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c'est un Dieu formé sur le modèle de la divinité de Spinosa, tuant, égorgeant les humains avec l'arme de l'athéisme ou du matérialisme.

L'on conçoit que notre révolution est venu étendre, d'une manière prodigieuse, l'empire de cet inconcevable tyran, en lui donnant des millions d'esclaves qu'il n'avait pas, et multipliant les occasions d'exercer ses ravages. Mais, toutefois, il a été, sous cette dernière période, contenu par une cause que l'on n'eût pas soupçonné capable d'un si grand bienfait. Sa férocité a été suspendue par la guerre; oui, par la guerre. L'ame du Français qui défend son pays est absorbée par les sentimens que cette défense lui inspire, tout ce qui est vil et bas, tout ce qui est crime, tout ce qui est contre l'humanité, n'approche ni de son esprit, ni de son cœur. O guerre ! tu n'es donc pas tous les fléaux réunis, puisque tu as la vertu d'en suspendre un autre, qui est le plus grand ennemi de la patrie comme de l'humanité !

Tel a été l'état des choses jusqu'à la publication de nos derniers codes, dans lesquels ne se trouve aucune disposition textuelle sur notre espèce, quoique le décret du 29 messidor an 2 eût chargé le comité de législation de proposer les moyens d'empêcher les duels, et la peine à infliger à ceux qui s'en rendraient coupables.

Ce silence de nos législateurs a fait naître une question, sur laquelle sont divisés nos premiers magistrats je vais rendre compte de ce grand débat,

Etat de notre jurisprudence sur le Duel,
depuis 1811.

SELON plusieurs de nos cours royales, le duelliste qui a tué son adversaire, doit être poursuivi ou puni comme meurtrier, et s'il ne lui a pas donné la mort, il doit l'être pour tentative de meurtre.

Selon les autres, au contraire, le duel n'est ni crime ni délit.

L'on est étonné, au premier aperçu, de voir un partage d'opinions si fortement prononcé entre des jurisconsultes également distingués par leurs lumières et leurs vertus; mais en y réfléchissant de près, je me suis convaincu que dans cette opposition, il y a plus d'apparence que de réalité, et que les apologistes du duel s'abusent étrangement dans les conséquences qu'ils tirent, ou les avantages qu'ils s'en promettent. Quoi qu'il en soit, voici les argumens qui se présentent de part et d'autre, et font la matière de cette controverse, digne à tous égards de la plus sérieuse attention.

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1o Notre code pénal, disent les partisans de la mière opinion, contient des dispositions précises sur le meurtre volontaire : rien n'est plus volontaire que duel, donc le duelliste qui a tué son adversaire, a réellement commis un meurtre volontaire.

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2o Si par le résultat des chances du duel, la mort n'en

est pas le résultat, que nous présente une telle action? Elle nous montre, de la part de chaque duelliste, une tentative demeurtre bien manifeste, laquelle n'a manqué son effet que par des circonstances fortuites et indépendantes de la volonté de ses auteurs. Faites attention à ces expressions de l'art. 1er, no 2 du code: toute tentative......

3o L'on ne peut, dans le cas dont il s'agit, argumenter des termes de l'article 4, d'après lesquels nul crime ne peut étre puni de peines qui n'étaient pas prononcées par la loi avant qu'il fût commis. Cet article ne peut s'appliquer au duel, puisque l'article 304 porte, sans faire aucune exception....... celui qui sera coupa ble de meurtre sera puni des travaux forcés à perpétuité.

4o Le duel n'est qu'un mode par lequel un homme peut en tuer ou blesser un autre; or, les modes quels ils soient, ne changent pas la substance des choses. Supposons que deux hommes se battent avec telles ou telles pierres, avec tels ou tels bâtons dont ils sont convenus, ces manières de se battre, sans contredit, different toutes les unes des autres, mais chacune d'elles donnera pour résultat le même crime ou le même délit, c'est-à-dire, ce sera toujours ou la mort ou des bles

sures.

5o Argumenterait-on de ce que le duel est l'exécution d'une convention ? mais combien ce raisonnement serait peu concluant? En effet, que deux hommes conviennent

de se battre avec des armes, autres que des épées ou des pistolets, et que l'un des deux vienne à rester sur le carreau, il y aura évidemment là un meurtre, nonobstant la convention et la simultanéité de l'attaque et de la défense. Eh bien, pourquoi n'en serait-il pas de même de l'action appelée vulgairement duel; car celle-ci n'est autre chose, quoi qu'on en dise, qu'un combat entre deux personnes avec des armes quelconques; elle n'est qu'une espèce dans le genre.

6o Selon la loi 38, de pænis, aux Pandectes, liv. 48, tit. 49, quiconque fait tort à autrui par une action, que cependant il ne croyait pas mauvaise, doit être condamné aux travaux forcés ou à la déportation, et si la même action a causé la mort, il doit être puni de la peine capitale. Qui, V. G. abortionis, aut amatorium poculum dant, etsi dolo non faciant, tamen quia mali exem• pli res est, humiliores in metallum, honestiores in insulam, amissá parte bonorum relegentur. Quod si eo mulier aut homo perierit, summo supplicio affi

ciantur.

Puffendorff, chapitre 3, de la Moralité des actions humaines, p. 30, liv. 1er, après avoir raisonné sur cette loi, en conclut, par analogie, que le duelliste, qui n'a que le dessein de blesser son adversaire, doit, s'il vient à le tuer, être traité comme son meurtrier, car il savait très-bien que le duel pouvait, même malgré sa volonté, amener un tel résultat. Ainsi, nous, par un raisonnement d'à fortiori, devons conclure que le duelliste (ayant toujours la volonté de tuer son ad

versaire) est réellement, s'il le tue, son meurtrier. Celui-ci est évidemment plus coupable que celui-là, puisque, dans cette dernière espèce, il y a concilium et eventus, et que, dans la première, il y a seulement eventus sine concilio.

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Montesquieu est du même avis, car tout en critiquant les édits de nos rois contre le duel, cet illustre publiciste pensait que les duellistes, sans examiner le résultat de l'action, pouvaient être punis par l'amputation de la main. Quand on a fait, dit-il, dans le siècle passé, des lois capitales contre les duels, peut-être aurait-il suffi d'ô»ter à un guerrier sa qualité de guerrier, par la perte » de la main, n'y ayant rien ordinairement de plus triste » pour les hommes, que de survivre à la perte de leur caractère. Chap. 24, p. 201.»

Voilà, certes, un sentiment bien conforme à celui de Puffendorf, car l'amputation de la main ne peut être que la peine d'un grand crime.

C'est, sans doute, d'après ces motifs et autorités, que plusieurs de nos cours royales ont jugé que les duellistes devaient être mis en jugement, comme accusés de meurtres ou de blessures volontaires; mais quoique ces raisonnemens soient forts en logique, la cour suprême n'a pas cru devoir les adopter; voici ceux qu'elle leur oppose en droit positif. « Le duel est un combat qui a lieu entre >> deux hommes en suite d'une convention librement ar» rêtée entre eux. Par cette convention, les combattans » se trouvent placés sur la même ligne, sous le rapport de l'attaque et de la défense; ils sont parfaitement égaux,

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