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et Dieu sont des corrélatifs nécessaires, tels que sont entre eux père et fils ; et l'être libre, par la seule prérogative de la liberté, est nécessairement sujet d'une puissance supérieure à laquelle il doit compte de l'usage qu'il en fait; sans cette sujétion, la liberté elle même, considérée seule, et sans aucune relation avec cette puissance, serait le plus funeste de tous les dons, ou plutôt ne serait qu'un instrument de destruction mis entre les mains d'un enfant, et l'être libre serait au-dessous de la brute, car la brute, n'étant abuser de ce qu'elle n'a pas.

pas libre, ne peut

Ainsi, vous voilà convaincu que le duel est une transgression criminelle, lors même que les lois civiles ont la lâcheté de ne pas le punir.

4o Selon un autre principe (qui est encore une conséquence immédiate de la liberté), l'être libre est chargé de faire son bonheur (voilà évidemment sa destination); et quoique, par un sentiment irrésistible, qui est l'amour de soi, il soit entraîné vers le bonheur en général, il a, par la liberté, le choix des moyens qui doivent lui procurer le sien personnel. Par suite de cette règle évidente, puisqu'elle est celle de son instinct, l'homme doit éviter le duel, comme une mesure subordonnée au hasard, et se dire à lui-même, que les chances de éelui-ci ne peuvent, sous aucun rapport possible, se rattacher au principe de l'honneur, lequel doit être fixe, quelque soit l'idée que l'on s'en fasse, ou la nuance qu'on veuille lui donner; il y a plus, pour peu qu'il réflé

chisse, il sera bientôt convaincu que ces deux mots, honneur et duel, offensent la raison par la plus choquante des contradictions; en effet, le premier nous réjouit, ou nous console, en nous rappelant toutes les idées de grandeur d'âme, de générosité, de pardon, etc., et mettant sous nos yeux les images de tout ce qui est bon, de tout ce qui est beau, tandis que l'autre ne fait que nous accabler par les cruelles affections de la vengeance, de la destruction et du désespoir; ainsi ces deux mots, loin de pouvoir être accolés, se combattent mutuellement et s'entre-détruisent. Hé bien ! n'est-ce pas là une démonstration géométrique? n'estpas contraire à la marche des choses morales, que l'être doué d'une intelligence ordinaire, qui l'aura écoutée avec un tant soit peu d'attention, puisse jamais l'oublier?

il

Mais sortons de la théorie, et voyons ce que produisent tous les duels sans exception: celui des deux champions que le dieu Hasard a favorisé, est-il heureux, ou du moins a-t-il ce calme, cette satisfaction intérieure qu'éprouve toujours l'homme qui a rempli un devoir pénible, ou qui a obéi à un tyran farouche et inexorable? Non: loin de là, son triomphe lui fait horreur; il vient d'immoler, à une puérile vengeance, un frère d'armes, un ami, un citoyen utile à la patrie; son sort est lié à celui du premier fratricide de la terre; il s'est fait à lui-même son supplice, quand même la loi de son pays ne le punirait pas; et quoiqu'il fasse, ce supplice ne le quittera qu'avec la vie, naturam ho

minis aspernatus est et eo ipso luet pænas maximas, etiam sicætera supplicia quæ putantur, effugerit, etc. Mais laissons là ce vainqueur et sa hideuse victoire, vous allez sans doute (dans une affaire toute d'honneur), honorer la mémoire du vaincu, vous allez répandre quelques fleurs sur sa tombe, consoler ses mânes plaintifs! eh bon dieu! cette idée ne vient pas se présenter à votre esprit; les honneurs de la terre fuient l'homme tué dans un duel, plus que celui qui a porté sur lui-même une main homicide. L'on dit tous les jours, le malheur est une chose sacrée, mais dans cette honorable circonstance le proverbe sera menteur; la manière dont ce malheureux a terminé sa carrière, a effacé toutes ses vertus, fait oublier tous ses services, et même elle permet à la société d'être ingrate et injuste: celui qui n'est plus a tous les torts, c'est lui dont la témérité ou l'imprudence a ame né cette catastrophe; le vainqueur n'est point coupable, etc., etc. Ne sont-ce pas là, les discours. que vous entendez à la suite de tous ces événemens; et si la preuve évidente des faits force à tenir un langage contraire, à reconnaître que le vainqueur est le seul coupable, alors tout le monde, réduit au plus morne silence, comme frappé de la foudre, ne trouve plus de termes pour exprimer combien est malheureuse la nation qui consent à être victime d'une manie aussi inconcevable.

