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L'Angleterre, par le régime de ses rivières, la disposition et le peu d'étendue de son territoire, présentait un sol très-favorable à l'établissement des canaux; aussi en possède-t-elle une plus grande étendue que la France, bien que la superficie de son sol soit moins considérable (1). Ce pays compte 103 canaux, d'un développement de 4,800 kilomètres ou 1,200 lieues, ayant coûté environ 650 millions. Les canaux anglais sont beaucoup mieux entretenus que les canaux français; mais ces derniers - sont mieux tracés, plus solidement construits, et admettent par leur plus grande profondeur d'eau des chargements plus considérables.

Nous terminerons cet examen des voies navigables par un aperçu général des avantages comparatifs des fleuves et des

canaux.

AVANTAGES COMPARATIFS DES FLEUVES ET DES CANAUX. De nombreux essais ont démontré l'impossibilité de desservir les canaux par la navigation à vapeur. Lors même que la multiplicité des écluses et le temps nécessaire pour les traverser ne constitueraient pas des obstacles sérieux, il y aurait encore à remédier à la rapide destruction des berges, occasionnée par l'agitation des ondes qui se produit au passage du bateau. Les canaux sont donc tout à fait impropres au service des voyageurs: le but essentiel de leur établissement c'est le transport économique des grosses marchandises à de longues distances. Ajoutons que ce but n'a point cessé d'être atteint, du moins pour certaines classes de marchandises, et cela malgré les progrès de notre industrie, malgré les perfectionnements de nos routes et l'invention des chemins de fer. Un autre avantage des canaux, c'est qu'au moyen des irrigations ils peuvent desservir activement les intérêts aujourd'hui si délaissés de l'agriculture.

(1) La superficie territoriale de la France étant de 5,277 myriam. carrés, celle du Royaume-Uni de 3,120 myriam., et la population du premier pays étant de 35,558,000 hab., tandis que celle de l'autre pays ne s'élève qu'au chiffre de 25,860,000, chacun d'eux, proportionnellement à sa population et à son étendue, possède en canaux :

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On peut donc les considérer comme un des principaux appuis de la production industrieile et agricole.

Mais les rivières peuvent offrir à l'activité humaine des avantages non moins signalés. Celles dont le courant est modéré et la profondeur d'eau suffisante pour porter en toute saison des bateaux à vapeur d'une grande capacité, opèrent les transports, même à la remonte, à des prix presque aussi modiques que les canaux (1), qui pourtant n'ont pas de courant à surmonter. Quant au transport des voyageurs, il se fait avec une économie qui n'a encore été atteinte par aucun autre moyen de déplacement: c'est ainsi que sur le Mississipi et ses nombreux tributaires, sur l'Hudson et sur plusieurs autres fleuves d'Amérique, le prix de transport pour les voyageurs de deuxième classe est, à la vitesse de six lieues à l'heure, d'un centime et un quart par kilomètre parcouru, un sou par lieue!

En France, sur nos faibles cours d'eau hérissés d'écueils et de bas-fonds, la navigation à vapeur n'est praticable que pour des bateaux de faibles dimensions, qui généralement ne servent qu'au transport des voyageurs ou des petites marchandises. La navigation s'y fait à la vitesse de 4 à 5 lieues à l'heure, au prix moyen de 2 trois quarts à 4 centimes par kilomètre pour les deuxièmes places. Sur quelques canaux que leur petit nombre d'écluses rend susceptibles d'être desservis par les bateaux rapides (2), marchant à raison de quatre lieues à l'heure, les prix inférieurs sont encore de 5 centimes. Ainsi donc, sous le rapport de l'économie et sous celui de la vitesse, les fleuves l'emportent incomparablement sur les canaux pour le transport des voyageurs; mais pour le transport des grosses marchandises, que dans nos contrées les fleuves sont impuissants à opérer, la supériorité est tout entière du côté des

(1) Il arrive même que ces prix sont moins élevés que sur les canaux. Ainsi, tandis que sur les canaux des Etats-Unis les marchandises d'une certaine valeur payent de 3 à 3 cent. et demi par kilom. parcouru, les magnifiques fleuves de ce jeune Etat, d'après l'auteur des Voies de communication aux Etats-Unis, opèrent ce transport au prix de un et demi ou 2 cent. par tonne et par kilom., et à la vitesse de 4 à 5 lieues à l'heure, avantage incalculable lorsqu'il s'agit du déplacement de marchandises qui ont une grande valeur.

(2) En France, deux canaux seulement se trouvent dans ce cas : ce sont le canal de l'Ourcq et celui du Languedoc.

canaux. De sorte donc que l'essentielle destination des canaux, c'est de voiturer économiquement des masses de marchandises; celle de nos fleuves et rivières, c'est de transporter à peu de frais et à de longues distances des quantités de voyageurs.

Cette économie considérable, qui constitue le grand avantage des transports par eau, s'est maintenue jusqu'à nos jours, malgré les nombreux perfectionnements dont l'art de la locomotion a été l'objet. Aussi voyons-nous tous les peuples s'appliquer sans relâche à établir de nouvelles voies navigables et à améliorer celles que la nature leur a réparties. Les sommes consacrées annuellement à cet objet par les nations d'Europe et par les Etats-Unis sont vraiment colossales. Cependant, malgré l'extension considérable que l'on n'avait cessé de donner à ces travaux, l'application de la vapeur à la production avait imprimé à l'industrie une activité trop grande pour que les moyens ordinaires de transport pussent encore longtemps suffire à des besoins incessants et nombreux. Il fallait, pour satisfaire aux nouvelles conditions économiques de la production, rapprocher les lieux de consommation des grands centres de production, et le lieu de production des matières premières des endroits de fabrication, de manière à assurer le marché national à tous les établissements industriels, et à augmenter la richesse générale en réduisant les frais et le temps employės au transport. D'un autre côté, un besoin nouveau d'action et de mouvement avait saisi les sociétés : on cherchait à étendre le cercle de son existence et de ses affaires, on voulait franchir rapidement les distances, et le temps, cet élément nécessaire de la valeur de toutes choses, acquérait chaque jour un nouveau prix.

