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effectuer économiquement des transports par eau, faut-il se résoudre à une extrême lenteur lorsqu'on se sert du halage, ou à toutes les incertitudes du caprice des vents, si l'on emploie ce moteur. L'invention des bateaux à vapeur (1) fournirait les moyens de surmonter cet inconvénient, si, par des raisons que nous allons exposer, leur circulation n'était impossible sur les canaux et extrêmement difficile sur la plupart de nos fleuves, garnis d'écueils et dépourvus de la quantité d'eau nécessaire à cette navigation.

Les voies navigables sont de deux espèces : les unes naturelles, ce sont les fleuves et les rivières; les autres artifi

■ystème des bateaux rapides, traînés par des chevaux à une vitesse de 4 mètres par seconde. Toutefois, comme cette vitesse économique n'est possible qu'autant que la charge est très-faible et que les bateaux rapides ne sont susceptibles que d'une application peu étendue, notre remarque générale subsiste dans toute sa force.

(1) PAPIN doit être considéré comme le véritable inventeur des bateaux à vapeur. L'emploi des roues à aubes et à palettes, mues par la vapeur, fut en effet proposé par lui dans le Recueil de diverses pièces touchant quelques nouvelles machines, p. 57 à 60, imprimé à Cassel en 1695, c'est-à-dire quarante-deux ans avant l'apparition des écrits de JONATHAN HULL, que les Anglais regardent généralement comme le seul auteur de cette invention. Mais c'est seulement en 1776 que le problème de la navigation à la vapeur fut complétement résolu par CLAUDE DE JOUFFROY, lequel fit naviguer sur le Doubs, au milieu d'obstacles de tout genre, un bateau que mouvait une pompe à feu ou machine à simple effet. Passant ensuite de l'essai à l'application en grand, cet homme ingénieux fit construire sur la Saône un nouveau pyroscaphe, long de 46 mètres, lequel remonta, de Lyon à l'île Barbe, le courant de la Saône, en présence de plusieurs milliers de spectateurs. Ce succès obtenu, il s'adressa aux ministres d'alors pour obtenir le privilége de sa découverte; mais il n'éprouva dans ses démarches qu'humiliations et refus. La révolution éclata bientôt ; elle força M. de Jouffroy d'émigrer et d'abandonner une invention que quelques perfectionnements de détail eussent permis de généraliser et de mettre en pratique.

Ces perfectionnements furent réalisés par l'Américain ROBERT FULTON, qui en 1802 reproduisit le bateau de M. de Jouffroy, et en fit avec succès l'épreuve sur la Seine, à Paris, en présence des membres de l'Institut et d'un concours nombreux de spectateurs. On sait comment Bonaparte méconnut et repoussa Fulton, qui eût pu lui faire conquérir l'empire des mers. Découragé, l'inventeur quitta la France, et fut porter aux Etats-Unis le fruit de ses observations. Son premier bateau fut lancé sur l'Hudson en 1807, et de ce moment la cause de la vapeur appliquée à la navigation fut définitivement gagnée. Un dernier pas restait encore à franchir, c'était l'application de la vapeur à la navigation maritime. En 1811 un service régulier fut établi par Fulton lui-même entre New-York et la Providence. Deux années après, un vaisseau mû par là vapeur traversa en vingt jours l'Atlantique, de New-York à Liverpool.

cielles ou creusées par la main des hommes, ce sont les canaux. Chacune d'elles possède un caractère et des avantages distinctifs que nous allons examiner.

Des fleuves et rivières.

Les fleuves, a dit Pascal, sont des chemins qui marcheni et qui portent où l'on veut aller. Cette définition, vraie dans un sens, celui de la descente, ne l'est pas au mème degré dans le sens opposé, celui de la remonte. Elle demanderait également pour pouvoir être généralisée, que les fleuves jouissent en toute saison du tirant d'eau nécessaire pour porter des bateaux à vapeur d'une grande capacité, complétement chargés de voyageurs et de produits, Lorsqu'il en est ainsi, ces moyens de transport présentent, lorsque le courant est modéré, une facilité à peu près égale à la remonte et à la descente; ils possèdent une vitesse qui, sans être comparable à celle des chemins de fer, est néanmoins très-considérable, et enfin, quant au bon marché, ils l'emportent sur tous les autres pour le transport des voyageurs, et les égalent, ou peu s'en faut, pour le transport des marchandises. Malheureusement la navigation à vapeur, qui, sur les immenses cours d'eau de l'Amérique et sur les fleuves de l'Afrique et de l'Asie, est appelée à rendre à la cause de la civilisation de si éminents services, la navigation à vapeur, dans nos contrées, n'est possible que sur un très-petit nombre de fleuves et par des bateaux de petite dimension, faiblement chargés.

