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créer de nouveau, ou peut-être pour la premiere fois. Methodus enim demonftrationis, dit-il, quâ Archimedes in hac materiâ utitur ufquè adeò fecreta eft & involuta, &c. Et plus bas, planè mihi persuaseram verissimam me reperiffe viam quá Archimedes adinvenit, &c. Il étoit perfuadé, comme bien d'autres, que les Anciens avoient caché leur artifice par un nouvel artifice pour fe rendre plus admirables à la posterité: Antiquis enim valdè folemne fuit artificium adinventionis celare, &c.

Mais il eft fort douteux s'il y a eû d'autre finesse de leur part ; & il paroit plus croyable que tout leur Art fe reduifoit à avoir beaucoup de génie & une application d'efprit convenable; & que s'ils ont fupprimé les divers moyens de calcul ou les autres tentatives, dont ils fe font fervis naturellement pour arriver à leur but, ils l'ont fait comme un Architecte ôte les ceintres & les échafauds,& écarte les maffsons après l'achevement de l'édifice.

Que fçait-on même ? l'Edifice de la Géometrie des Anciens a été peut-être encore trop fimple & trop imparfait, pour qu'ils ôtaffent ces ceintres & ces échafauds; & peut-être avons-nous dans leurs Livres tout l'artifice géometrique & toutes les méthodes dont ils fe font fervis, & que nous avons tort d'aller chercher bien loin.

Car fi le calcul eft une méthode ou une maniere utile, un outil pour l'invention, le fecond Livre, & plufieurs autres morceaux d'Euclide ne font qu'un calcul enveloppé, ou plûtôt théorique & purement géometrique. Mais ce n'est-là qu'une maniere en ef

fet & un outil : La comparaison, l'analogie, la proportion, le rapport est une vraye méthode, un inftrument, & comme la chose même en Géometrie, dont tout le fait confifte à découvrir des rapports. Pour méfurer les chofes en effet, il faut les rapporter les unes aux autres, les comparer.

On peut absolument se paffer de calcul dans cette fcience, fi ce n'eft dans la pratique, comme nous avons dit ; & alors même le calcul le plus arithmetique eft fuffifant, le meilleur & le feul bien ufucl. Mais on ne peut s'y paffer de proportions & de rapports bien développés, & en quelque forte bien prononcés. Et alors on ne peut accufer les anciens d'avoir caché leur artifice, puifqu'ils nous ont laiffé une théorie distincte des rapports, & leur usage par tout fenfible.

:

Tout ce qu'on pourroit dire, c'eft que cette théorie étoit fort bornée & fort imparfaite, comme s'en apperçut Gregoire de S. Vincent dès qu'il voulut tenter d'aller plus loin. On pourroit ailément faire voir, dit-il, à la tête de fon admirable Livre des Proportionalités, que la Géometrie eft jufqu'ici fort imparfaite Mutilam in hodiernam diem & imperfectam effe Geometria fcientiam multis argumentis oftendi poßet, atque adeo cultores exquirere qui notitiam rerum fuo labore excludant, &c. Or le point principal fur lequel la Géometrie avoit befoin d'être portée plus loin, c'étoit l'artifice des Proportions: Inter cæteras verò partes quæ necdum prodierunt, adnumerari meritò poteft pars ea omnis que rationum Proportiones continet, & ufum explicat quo Geometricis contemplationibus infervire queat.

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Ce fut donc pour fuppléer à ce défaut de la Géometrie, ou de la méthode Géometrique des Anciens, que cet Auteur composa ce Livre des Proportionalités en 172 Propofitions toutes nouvelles, & qu'il appelle avec raison une nouvelle Géometrie, novam Geometriam concinnare me oportuit ; de nouveaux fecours, novis adjumentis ; de nouveaux Arts, novas Artes pour aller plus loin, felon la devise plus ultra, qu'il a fait fervir d'ame aux Colonnes d'Hercule dans le frontispice de fon Ouvrage.

