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" loi contre le duel, dont au surplus, l'impu"nité ne peut compromettre gravement l'or"dre social. »

Ces propositions se trouvent dans les motifs qui précèdent un jugement rendu l'année dernière, par un de nos tribunaux de première instance : le but de ceux qui les avancent est extrêmement palpable, c'est de nous dire, en termes bien clairs, que tout est pour le mieux, et que le législateur actuel ne doit pas même songer au duel.

Selon d'autres (et ceux-ci sont en majorité), les assertions que nous venons de lire sont aussi fausses en politique qu'en morale, le duel est l'ennemi de la patrie autant que de l'humanité; il n'existe pas de civilisation là, où le duel reste impuni, etc.

Une telle opposition d'idées et de sentimens, sur un point qui tient essentiellement aux principes d'ordre, m'a paru, au premier abord, une chose inconcevable; mais en y réfléchissant de plus près, j'ai reconnu qu'elle était la suite des circonstances singulières où nous sommes placés, relativement au duel. Cette matière aujourd'hui, n'est ni discutée, ni approfondie comme elle devrait l'être, ou

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plutôt elle ne l'est pas du tout, et c'est ce qui a dû amener les opinions contraires ou divergentes que nous voyons. En effet, les uns demandent-ils la répression du duel, les autres répondent que les plus grands obstacles s'y opposent; les premiers demandent-ils ensuite à connaître ces grands obstacles, on ne daigne plus leur répondre, on se borne à les renvoyer au préjugé, comme si c'était là une réponse. Ainsi une certaine fatalité s'opposant même à une discussion franche et libre, sur cet article, ilen résulte que l'opinion publique, ce juge souverain de toutes les opinions particulières, ne peut se former, et moins encore se fixer; voilà, je crois, notre véritable position envisagée sous le point de vue de l'objet que nous examinons.

J'ai pensé, dans un tel état de choses, que ceux-là se rendraient vraiment utiles à leur pays, qui travailleraient sur ce chapitre important; en conséquence, fondé sur cet espoir, je présente dans l'écrit qui va suivre, un essai de controverse ou de dissertation, dans lequel, après avoir traité du duel, selon l'histoire et la morale, j'examine si les hautes considérations que l'on tire de nos mœurs, ou que l'on prête à la politique, peuvent empêcher

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une loi, dont le simple objet sera de réprimer le duel ou de contenir ses fureurs, et si enfin, il est possible que cette mesure devienne dangereuse et funeste à la France.

Ma Dissertation, sans doute, est faite pour tout le monde; mais cependant, je la destine spécialement aux écoles de droit, parce que l'enseignement public, protégé par la loi, est à mes yeux le moyen infaillible d'attaquer avec succès un préjugé, ou de résoudre un problême quels qu'ils soient, en mettant bientôt le tribunal de l'opinion publique à même de juger les opinions particulières, auxquelles les uns ou les autres auront donné lieu.

Voilà le but que je me suis proposé.

S'il paraît à quelqu'un de mes lecteurs que je me suis trop étendu sur certaines parties de mon sujet, je le prie de ne pas oublier que mon travail a pour objet principal l'instruction de la classe qui en a le plus besoin, ct qu'un ouvrage de ce genre ne saurait avoir trop de développemens.

DISSERTATION

SUR LE DUEL.

PREMIÈRE PARTIE.

Le Duel est un combat entre deux hommes, dont l'un a fait à l'autre une injure publique.

Ce mode de vengeance n'a été connu ni des Grecs ni des Romains, nos maîtres en civilisation.

11 y a bien eu chez ces peuples, et en petit nombre, des combats particuliers ou singuliers; tels ont été celui de trois cents Lacédémoniens contre trois cents Argiens, celui des Horaces et des Curiaces; tel a été celui où Manlius Torquatus et Valérius Corvinus tuèrent deux Gaulois; mais toutes ces actions et autres du même genre ne sont pas des duels.

Cette espèce de combat est, de sa nature, étranger à la chose publique, et ne peut avoir lieu que pour offenses personnelles entre deux hommes, dont l'un exige réparation de l'autre par la voie des armes.

Plus nous étudions l'antiquité, plus nous sommes convaincus que cette manière de vider une querelle

ou décider un procès, n'y a pas été en usage. Ce qui, au surplus, ne laisse pas le moindre doute sur ce point de fait, c'est que les anciens n'ont pas même eu l'idée de ce que les modernes entendent par point d'honneur, d'où il suit évidemment qu'ils ne connaissaient pas le duel, car celui-ci n'est que l'effet de celui-là.

Aussi ne voyons nous pas, dans l'Illiade, qu'Achille ait provoqué Agamemnon, quoique sa grande colère aurait eu précisément pour cause ce qui, parmi nous, amène la plupart des duels. César n'envoya pas non plus un cartel à Caton pour tirer vengeance des injures et sarcasmes dont celui-ci l'avait chargé en plein sénat, dans l'affaire de Catilina.

Le Duel n'a pas été connu davantage des anciens Gaulois. Quand Horace dit à Auguste : « les Gaulois qui mé» prisent la mort mettent bas leurs armes, dès qu'ils en» tendent prononcer votre nom» ; le poëte ne veut pas dire que les Gaulois se battaient en duel, il ne voulait que faire sa cour à l'empereur, et relever la valeur des Romains, en montrant celle de leurs ennemis. Il y a deux mille ans que l'on disait en Europe: non paventis funera Galliæ, et on le dira dans deux mille ans encore; mais alors il ne sera plus question du Duel. L'histoire seule en parlera comme d'un long égarement de l'imagination de l'homme et des autres fléaux qui ont désolé la terre.

Ainsi, le Duel, ce que beaucoup de personnes ignorent, n'appartient pas aux siècles que nous appelons barbares. Sa date est moderne; il n'a commencé en

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