Tels sont les résultats de tous les duels présens, passés et futurs. Où sont donc les élémens avec lesquels il a été possible de les rattacher par un fil quelconque, à

l'idée d'un honneur même faux, vous les chercherez en vain, vous ne les trouverez pas; la nature ne peut être faussée jusque-là.

Je sais bien qu'un autre précepteur attend notre élè ve pour lui donner dans peu des leçons diamètralement opposées; je sais que dans un instant critique, où la passion de la vengeance sera venu frapper, sa jeune imagination; le faux honneur s'y présentera avec tous ses sophismes; mais quels que soient les prestiges de ceux-ci, ils ne feront pas que notre démonstration nait été comprise par des esprits droits et libres de tout préjugé. Ils ne parviendront jamais à détruire les impressions profondes qu'elle aura faites; et si, dans certains momens, d'autres impressions peuvent balancer les premières, celles-ci reviendront scules dominer l'esprit, dès que le calme renaîtra dans l'âme, et ce calme, qui se rétablit tout seul, le sera bien mieux encore, quand la société aura fait son devoir, en rendant justice.

L'on croit ordinairement (et nous le disons tous les jours) que les préjugés peuvent dénaturer toute chose, changer le vice en vertu, la vertu en vice, et déjà les anciens, sur la parole desquels nous l'avons adoptée sans examen, avaient cette croyance.

Nous nous trouvons, disait Cicéron, comme imbus, sans savoir comment, d'inclinations et d'habitudes diverses, en sorte que la vérité et la nature elles-mêmes sont forcées de céder à la mode et à l'opinion. Variis imbuimur moribus et vanitati veritas, et opinioni natura ipsa cedit. Tusculannes, liv. 3; ainsi les plus.

grands hommes ont cru que les préjugés avaient une puissance sans bornes, mais il n'existe pas d'erreur plus grande en philosophie, et qui soit mieux démontrée par l'histoire. Cette puissance n'a jamais existé ; et les incroyables excès que nous voyons non-seulement chez les peuples les plus simples, mais chez ceux qui cultivent avec le plus de succès les sciences et les lettres: ces excès, disons-nous, loin de pouvoir être attribués au préjugé, ne sont que la preuve de notre faiblesse, ou de notre indifférence sur tout ce qui est malheur public, parce que chacun espère qu'il n'en sera pas atteint. L'être perfectible est sans doute accessible à l'erreur; l'ignorance comme les fausses doctrines l'égare, et les mauvais exemples corrompent; mais cependant il préférera toujours la vérité au mensonge, quand on lui fera connaître la différence de l'une à l'autre ; parce que celle-là seconde le sentiment qui l'entraîne vers son bonheur, et que celuici le rend toujours malheureux. Aussi que ne faut-il pas faire pour qu'il embrasse le mensonge! Il faut que ses guides et conducteurs le lui présentent sous les couleurs de la vérité, autrement ils n'y réussiraient jamais: donc il n'est pas de préjugé nuisible ou de coutume vicieuse, fussent-ils aussi anciens que le monde, que les lois et l'éducation ne puissent détruire. Les droits de la nature sont imprescriptibles, et rien, s'il veut s'en donper la peine, ne peut empêcher l'homme de les rétablir.

le

Conclusion de ce chapitre.

L'ANCIENNETÉ du duel chez la nation française, n'est pas une raison pour que son législateur le passe sous si

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