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NOTICE

SUR

LA VIE ET LES OUVRAGES

DE

M. GARNIER.

JEAN-JACQUES GARNIER naquit à Goron, bourg du

pays

du Maine, le 1 8 mars 1729, de parens pauvres, qui, à force d'économie et de privations, parvinrent à lui donner une éducation supérieure à leur fortune. Après avoir fait de très bonnes études dans sa province, il vint à Paris, dans l'espoir de trouver quelque place qui lui fournît les moyens de n'être plus à charge aux respectables auteurs de ses jours.

Quand il fut arrivé dans la capitale, à l'âge d'environ dix-huit ans, il pouvoit dire, comme Bias: Je porte tout avec moi. Quoiqu'il eût voyagé modestement à pied, il n'avoit plus que vingt-quatre sous dans sa poche. En passant par la rue de la Harpe, il vit des enfans de différens âges se précipiter en foule par une porte qu'une inscription en lettres d'or, placée au-dessus, lui apprit être la porte du collège d'Harcourt. Il entre avec eux; tous se dispersent aussitôt dans les classes, et il reste seul dans la cour. Le sous-principal, chargé de la police de ce petit état,

Lue dans la séance publique

du vendredi 1

Avril 1806.

lui demande pourquoi il n'entre pas en classe comme les autres. Garnier répond qu'il a terminé son cours d'études, qu'il vient à Paris pour chercher à tirer parti du peu qu'il sait, et ne lui dissimule pas sa situation. Sa franchise et sa naïveté intéressent le sous-principal: il questionne le jeune homme sur les auteurs classiques Grecs et Latins; il est satisfait de ses réponses, et le présente au proviseur, qui lui assure dès l'instant même le logement et la subsistance, et l'exhorte à étudier et à être tranquille sur son sort. Devenu commensal du collége d'Harcourt, Garnier s'y concilia l'estime générale ; et après y avoir passé plusieurs années, livré sans réserve à l'étude la plus assidue et la plus opiniâtre, il en sortit en état de se suffire à lui-même, et d'aspirer à prendre place parmi les hommes capables de servir utilement les lettres par leurs travaux et par leurs veilles.

Il eut alors occasion de faire connoissance avec M. Menard de Chousy, premier commis du ministère de Paris et de la maison du Roi, qui le présenta au ministre, M. le comte de Saint-Florentin, depuis duc de la Vrillière, auquel il inspira de l'intérêt, et dont il ne tarda pas à se concilier la bienveillance, en se dévouant à travailler en secret à un ouvrage auquel devoit mettre son nom un ami ou un protégé du ministre, assez bizarre pour vouloir se faire passer pour savant sans avoir rien appris, pour homme de lettres sans avoir de littérature, et pour auteur d'un ouvrage sans avoir eu la peine ou le plaisir de le faire. Mais ce qui contrarioit le plus M. Garnier et lui causoit une peine réelle, c'étoit de voir l'auteur prétendu se mettre l'esprit à la torture pour gâter chaque morceau qu'il lui fournissoit, croyant par-là se l'approprier, et

rendre

rendre ainsi l'ouvrage indigne du véritable auteur et de l'impression.

Cette excessive complaisance méritoit d'être récompensée; elle le fut en effet d'une manière honorable. L'abbé Sallier, professeur de langue Hébraïque au Collége royal de France, étoit devenu, par l'âge, hors d'état de continuer ses fonctions avec exactitude; le ministre, qui, au nom du Roi, disposoit des chaires du Collége royal, lui donna pour adjoint, en 1760, l'homme de lettres qui lui avoit fait peut-être le plus grand des sacrifices, celui de son amour-propre. L'année suivante, M. Garnier ayant obtenu à l'Académie des inscriptions et belles-lettres un prix dont le sujet, pour être bien traité, demandoit une connoissance égale de l'histoire des derniers siècles de Rome et des premiers de la monarchie Françoise (1), fut admis dans cette compagnie, dont il a rempli toutes les espérances par son zèle et par ses travaux. Cependant M. de SaintFlorentin, qui ne le perdoit point de vue, et qui continuoit de prendre intérêt à sa fortune, attendoit l'occasion de lui en donner de nouveaux témoignages. Elle se présenta en 1768, et il la saisit avec empressement; il le nomma inspecteur du Collége royal, en survivance de l'abbé Vatry, que les suites d'une attaque d'apoplexie avoient rendu incapable d'exercer les fonctions d'une place qui exigeoit de la surveillance et de l'activité.

