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et que leur condition s'élève au niveau de celle des maîtres. Il ne s'agit point ici, selon l'expression pittoresque de l'éloquent et à jamais regrettable Garnier-Pagès, de raccourcir les habits pour en faire des vestes; il s'agit au contraire d'allonger les vestes pour en faire des habits, il s'agit de rendre le travail du prolétaire assez fructueux pour subvenir à son entretien journalier, et lui permettre, par des économies, de se former un capital; il s'agit, en un mot, de relever le taux des salaires du peuple sans nuire aux intérêts de la bourgeoisie qui fournit ces salaires.

Mais quelle voie suivre pour atteindre un semblable résultat? Par quels moyens rendre profitable à tous le travail de tous? Comment généraliser et répandre dans les masses les nouveaux capitaux produits par l'industrie, et qui, détournés par leur agglomération en quelques mains de leur destination providentielle, tendent à constituer une féodalité nouvelle, plus dangereuse cent fois que ne l'était l'ancienne? Ces moyens, qui sont divers, ont été indiqués avec une rare clarté d'expression par un jeune économiste d'un grand mérite (1): l'un des plus efficaces et le seul dont nous aurons à nous occuper ici, celui dont l'action sociale pourra devenir la plus vaste et la plus féconde, dérive de la vapeur elle-même et des nombreuses applications qui en ont été faites.

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Nous avons vu en effet que la vapeur, devenue le grand moteur universel, fera disparaître de nos sociétés ce même antagonisme qu'aujourd'hui elle tend accidentellement à accroître, parce qu'elle donnera à tous les travailleurs la possibilité d'acquérir une part équitable et nécessaire dans la répartition

(1) M. G. de Molinari. V. l'opuscule intitulé : Des moyens d'améliorer le sort des classes laborieuses, in-8, février 1844. Parmi ces moyens, celui qui semble devoir le mieux remplir son objet. et qui nous a le plus frappé par les avantages qui résulteraient inévitablement de son emploi, c'est la publicité du travail par l'établissement de bourses spéciales, qui seraient pour les transactions des travailleurs ce que sont les bourses actuelles pour les opérations des capitalistes. Sans contredit, cette idée, qui répond à l'un des plus urgents besoins de notre époque, est de nature à recevoir une grande et féconde application.

du capital social, considérablement accru par la rapidité et par l'économie de la production. Cet accroissement du fonds social, en facilitant la multiplication des instruments perfectionnés de travail, donnera à toutes les branches de l'atelier national une impulsion puissante; les travaux agricoles alors, aidés du concours d'un gouvernement qui ne pourra guère rester inintelligent et stationnaire au milieu du progrès général, recevront des améliorations équivalentes à celles qui ont causé une si étonnante révolution dans la fabrication industrielle. De ce moment, ces deux grandes sources de la prospérité des Etats, s'unissant au lieu de se combattre, feront converger tous leurs efforts vers un seul et même but: l'accroissement à la fois rapide et régulier de toutes les branches de la production.

Mais, nous l'avons vu également, la puissance nouvelle n'est pas destinée seulement à servir aux travaux de la production industrielle: appliquée comme moteur aux grandes voies de communication, elle dotera l'humanité de bienfaits non moins importants. Plus loin (1), nous aurons à déterminer l'importance et l'action civilisatrice des voies de communication en général, comme moyen de transport des personnes et des choses; mais n'ayant à nous occuper ici que de l'influence qu'exerceront sur l'amélioration du sort des classes laborieuses les voies de communication desservies par la vapeur, quelques observations sur le mode de formation des produits ne seront pas inutiles à l'intelligence des considérations que nous avons à émettre sur cet objet important.

Pour être mises à la portée du producteur et du consommateur, foutes les denrées, tous les objets indistinctement, exi

(1) V. p. 39 l'Examen comparatif des grandes voies de communication.

gent des frais qui peuvent être rangés en deux classes bien distinctes, les frais de transport proprement dits et les frais

commercinux.

Les frais de transport dépendent du poids et de la valeur du produit, et surtout du degré de facilité des voies de commanication, du tirage qu'elles occasionnent et de l'économie du moteur qui s'y trouve employé. Dans l'état actuel de l'industrie des transports, les frais de déplacement doublent, triplent, quadruplent même en certains cas la valeur des produits, et absorbent ainsi la plus grande partie des forces employées dans l'atelier national. Améliorer cette industrie par le perfectionnement des voies de communication, c'est donc diminuer les frais de transport, c'est-à-dire la partie la plus importante des frais de production, et réaliser sur ces frais, essentiellement parasites, une économie dont toutes les autres industries et tous les consommateurs indistinctement doivent en même temps profiter.

