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RÉSUMÉ HISTORIQUE. Il est toujours prudent de borner les recherches à ce qu'il est possible de découvrir. Nous n'essayerons donc point de remonter jusqu'à l'origine de la navigation, et, abandonnant d'avance le point, vivement contestė, de savoir si elle a débuté sur les fleuves avant d'entrer en possession des mers, nous nous bornerons à mentionner brièvement, quant à l'historique des canaux, les faits essentiels confirmés par l'histoire.

Les premiers dont il soit parlé sont ceux de l'Egypte. Ils étaient très-nombreux; mais quelques-uns seulement, tels que celui du lac Maréotis et celui de l'isthme de Suez, servaient à la navigation : la plupart avaient pour but essentiel de répandre sur le sol desséché de cette contrée les eaux surabondantes du Nil. C'étaient de simples canaux d'irrigation.

L'irrigation des terres et l'assainissement du sol par l'écoulement des eaux furent aussi le principal but des grands travaux de canalisation entrepris par les Romains. A cette époque et jusqu'aux premiers temps de la période moderne, on ignorait l'art de maîtriser complétement les eaux. Les canaux étaient de véritables rivières artificielles ; ils présentaient l'apparence des cours d'eau naturels, et étaient nécessairement soumis à leurs inconvénients et à leurs dangers.

Les irruptions de barbares qui signalèrent la décadence de l'empire romain, exercèrent sur l'établissement des canaux des effets identiques à ceux que nous avons signalés dans le précédent aperçu des peuples habitués à des migrations successives, n'ayant qu'une faible confiance dans la durée de leur possession, ne pouvaient songer à entreprendre des travaux dont l'accomplissement exige une foi inaltérable dans l'avenir. Dans les siècles qui suivirent, on ne vit exécuter que des travaux insignifiants: le rétablissement du canal des marais Pontins, par l'illustre Théodoric, roi des Goths, quelques travaux entrepris par Charlemagne pour joindre le Rhin au Danube et aussitôt abandonnés, telles sont les seules entreprises sérieuses de canalisation que l'on puisse mentionner depuis la formation de l'empire d'Occident jusqu'au commencement du XVI. siècle.

Et ce fait se concevra aisément, pour peu que l'on envisage le caractère de la civilisation primitive chez les différents peuples. Lorsqu'en effet les hommes commencent à passer de

l'état de barbarie à celui de civilisation, qu'ils abandonnent la vie errante pour s'attacher au sol, leur situation pendant fort longtemps encore conserve le caractère d'une complète immobilité. Ils ne communiquent point avec le dehors; l'agriculture et les arts industriels, encore en enfance, absorbent toute leur activité; les loisirs leur manquent pour se déplacer. Comme il n'y a de relations suivies qu'entre la cité et les campagnes qui l'entourent, c'est seulement dans cette sphère resserrée, dans cet horizon rétréci, que les échanges s'opèrent (1). Mais lorsqu'au XVIe siècle les progrès de l'esprit humain eurent reculé les bornes de cet horizon, un besoin tout nouveau d'action et de mouvement saisit les sociétés; elles voulurent communiquer entre elles et échanger les produits du sol à de plus grandes distances, plus facilement, plus sûrement et à moins de frais. C'est alors qu'une admirable invention, celle des écluses, vint satisfaire ce besoin et faire profiter de la communication par eau les contrées les plus distantes, celles-là même que la nature semblait avoir voulu priver éternellement de ce bienfait.

C'est à l'usage des moulins mus par des chutes d'eau, qui s'introduisit en Occident vers la fin du Ive siècle, et par suite à celui de barrer le cours des rivières pour créer ces chutes, que l'on peut attribuer l'idée première de l'invention des écluses, attribuée, à deux frères mécaniciens de Viterbe. Néanmoins ce n'est pas à l'Italic, mais à la France qu'il était réservé d'en faire les plus utiles applications; c'est la France qui a entrevu et proclamé pour la première fois les avantages qu'on pouvait en tirer, avantages qui ne consistent pas seulement dans une plus grande sécurité pour les bateaux à leur passage d'un bief (2) dans un autre, mais aussi, et surtout, dans

(1) Jusqu'à un certain point, l'on retrouve aujourd'hui encore ce caractère de la civilisation primitive dans un grand empire d'Asie, qui est demeuré immobile et debout, spécimen vivant des anciens âges, au milieu des révolutions progressives des sociétés humaines. Les Chinois ne se déplacent point : ils vivent dans le coin de terre où ils sont nés, à moins que la famine ne les oblige à émigrer. Aussi les routes leur sont-elles à peu près inconnues. Des canaux suffisent à leur activité.