Tout ce que l'antiquité nous avoit appris fur les proportions, se réduisoit à des rapports de deux termes, & à des proportions de deux rapports rationels & homogenes. Gregoire nous apprit à faire entrer les difproportions mêmes & toutes fortes d'inégalités & de grandeurs heterogenes, incommenfurables, & incomparables même dans les comparaisons ou analogies Géometriques. Il confidera les rapports de rapports, les proportions de proportions,le tout avec facilité par le moyen des expofans ou dénominateurs. Ses proportionalités embrassent jufqu'à 8, 12, 16, ou plus de termes, souvent irrationels & tout-à-fait dissemblables.

Avant lui Viete & divers Auteurs, bornés au calcul & au rationel avoient établi comme une maxime, que le courbe ne pouvoit entrer en comparaifon avec le Rectiligne, l'incommensurable avec le commensurable, l'infini avec le fini, le plan avec la ligne, le solide avec le plan. C'étoit-là une borne posée, non cependant par les Anciens qui avoient quarré la parabole & la lunule & même en un fens le

cercle, & rectifié fa circonference. On ne voit pas même que Descartes, tout Defcartes qu'il étoit, eut pensé à ôter cette borne.

Descartes avoit pris la Géometrie d'un autre côté, du côté des problêmes lineaires ou executables par des lignes, & nullement du côté des quadratures qui font pourtant le vrai côté; le but de la Géometrie étant de mesurer, & par confequent de quarrer, de rectifier, de cuber; & les grandes découvertes de la Géometrie ne s'étant faites, comme bien des gens l'ont obfervé, qu'en vifant à ce but general, comme celles de la Chymie en vifant au grand ouvre qui n'est pourtant qu'un but chimerique; au lieu que les quadratures font un but réel, & même l'unidernier but.

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ne,

Gregoire de S. Vincent qui dirigea tous fes travaux Géometriques de cinquante années vers ce but, sentit son génie captivé par la maxime moderfut pour & ce fut la furmonter qu'il compofa fes proportionalités. L'incommenfurable ne l'arrêta pas. Il fçût éviter l'incommenfurable abfolu, & reduire à des expofans rationels l'irrationel relatif, & l'infini même à des rapports finis.

Car l'infini devint fon objet auffi familier que le fini. Il saisit cet infini par les deux endroits par où le calcul le plus moderne l'a faifi. 1o. Dans le progrès interminable d'une ferie infinie; 2°. en lui-même dans le partage d'une grandeur quelconque en parties infiniment petites.

Son Livre des Series Géometriques en 177 Propositions toutes de lui, eft fans doute un Art nouveau,

& une méthode d'invention qui a fervi de fondement à la principale moitié des nouvelles méthodes de calcul infinitefimal. La grande occupation de ce calcul a été depuis ce tems-là d'exprimer ces feries, tantôt par des nombres Arithmetiques, tantôt par des lettres Algebriques, & enfin par un Algebre Analytique, tout-à-faic transcendante & générale, qui eft l'Ouvrage du grand Nevvton, & où le célebre M. Stirling entr'autres s'eft merveilleufement fignalé.

Mais fi le Livre des Series fut la femence prochaine du calcul moderne de ces Series, le Livre de ductu Plani in Planum, en 246 Propofitions fut celle de la feconde partie des nouveaux calculs, & pour le moins du calcul integral. On peut regarder ce Livre en effet comme un calcul integral de tête & du refte comme un vigoureux effort de génie.

La méthode même qui y regne, de former des corps, même les plus bizares, par une multiplication locale de lignes diversement posées, n'a été developpée qu'à demi par le calcul integral, & la partie du génie qui confifte dans cette pofition, & dans cette multiplication locale a été long-tems rebelle à toutes fortes de calculs, & n'y a été affujetie que depuis deux ou trois années dans le Livre qui traite des courbes à double courbure, & qui n'en eft que plus * M. Clai- eftimable, pour être l'ouvrage d'un jeune Géometre, à qui on eft bien aise de rendre juftice. Car l'Hiftoire de la Géometrie doit être vraye par deux endroits, & parce qu'elle eft Hiftoire, & parce

raut.

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