OUVRAGES

DE

GERMAIN POIRIER.

GERMAIN POIRIER naquit le 8 janvier 1724, d'une de ces familles honorables qui composoient ce qu'on appeloit la bonne bourgeoisie de Paris, et qui conservoient, au milieu du luxe et de la corruption, les vertus modestes et les mœurs simples et pures qu'elles avoient reçues de leurs ancêtres. La nature l'avoit doué d'une grande activité d'esprit, d'une ardeur de s'instruire qui se manifesta presque en même temps que sa raison, et d'une mémoire facile, qui ne laissoit presque rien perdre de ce qu'il lui confioit. Avec ces qualités, il n'est point étonnant qu'à quatorze ans et demi il eût achevé, même avec distinction, le cours entier de ses études, et qu'à cet âge, où les passions encore muettes laissoient à la première ferveur de la piété et à l'amour pour l'étude un empire absolu sur son ame, il ait desiré d'embrasser un état dans lequel il pourroit, à l'abri de toute sollicitude, se livrer à l'une et à l'autre sans distraction et sans réserve. L'éclat que répandoient sur la congrégation de Saint-Maur les Mabillon, les Dachery,

Lue dans la séance publique

du vendredi 2 Germinal an XII [23 mars 1804].

les Montfaucon, et tant d'autres savans qui ont illustré par leurs immenses et utiles travaux leur ordre et la nation, eut bientôt fixé son choix. Il fut admis avec joie dans cette congrégation célèbre, et, après les épreuves ordinaires, il prononça ses vœux à Saint-Faron de Meaux, le 10 mars 1740.

D. Poirier se consacra alors tout entier, suivant l'usage, aux études ecclésiastiques; et ses progrès furent si rapides, qu'au bout de peu d'années il fut jugé digne de diriger les jeunes religieux dans ces mêmes études. Il professa successivement la philosophie et la théologie; et dans un temps où les querelles du jansénisme et du molinisme avoient porté le trouble dans tous les corps ecclésiastiques séculiers et réguliers, et exaspéré les esprits au point que le sarcasme et la satire étoient devenus les armes ordinaires des deux partis, il est peut-être remarquable qu'un théologien de vingt ans ait eu la modération de soutenir, dans un traité qu'il composa exprès pour ses élèves, l'obligation de se soumettre à l'autorité de l'Église, sans s'écarter de la décence et de la charité chrétienne, et sans insulter ni damner ses adversaires. Sorti honorablement de cette lutte périlleuse, il eut le bonheur de sortir aussi bientôt après de l'arène théologique, où il n'étoit entré que par devoir, et où il ne pouvoit donner que des momens trèscourts aux études qui étoient de son goût. Il fut alors nommé secrétaire du visiteur général de la province de France; et ce n'est qu'à cette époque qu'il lui fut possible de faire les premiers pas dans la carrière qu'il brûloit de parcourir, et dont il n'avoit encore pu qu'entrevoir de loin l'étendue. Pendant le séjour qu'il étoit obligé de faire presque

annuellement dans chacun des nombreux monastères de cette grande province, il employoit à compulser les bibliothèques et les livres, à fouiller et examiner les chartriers, tout le temps que lui laissoient ses fonctions auprès du visiteur; et un solitaire qui ne donnoit que peu d'heures au repos et aux besoins de la nature, qui n'en donnoit aucune à la dissipation, et qui trouvoit dans l'observance de ses pratiques religieuses un délassement suffisant à ses travaux, avoit beaucoup de temps à donner à l'étude.

