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récit de cette scène ne souillerait pas les pages de notre histoire.

Nous devons tenir le même langage à l'égard de beaucoup d'autres faits de la même espèce, et qui ne sont point parvenus à notre connaissance; il n'est pas douteux que, dans une noblesse monarchique et nombreuse, il n'y ait eu, sous l'empire de la loi Gombette, une multitude peut-être sans nombre de demandes en combats judiciaires; mais ces demandes, pour la plupart, ont été rejetées ou conciliées, et par conséquent l'histoire n'en fait pas mention: car celle-ci, comme l'on sait, ne parle que des catastrophes qui désolent ce monde, et non des moyens qu'emploie la prudence humaine pour les prévenir et les empêcher. Ainsi nous devons regarder pour certain (et cette conclusion ne doit pas être oubliée) que le combat judiciaire et le Duel n'ont pas existé ensemble. Mais malgré ce point de fait, il n'en est pas moins constant aussi, que c'est le premier qui a engendré le second, et nous allons expliquer comment une telle génération s'est opérée.

Époque de la naissance du point d'honneuret du Duel tels qu'ils sont aujourd'hui.

Il résulte de ce qui a été dit jusqu'à présent, 1 que le combat judiciaire a pu s'établir chez un peuple simple, à qui des maîtres superstitieux avaient enseigné que les résultats de la force ou de l'adresse étaient des jugemens de Dieu;

2o Que cette institution a pu durer dix siècles, et même qu'elle en aurait duré davantage, si l'état d'ignorance, eût encore continué. Mais il est sensible aussi qu'elle devait tomber comme le brouillard du matin devant le soleil, dès l'instant où l'on aurait montré, aux chefs, ou conducteurs de ce peuple, les premiers élémens de la morale; dès qu'on leur aurait enseigné que force et droit sont des choses d'une nature différente; et qu'on leur aurait fait observer, par leur propre expérience, que la victoire se décidant tous les jours pour le coupable, celle-ci ne pouvait être l'expression des jugemens de Dieu. Or, tels furent précisément les effets que produisirent les fameuses discussions dont retentit le seizième siècle, et que l'invention de l'imprimerie répandit bientôt avec la rapidité de l'éclair. Il est évident que, dans un tel état de choses, l'idée seule d'une loi qui autorisait deux êtres moraux à s'arracher la vie comme deux bêtes féroces, en présence de leur souverain, de leurs parens et de leurs amis, ne put que révolter la raison, et remplir l'âme d'une

horreur profonde; telles furent certainement les impressions que le combat de Jarnac fit sur Henri II comme sur son conseil, et qui déterminèrent (ce qui était déjà dans l'opinion publique), l'abolition du combat judiciaire. Mais s'il est un instant où la découverte d'une vérité simple doit décider le législateur à supprimer une institution politique, quel que soit d'ailleurs le bien qu'elle ait pu faire, ou le mal qu'elle ait empêché, il n'en est pas de même des mœurs ou des habitudes particulières que la même institution aura laissé prendre aux générations qui se sont succédées pendant la longue période de son existence. Les exemples des pères, bons ou mauvais, passent à leurs enfans, tant qu'on ne leur en met pas d'autres sous les yeux, et s'il en a toujours été ainsi, même pour des choses puériles et les plus insignifiantes, que ne serace pas quand il s'agira de renoncer à des usages qui favorisent la passion la plus terrible du cœur humain, cette passion qui, bien plus sûrement que le patrimoine des ancêtres, se transmet à la génération la plus reculée ?

Les lois sont nécessaires, sans doute, pour établir l'ordre public de la cité; mais l'enseignement domestique, et, plus que cet enseignement, les exemples des pères et des magistrats, sont les véritables lois de famille devant lesquelles les premières sont bien faibles, lorsqu'il n'y a pas entre elles et les secondes une harmonie parfaite. Aussi voici ce qui arriva, et ce qui dut arriver: le législateur, en instituant le combat judiciaire,

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avait par-là même reconnu implicitement en principe, qu'un combat quelconque était une mesure propre à la découverte de la vérité, puisque ses résultats étaient à ses yeux une manifestation de la volonté divine. Or, quoique combat légal autorisé d'après telles ou telles épreuves, tels ou tels devoirs et combat ordinaire fussent des choses bien différentes, puisque l'une était permise, et l'autre défendue. Cependant comme cette différence ne consistait que dans des formes rigoureusement prescrites par la loi, dès que ces formes furent abolies, le combat judiciaire disparut entièrement, et laissa la vengeance seule maîtresse du terrain.

Quelles furent les suites de ce nouvel état de choses? Chacun les prévoit. La noblesse militaire, humiliée depuis si long-temps, par les entraves attachées au combat judiciaire, fut enchantée de s'en voir affranchie. L'orgueil, qui est toujours là, pour punir l'homme heureux de son bonheur, vint le circonvenir avec ses sophismes, et l'enivrer de ses illusions, il lui persuada sans peine que combat judiciaire et tout autre combat ne sont, au fond, qu'une seule et même chose; qu'il est ridicule de demander à la justice réparation d'une injure personnelle; que pour un homme d'honneur la plus légère offense doit être lavée sang; et qu'une conduite différente n'est que bassesse et lâcheté, etc., etc., etc.

par

le

Ces maximes auxquelles, pendant long-temps, les lois n'apportèrent pas le moindre obstacle, eurent toute la facilité de se créer un système, qui bientôt s'appela

hautement le code de l'honneur, code devant lequel ceux de la morale et des lois ne furent plus que des mots vides de sens.

C'est en vertu de ce code que le duel (de la race du monstre tué par Cadmus) fut, dès sa naissance, sans nulle gradation, aussi féroce, aussi cruel que nous le voyons, et que, dans l'espace d'un demi-siècle, c'està-dire, depuis l'an 1550 jusqu'à l'an 1600, il versa plus de sang que n'avait fait la loi Gombette pendant les dix siècles de sa durée.

Je ne sais, mais il me semble que nos politiques n'ont pas donné une attention suffisante à cette révolution qui s'opéra en France vers le milieu du seizième siècle, révolution qui ne se fit pas également chez nos voisins, et dont le résultat a été de donner à la nation française, deux systèmes d'éducation, dont l'un est absolument l'antipode de l'autre. Il n'est pas d'homme sensé qui puisse être indifférent sur cette manière publique d'exister, surtout quand'elle est celle d'un grand peuple parvenu à la plus haute civilisation.

Mais continuons cette histoire, laquelle, jusqu'à présent, ne me paraît pas avoir été traitée avec les développemens qui lui conviennent.

Les premières familles de l'État, au sein desquelles le génie du duel eut grand soin de choisir ses victimes, invoquèrent à grands cris le secours des lois; mais les lois furent sourdes et muettes pendant un demisiècle.

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