C'est alors qu'un nouveau modé de communication vint satisfaire ce besoin des sociétés modernes. Des voies nouvelles furent inventées qui, au moyen de la vapeur, mirent en communication rapide les contrées les plus distantes, et ouvrirent au monde civilisé les sources de la richesse et les éléments du bien-être. Les chemins de fer, en pourvoyant aussi merveil– leusement à cette grande nécessité sociale, constituent donc un véritable progrès. Aussi peut-on les regarder comme l'expression incontestable d'une civilisation avancée.

III.

DES CHEMINS DE FER.

Utilité des chemins de fer. Historique de l'origine des chemins de fer et des machines locomotives. Conclusion. - Dessein général de cet ouvrage.

Les chemins de fer sont les voies de communication les plus parfaites qui existent. Ils offrent sur les canaux, les rivières et les routes l'inappréciable avantage de la vitesse, d'un service fixe, constant et régulier, complétement à l'abri des intempéries de l'air et des saisons. Les chemins de fer sont principalement propres au transport des voyageurs ; car la rapidité qui caractérise cette belle invention importe incomparablement plus au transport des personnes qu'à celui des produits.

UTILITÉ DES CHEMINS DE FER. Il a régné longtemps une grande indécision parmi les ingénieurs au sujet du chiffre exprimant la valeur du tirage sur les chemins de fer, par la raison que l'on avait négligé, comme étant trop faible pour en tenir compte, la résistance produite par les chocs contre les aspérités de la voie, les frottements latéraux et la résistance de l'air contre les convois. Mais de récentes expériences faites en Angleterre, les unes par M. de Pambour, les autres par le docteur Lardner, sur une grande échelle et avec tout le soin nécessaire pour commander la confiance, ont établi ce chiffre d'une manière incontestable, et démontré que ces causes exercent sur l'ensemble de la résistance une action qu'il n'est point permis de négliger.

Ainsi, dans ces expériences, la résistance d'un convoi composé de huit voitures, présentant une charge de 40 tonneaux, s'est élevée de 1/400 environ de la charge, pour de très-faibles vitesses, à 1/89 pour une vitesse de 50 kilomètres à l'heure, vitesse considérable il est vrai, mais qui ne sort nullement des limites de la pratique. M. de Pambour, évaluant à 1/389 le frottement des wagons, établit une formule des résultats de laquelle on peut conclure que le rapport de l'effort de traction au poids traîné, pour un convoi de dix voitures (locomotive comprise), d'un poids total de 50 tonneaux, s'élèvera successivement à 1/200, 1/150, 1/100 pour les vitesses respectives de

37, 51 et 71 kilomètres. D'où il suit que la vitesse la plus avantageuse sous le rapport de l'économie dans les frais de traction est de 15 à 16 kilomètres à l'heure, avec les machines locomotives aujourd'hui en usage. Pour une vitesse double, la dépense ne paraît pas devoir être évaluée à plus de moitié en sus; mais au delà de cette dernière limite elle s'élève beaucoup plus rapidement que le carré de la vitesse, à tel point que lorsque cette dernière approche de 50 kilomètres, les frais de traction ont sextuplé (1). Aussi deux systèmes de transport, de rapidités différentes, sont-ils établis sur tous les chemins de fer sagement administrės: l'un à la vitesse de 16 kilomètres à l'heure pour le transport des marchandises, l'autre à celle de 30 à 55 kilomètres pour les voyageurs.

Ainsi donc, sur les chemins de fer de même que sur les routes ordinaires, le tirage augmente proportionnellement à la vitesse, mais en suivant une progression plus rapide; la résistance de l'air est proportionnelle au carré de la vitesse, et conséquemment, acquiert une influence d'autant plus grande qu'il s'agit de vitesses plus considérables. La même analogie existe entre les moteurs pour les machines locomotives comme pour les chevaux, l'effet utile atteint son maximum à un certain degré de vitesse, varie peu pour de faibles écarts, mais diminue considérablement au delà.

Les avantages que l'on trouve en comparant les chemins de fer aux routes ordinaires sont de deux sortes: diminution des frais de traction par suite de l'obstacle extrêmement faible opposé au mouvement, et qui tient immédiatement à la constitution de la voie; augmentation de vitesse par suite de la substitution des moteurs mécaniques aux moteurs animés. Les chemins de fer, considérés comme moyen d'atténuer les résistances de toute nature que le roulage doit surmonter sur les routes ordinaires, seraient restés, relativement aux voies navigables, dans un état d'infériorité manifeste, şi, comme à l'origine, les transports avaient dù s'y effectuer par des chevaux. Mais l'importance sociale de la vapeur une fois bien appréciée,

(1) V. le Traité des machines locomotives, par M. de Pambour, dont les nombreux travaux ont jeté une si vive lumière sur ce point, obscur avant lui, de la question des chemins de fer.

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