La place qu'occupoit D. Poirier auprès du visiteur général, étoit un acheminement certain aux dignités de la congrégation; mais il étoit bien loin d'avoir le desir de commander aux autres. La seule ambition dont il fût animé en entrant dans l'ordre de Saint-Benoît, étoit de marcher sur les traces des savans que cet ordre avoit produits: aussi le vit-on, quand il cessa d'être secrétaire du visiteur général, renoncer pour toujours aux emplois qui donnoient de l'autorité, et, content d'obéir et d'étudier, briguer comme une grande faveur la place laborieuse de garde des archives de l'abbaye de Saint-Denis. Ces archives, comme celles de la plupart de ces antiques monastères, n'étoient pas seulement le dépôt des titres de propriété et des actes de l'histoire de l'abbaye; elles contenoient encore un grand nombre de monumens de notre histoire générale; et d'ailleurs les pièces particulières étoient elles-mêmes, pour la plupart, autant de monumens qui portoient l'empreinte plus ou moins forte des lois, des mœurs, des usages, du gouvernement de la nation, ainsi que de l'état des personnes des diverses classes dont elle étoit composée dans les différens siècles de la monarchie. D. Poirier travailla sans

relâche à extraire et à inventorier ce nombre immense d'actes de toute espèce, afin de les classer dans un meilleur ordre que celui où il les avoit trouvés; et comme il étoit impossible, même à un homme beaucoup moins avide d'instruction que lui, d'être sans cesse au milieu de ces sources vénérables et primitives de l'histoire de nos pères sans en être en quelque sorte pénétré de toutes parts, il y acquit ces connoissances aussi variées qu'étendues et profondes, qui le firent choisir, vers l'année 1762, pour travailler à la continuation du Recueil des historiens de France.

Cette nouvelle collection, beaucoup plus étendue et plus complète que celle qu'avoit donnée dans le siècle précédent le savant André Duchesne, par le nombre prodigieux de monumens découverts depuis cette époque, est un des ouvrages les plus importans que nous devions à la congrégation de Saint-Maur, et qui lui assurent le plus de droits à l'estime et à la reconnoissance publiques. En effet, quel service plus signalé pouvoit-elle rendre, que de rassembler et de réunir en un corps tous les titres originaux de notre histoire, pour la plupart ignorés et ensevelis jusqu'alors dans les chartriers et dans les bibliothèques; de faire revivre, en quelque sorte, tous les âges et toutes les générations de la France, et de les mettre ainsi pour toujours à la disposition de l'homme de génie qui saura les apprécier et les juger, et tracer d'une main habile et assurée l'imposant et magnifique tableau d'un grand peuple qui est resté entier et immuable au milieu des bouleversemens des autres peuples de l'Europe, et qui, depuis près de quinze siècles, conserve son nom, son caractère, son territoire et sa puissance, malgré les guerres étrangères presque

continuelles

continuelles qu'il a eues à soutenir, et les dissensions intestines, mille fois plus destructives encore que les guerres ?

Lorsque D. Poirier fut chargé de travailler au nouveau recueil de nos historiens, le savant et infatigable D. Bouquet, qui avoit eu le courage de l'entreprendre seul, avoit déjà publié les neuf premiers volumes, et laissé à sa mort (en 1754) le dixième volume en état d'être donné au public. Depuis cette époque, plusieurs continuateurs s'étoient exercés sur le onzième volume, qui devoit contenir le règne de Henri I.er; et leurs efforts n'avoient réussi qu'à prouver leur incapacité. Le dernier de ces continuateurs, sans être beaucoup plus habile que les autres, eut du moins le mérite de sentir ce qui lui manquoit, et invoqua le secours de D. Poirier, qui répara, autant qu'il étoit possible, par des notes et des supplémens, les erreurs et les omissions qu'ils avoient commises dans la partie qu'ils avoient fait imprimer, rassembla et disposa les matériaux nécessaires pour compléter ce volume, et le mit dans l'état où nous l'avons. Il est sur-tout recommandable par une excellente préface, qui en forme presque le quart, qui contient beaucoup de faits nouveaux ou peu connus et une foule d'observations intéressantes, et qui est peut-être l'ouvrage le plus solide et le meilleur que nous ayons sur le gouvernement de la France au commencement de la troisième race de ses rois.

Cet heureux début assuroit enfin à D. Bouquet un digne continuateur; et l'âge de D. Poirier faisoit espérer qu'il auroit le temps d'achever cette belle et grande entreprise. Le sort en ordonna autrement: l'impression des monumens

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