Toute espèce de frais indépendante du transport, exigée par un produit pour arriver de l état où la nature le donne dans les mains de l'industriel qui le façonne, et ensuite dans celles de l'individu qui le consomme, rentre dans la catégorie des frais commerciaux; chaque produit subit en effet dans sa route un grand nombre d'opérations, dont les frais s'ajoutent à la valeur primitive, et en élèvent sensiblement le taux (1). Ces frais disparaissent ou sont considérablement réduits lorsque le transport s'effectue promptement.

Si donc le déplacement des produits s'opère à la fois avec économie et vitesse, il se manifestera dans les frais commer

(1) Les frais commerciaux se composent de l'intérêt du capital représentant la valeur des marchandises durant le transport, ainsi que des droits d'emmagasinage, de primes contre les chances commerciales courues, contre les détériorations durant le transport, contre l'infidélité des voituriers, etc., des droits d'entrepôt, d'emballage, etc., etc., etc. Les éléments de ces frais sont si nombreux et sujets à tant de variations, qu'ils deviennent presque toujours pour le commerçant l'objet des plus cruels mécomptes.

ciaux et dans ceux de transport proprement dits, une diminution considérable. Cette diminution, jointe à celle résultant déjà de l'application directe de la vapeur à la production, opérera dans le prix définitif des produits une baisse proportionnelle qui augmentera considérablement le chiffre de la consommation en rendant ces produits accessibles à toutes les classes de la société. C'est dans ce sens que l'application de la vapeur à la locomotion constitue le plus puissant moyen d'accroître l'aisance et la prospérité d'un pays: car la richesse et le bien-être, c'est la production abondante et peu coûteuse, c'est l'échange aux moindres frais possibles des divers objets qui sont le résultat de la production, c'est, pour tout dire en un mot, l'etablissement de rapports intimes et immédiats entre la production et la consommation, ces deux éléments essentiels de la vitalité d'un pays.

Ainsi, pour ne citer qu'un fait restreint et relatif à notre commerce intérieur, il est bien évident que la France, indépendamment de la richesse de son sol, est aussi riche, plus riche même qu'aucun autre pays d'Europe en travailleurs habiles, en matières premières, en métaux, en bois, combustibles, etc. Tout cela, aux lieux de production, coûte moins que dans beaucoup d'autres pays, qu'en Angleterre surtout, et la France cependant ne peut soutenir même la concurrence intérieure, parce que les frais de transport s'ajoutent dans des proportions trop considérables à la valeur primitive des produits lorsqu'ils arrivent aux lieux de consommation ou d'exploitation. Il n'est qu'un seul remède à opposer à un tel „état d'infériorité : c'est d'établir des chemins nombreux et bien entretenus, qui diminuent les frais de production sans diminuer les profits du producteur, des chemins qui relient les campagnes aux grandes artères commerciales, aux routes, aux canaux et aux rivières; il faut, et par-dessus tout, des chemins de fer, afin de pouvoir opérer les transports avec économie et rapidité. Arrivés là, nous verrons tous les produits diminuer de valeur sans que le producteur y perde, la consommation augmenter par suite de la diminution du prix de

production, et le salaire de l'ouvrier, tout en restant le même, subir une augmentation considérable par le seul fait 'des améliorations successives dont le monde matériel aura été

l'objet.

Examinons par quels ressorts l'état actuel des relations sociales viendra à être ainsi transformé.

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En général, les produits de l'agriculture présentent une petite valeur sous un grand volume, et les frais de transport ont par conséquent une grande influence sur leurs prix de revient aux marchés de consommation. Souvent aussi on est obligé de consommer sur les lieux mêmes où ils sont cultivés certains produits du sol, parce que la lenteur des véhicules ordinaires de transport occasionne leur prompte détérioration. La cherté et la lenteur de la locomotion exercent donc, de tous points, une influence fâcheuse sur le prix des objets de consommation. Il résulte de ce fait, dont les conséquences sont également désastreuses pour le peuple des campagnes et pour la population des villes, que les matières agricoles se vendent à des prix excessivement bas dans la plupart des lieux de production, et ne rémunèrent point par conséquent dans une mesure suffisante les ouvriers employés à la culture des terres, tandis, au contraire, que dans les grands centres de consommation leur cherté devient extrême et cause en partie le malaise de la classe laborieuse. La locomotion rapide et peu coûteuse de la vapeur changera complètement cette situation; elle rendra les prix des substances alimentaires à la fois plus modérés et plus uniformes, et contribuera, en ce sens, d'une manière efficace à améliorer la condition des classes pauvres.

Les chemins de fer exerceront sur le taux des salaires une influence non moins bienfaisante. La concurrence extrême des travailleurs et leur excèssive agglomération dans certains grands centres d'industrie sont les principales causes de la dépréciation des salaires. Lorsqu'un ralentissement survient

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