Cette situation fâcheuse dérive d'un fait exceptionnel, conséquence inévitable des développements successifs de notre agriculture. Les forêts, qui jadis couvraient la majeure partie des terres et couronnaient le sommet des montagnes, avaient pour mission de conserver les eaux sous leur ombrage protecteur et de former comme des modérateurs naturels destinés à retenir ce fluide sur la superficie du sol. C'est ainsi qu'était mesurée, si l'on peut ainsi parler, l'alimentation régulière et constante de nos cours d'eau. Le déboisement progressif du sol ayant eu pour résultat d'altérer peu à peu la plupart des sources qui formaient cette alimentation, nos rivières et nos fleuves ont vu leur niveau d'eau s'abaisser et leur cours fréquemment obstrué

par des bas-fonds (1), ou troublé par des rapides ou des chutes, sources incessantes d'accidents et de dangers.

Ces imperfections ont été atténuées et surmontées en partie par l'établissement de travaux dans le lit des rivières. On a suppléé à leur pénurie d'eau par le moyen de barrages, qui, en relevant et retenant les eaux, augmentent artificiellement la profondeur du fleuve (2); on a remédié aux autres inconvénients, en creusant latéralement au cours d'eau, aux endroits dangereux ou difficiles, des canaux de dérivation destinés à le remplacer. Si l'on considère, d'une part, que le perfectionnement du lit de nos fleuves serait d'une exécution facile et peu coûteuse, et de l'autre, combien seraient considérables les avantages de toute espèce que les populations riveraines en retireraient, on ne pourra s'empêcher de déplorer hautement qu'ils ne soient point, de la part de nos gouvernants, l'objet d'une plus active sollicitude. Si de louables efforts ont été faits pour améliorer le service des routes de terre, en revancke, il · est tel de nos fleuves qui se trouve aujourd'hui encore dans le même état d'abandon qu'il y a deux siècles. Quelques-uns seulement, la Seine, la Loire, la Saône, le Rhône et la Garonne (3), sont parcourus par des bateaux à vapeur, ingénieusement appropriés au régime de leurs eaux. Malgré le déplorable état de leur lit, qui ne les rend praticables que pour le transport des voyageurs seulement, des résultats surprenants ont été obtenus de leur exploitation. On a vu des transports s'opérer à la vitesse de six lieues à l'heure, et au prix singulièrement modique de deux centimes et demi par kilomètre. C'est le tiers du prix des voitures publiques avec une vitesse

(1) Endroits où l'eau n'offre plus assez de profondeur pour le tirage des ba

teaux.

(2) Les anciens barrages présentaient un grave inconvénient, celui d'augmenter, en relevant le niveau des eaux, le danger des inondations pendant les crues. Le barrage mobile de M. l'ingénieur Poirée, dont plusieurs applications ont démontré l'efficacité, remédie complétement à cet inconvénient : il se dresse en juin ou juillet, au moment des plus basses eaux, dont il relève immédiatement le niveau, et s'abaisse au fond de la rivière en automne, à l'approche des pluies, sans laisser aucune trace dans le courant.

(3) La Marne, l'Oise et la Moselle sont également desservies par des bateaux à vapeur; mais le service y est fréquemment interrompu par le mauvais régime de ces rivières.

double, et la moitié de celui des chemins de fer en France avec une vitesse presque égale. Ces résultats, quelque avantageux qu'ils soient, peuvent à peine être comparés à ceux que voient réaliser chaque jour les grands cours d'eau d'Amérique, mais ils suffisent pour donner une idée des immenses avanta ges que la France retirerait de l'amélioration de ses principaux fleuves, dont le parcours est si étendu, et de celle de leurs nombreux tributaires, qui embrassent et desservent, par leur heureuse disposition, plus des trois quarts de l'étendue et de la population du pays.