(2) Nom donné sur les canaux à chaque espace de niveau compris entre deux

écluses.

la faculté de réduire dans une très-forte proportion la dépense d'eau nécessaire et d'établir la navigation sur tous les points et à toutes les hauteurs où surgit la plus faible source d'eau. A peine, en effet, les premières écluses à sas eurent-elles été exécutées sur la Vilaine, en 1558, que déjà l'imagination française réunissait par des canaux les différents bassins, mettait les deux mers en communication, et enfantait des projets pour la réalisation desquels trois siècles devaient à peine suffire.

Depuis l'invention des écluses à sas, l'art des canaux n'a plus reçu de perfectionnement important, mais ses applications ont été nombreuses et dirigées sur tous les points. On en trouve aujourd'hui dans toute l'Europe, excepté en Turquie. L'Angleterre est le pays qui possède les travaux de canalisation les plus parfaits et les plus étendus, bien qu'ils n'aient été entrepris que depuis la seconde partie du XVIIe siècle; vient ensuite la France dont nous nous occuperons spécialement, et les Pays-Bas, puis la Russie qui possède de Saint-Pétersbourg aux frontières de Chine une voie navigable de deux mille lieues, la plus longue qui existe. La Suède possède plusieurs canaux importants, dont l'un relie l'Océan à la Baltique. L'Allemagne vient d'opérer la jonction du Rhin au Danube, vainement entreprise par Charlemagne. C'est le seul canal important qu'elle possède. Enfin, au dehors de l'Europe, il est deux nations, les Etats-Unis d'Amérique et la Chine, qui doivent être signalées parmi celles qui ont le plus travaillé à l'amélioration de leur sol par l'établissement de ces voies navigables.

DIVISION DES VOIES NAVIGABLES EN FRANCE. Exposons en deux mots le mode de distribution des voies navigables sur l'étendue du pays.

Le sol de la France, y compris celui des Pays-Bas et d'une partie des provinces rhénanes, qui hydrographiquement en dépendent, a été généreusement doté par la nature d'un système de navigation sans égal en Europe. Baigné par les deux mers sur lesquelles s'agitent les plus graves intérêts de la politique et du commerce, sillonné dans les directions les plus favorables aux relations intérieures et extérieures du pays par de nombreux cours d'eau naturellement navigables, il peut assurer au commerce et à l'industrie, facilement et à peu de frais, le système de navigation le plus admirable et le plus complet. Sept bassins principaux divisent le pays : celui du Rhône, di

rigé du nord au sud, appuyé à l'est sur celui du Rhin, à l'ouest sur ceux de la Seine, de la Loire et de la Garonne, et qui, aidé de ses principaux affluents, la Saône et le Doubs, a pour dépendance tout le sud-est de la France et le littoral de la Méditerranée; celui de la Garonne, ouvert à louest et formě d'un grand nombre de cours d'eau importants, tels que le Tarn, le Lot, l'Isle, la Dordogne, etc.; celui de la Loire, le plus vaste de tous, qui est à peu près parallèle au précédent, et qui a pour principaux affluents l'Allier, le Cher, la Vienne et la Mayenne; le bassin de la Seine, incliné vers le nord ouest, qui tire de Paris et de ses importantes relations une valeur toute spéciale, et qui, par ses principaux affluents, l'Aube, l'Yonne, la Marne, l'Oise, etc., se trouve dans d'excellentes conditions de navigation naturelle; enfin les trois bassins de l'Escaut, de la Meuse et du Rhin, qui débouchent dans la mer du Nord, et ouvrent à notre commerce des voies sur la Belgique, la Hollande et l'Allemagne. Nous négligeons à dessein plasieurs petits bassins intermédiaires qui se détachent et dépendent plus ou moins des sept bassins principaux.