François I., fondateur du Collége royal, avoit eu l'intention de lui élever un immense édifice, qui devoit couvrir

(1) Ce sujet consistoit à examiner | gouvernement qui subsistoit dans les ce qui est resté en France, sous la pre- Gaules sous la domination Romaine. mière race de nos Rois, de la forme du

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le terrain de l'ancien hôtel de Nesle, terrain qu'occupent aujourd'hui l'ancien collége des Quatre-Nations, l'hôtel des Monnoies, et les maisons intermédiaires entre ces deux édifices. Il avoit dessein de le doter, par la réunion de plusieurs riches abbayes, de 150,000 livres de revenu, qui, à la valeur qu'avoit alors le marc d'argent, et à celle qu'il a de nos jours, feroient maintenant plus d'un million. Six cents élèves choisis devoient y être entretenus pendant dix ans, pour être ensuite employés, suivant leurs talens, les uns dans les négociations auprès des cours étrangères, d'autres en qualité de consuls et d'interprètes, d'autres en celle de professeurs dans les différentes universités du royaume. Ce magnifique projet ne fut qu'un beau rêve: une guerre désastreuse ne permit même plus au Roi d'y penser; et les professeurs, sous son règne, furent réduits à donner leurs leçons dans des écoles d'emprunt.

Henri II et ses fils ne songèrent qu'à augmenter le nombre des chaires royales fondées par François I.cr; et le paiement des gages des professeurs fut entièrement suspendu pendant les fureurs de la ligue. Henri IV, après la réduction de Paris, se fit présenter les professeurs royaux, et dit qu'il vouloit retrancher chaque jour un plat de sa table pour les faire vivre. Il ne fut plus alors question de leur construire un palais sur l'emplacement de l'hôtel de Nesle; mais le Roi destina pour leur établissement le terrain du collège de Cambrai et celui du collége de Tréguier. Son intention étoit d'y réunir aux écoles la bibliothèque royale de Fontainebleau, l'imprimerie royale, et les ateliers des peintres et des sculpteurs. L'Institut ne peut voir, sans éprouver quelque satisfaction, que la

grande et belle idée de réunir les arts aux sciences et aux lettres pour n'en former qu'un seul faisceau, idée dont sa constitution lui fait sentir tous les avantages, avoit été conçue et sanctionnée d'avance par ce bon prince, dont la mémoire sera toujours chère aux François et aux amis de l'humanité. Les fondemens de l'édifice étoient à peine jetés, que le fer d'un parricide priva la France du meilleur de ses Rois. Louis XIII, encore enfant, vint bientôt après, accompagné de sa mère, en poser la première pierre ; mais Sully tomba dans la disgrace, et les travaux furent abandonnés et oubliés. Quand on s'en souvint, après les troubles de la régence, on n'acheva qu'une aile du bâtiment, dans laquelle étoient trois salles pour les écoles et une galerie destinée à recevoir la bibliothèque de Fontainebleau: on y ajouta par la suite une salle d'assemblée, et quelques logemens pour les professeurs les plus pauvres.

Louis XIV fonda des académies, et oublia le Collége royal, qui devoit en être une des principales pépinières. Louis XV et ses ministres n'avoient paru jusqu'alors y penser que pour nommer aux places de professeurs. Ce que tant de Rois ont négligé de faire, un jeune homme inconnu, jeté au milieu de Paris, sans appui et sans ressources va l'entreprendre et l'achever.

Lorsque M. Garnier fut nommé inspecteur du Collége royal, l'édifice tomboit en ruine; et les professeurs, dont les traitemens avoient été fixés sur le taux du marc d'ar

gent au temps de François I.er, ne recevoient que la huitième partie de la somme qu'il leur avoit assignée. S'ils n'avoient pas de fortune personnelle, il falloit qu'ils se partageassent entre les devoirs de leur chaire et d'autres

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