Un grave inconvénient des cours d'eau naturels, et qui tend à réduire la somme des avantages que l'on peut en attendre, c'est qu'ils se trouvent exposés aux fâcheux effets de l'inconstance des saisons d'un côté à des crues extraordinaires pendant lesquelles la navigation devient périlleuse; de l'autre, à des sécheresses qui la rendent impossible. De plus, comme les fleuves suivent presque toujours, en se dirigeant vers la mer, une direction parallèle, ils sont impuissants à former un système complet de navigation. Il était nécessaire cependant de faire profiter des avantages de la communication par cau les contrées intermédiaires qui en étaient privées; de réunir les différents bassins (1) à travers les chaînes de montagnes qui les séparent, afin qu'ils pussent librement échanger leurs produits et établir entre les principaux marchés situés sur le bord des grands fleuves l'équilibre nécessaire aux transactions commerciales.

Tel a été le but de l'établissement des voies navigables artificielles, nommées canaux, et dont on peut à la fois régler le volume d'eau, la direction, les dimensions et la pente. Nous aurons à déterminer les propriétés qui les distinguent; nous

(1) On sait que l'expression de bassin d'une rivière ou d'un fleuve s'applique à la superficie totale de la région dont les eaux, permanentes ou accidentelles, tendent à s'écouler dans le lit de la rivière. Si, par exemple, l'on considère deux cours d'eau dont les bassins sont contigus, tels que la Seine et la Loire, il y aura nécessairement dans la région comprise entre les lits de ces fleuves une suite de points où l'écoulement pourrait s'opérer indifféremment vers l'un ou vers l'autre. La ligne qui passe par tous ces points, et qui sépare les deux bassins, s'appelle ligne de partage des eaux ou ligne de faîte. Les portions des deux bassing comprises entre la ligne de partage et les lits des fleuves, sur l'une ou sur l'autre rive, sont des versants.

exposerons ensuite brièvement ce que nous connaissons de leur histoire, et nous terminerons en examinant comparativement quels sont, dans l'ensemble des transports, les avantages que présente la navigation des fleuves et celle des ca

naux.

Des canaux.

Un des grands inconvénients que les fleuves présentent à la circulation des bateaux ordinaires, c'est le coût et la difficulté de la remonte, laquelie se fait ordinairement au moyen du halage, par des hommes ou des chevaux placés sur la rive. La résistance au halage étant d'autant plus considérable que la pente est plus forte, on conçoit l'immense avantage que les canaux, qui n'ont ni pente ni courant, présentent sur les fleuves et les rivières (1). Un autre avantage qui recommande non moins puissamment les canaux, c'est que la navigation y est à peu près indépendante de la marche des saisons: ils n'ont rien à craindre des crues d'eau, les écluses ayant pour effet de maintenir le fluide au niveau nécessaire. De plus, ils sont complétement à l'abri des sécheresses, et le plus faible cours d'eau suffit pour les alimenter. Mais ce qui constitue leur avantage essentiel, c'est qu'en servant à relier les fleuves et les rivières et à franchir les faîtes qui les séparent, ils apportent au système de navigation intérieure d'un pays la plus prodigieuse extension; c'est qu'à l'aide d'un nombre suffisant d'écluses, on les établit dans toutes les directions et à toutes les hauteurs possibles, et que par ce moyen ils font entrer dans la grande voie de prospérité que la civilisation ouvre à tous les peuples, les vastes et nombreuses contrées que sous ce rapport la nature avait entièrement déshéritées.

(1) Ainsi, tandis que dans la pratique un cheval peut traîner :

Sur une route royale bien entretenue

Sur un chemin de fer

Sur un fleuve d'une forte pente, comme le Rhône

900 kilog.

5,500

6,500

Sur un fleuve d'une pente assez douce, comme la Seine 20,000

la charge d'un cheval sur un canal suffisamment pourvu d'eau peut s'élever à 75,000 kilog. Il est même plusieurs canaux dans les départements du nord où il n'est pas rare de voir un seul cheval attelé à un chargement de 100,000 kilog.

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