Pendant deux siècles les efforts du pays n'ont cessé d'être appliqués, avec plus ou moins de vigueur, à l'extension et au perfectionnement de ce vaste réseau naturel : l'on a uni par des canaux le bassin de la Méditerranée aux trois grands bassins de l'Océan, ouvert des communications spéciales et plus directes entre ces derniers, et rattaché à ce système de navigation les bassins tournés vers la mer du Nord. Ainsi le bassin de la Garonne, possédant déjà un débouché sur la Méditerranée par le magnifique canal dû au génie de Riquet, a été relié à celuí du Rhône par les canaux des Etangs et de Beaucaire; ce dernier bassin, celui du Rhône, a été relié au bassin de la Loire par la Saône et le canal du Centre, et au bassin de la Seine par l'Yonne et le canal de Bourgogne. Quant aux trois bassins du Nord, ceux du Rhin, de la Meuse et de l'Escaut, ils ont été rattachés, le premier à la Seine par le canal de la Marne au Rhin, et au bassin du Rhône par le canal du Rhône au Rhin, les deux derniers au bassin de la Seine par le canal des Ardennes et celui de la Sambre à l'Oise, et par le canal de Crozat et celui de Saint-Quentin. Enfin trois grandes lignes de canaux re→ lient le bassin de la Seine à celui de la Loire : le canal du Nivernais, le canal de Loing avec ses deux branches, les canaux

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de Briare et d'Orléans, et plus bas, entre les annexes de ces bassins, le canal d'Ille-et-Rance, qui se prolonge jusqu'à Nantes par la Vilaine et la première partie du canal de Nantes à Brest. Ce vaste réseau n'exigerait plus, pour être complet dans son ensemble, qu'une ligne de navigation entre le bassin de la Loire et celui de la Garonne. C'est là une lacune importante qu'il serait essentiel de combler.

Tels sont la disposition et l'objet de nos grandes lignes de canaux. Il en est un assez grand nombre d'autres encore, dont nous n'avons point à nous occuper ici, et qui ne servent qu'à améliorer partiellement l'état de ce réseau, soit en assurant plus de régularité et de profondeur d'eau à la navigation naturelle, soit en établissant entre les vallées d'un même bassin les communications réclamées par le commerce et l'industrie.

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Statistique des voies navigables. On compte en France 133 cours d'eau navigables, d'une longueur totale de 8,255 kilomètres ou 2,064 lieues. Ceux dont le cours est le plus considérable sont la Loire, 206 lieues; la Seine, 140 lieues ; le Rhône, 126 lieues; - la Garonne, 113 lieues; - la Marne, 87 lieues; le Lot, 76 lieues; la Dordogne, 75 lieues; la Saône, 66 lieues; la Meuse, 65 lieues; l'Allier, 63 lieues; Rhin, 55 lieues;

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-

- la Charente, 49 lieues, etc.

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- le

Les deux tiers environ de l'étendue de ces cours d'eau sont utilisés par la navigation ou par le flottage.

La France possède 80 canaux, d'une longueur totale de 4,400 kilomètres ou 1,100 lieues. Les plus considérables sont ceux : de Nantes à Brest, 94 lieues; du Rhône au Rhin, 87 lieues; du Berry, 80 lieues; - de la Marne au Rhin, 76 lieues; du Languedoc, 61 lieues; -de Bourgogne, 60 lieues; — latéral à la Garonne, 50 licues; latéral à la Loire, 49 lieues; - du Nivernais, 44 lieues; - de la Somme, 39 lieues; du Centre, des Ardennes, 27 lieues.

29 lieues;

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Dans son ouvrage des Intérêts matériels M. Michel Chevalier établit que la dépense des travaux de navigation en France, tant pour la création des canaux que pour l'amélioration des rivières, s'est élevée à 655 millions. L'Etat se trouvant en outre, pour l'achèvement des travaux entrepris, engagé pour une somme de 269 millions, la dépense totale s'élèvera ainsi à la somme de 924 millions.

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