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ou d'une condamnation juridique, avait trente jours pour acquitter sa dette. Si, pendant ce délai, il ne payait pas, ou si personne ne se présentait à sa place, comme vindex, le créancier faisait prononcer contre lui la manus injectio, l'eminenait dans sa maison où il le chargait de chaînes (dont la loi déterminait le poids), et ne lui donnait pour toute nourriture qu'une livre de farine par jour. Le débiteur restait ainsi deux mois (1) dans les fers; pendant cette période, il était conduit trois fois au marché, tenu tous les neuf jours au comitium. Là, le Préteur énonçait la dette, et si personne à ce moment encore ne consentait à l'acquitter, le créancier, lorsque les soixante jours étaient écoulés, pouvait à son choix, ou faire décapiter son infortuné débiteur, ou le faire vendre pour l'envoyer au delà du Tibre. Quand il était adjugé à plusieurs créanciers, ceux-ci, s'ils le voulaient (ce n'était qu'une faculté), le faisaient couper en morceaux pour se les distribuer.

Voilà jusqu'où était arrivé ce que Troplong appelle la logique du droit barbare. La loi des XII Tables atteignait en même temps les dernières limites de cette logique et de la barbarie. Il est vrai que les commentateurs, effrayés par cette atrocité, se sont efforcés de trouver à l'œuvre des décemvirs un sens plus humain; ils ont cru qu'il s'agissait, parce que la loi dit « capite pænas sumilo », d'une capitis deminutio. MM. Berriat et Dupin aîné, dans une dicussion qui s'éleva au sein de l'Académie des Sciences morales et politiques, ont soutenu cette thèse (2). Mais M. Giraud, le savant inspecteur de l'enseignement supérieur du droit, qui avait adopté cette opinion, fut obligé de reconnaître, en présence de la clarté des termes dont s'est servi le législateur romain, qu'il ne pouvait y avoir

(1) Soixante jours.

(2) (V. Comptes rendus des séances de l'Académie, par M. Vergé, ann. 1843, t. 1, p. 239-467; ann. 1844, t. I, p. 463.)

de doute et que « cette affreuse loi était tout à fait conforme au génie de l'antiquité (1). »

Il faut cependant ajouter que les prescriptions de la loi des XII Tables eurent surtout un caractère comminatoire : « Eo consilio tanta immanitas pænæ denuntiata est, ne ad eam » unquam` perveniretur (2) », et qu'au dire des historiens, elles ne reçurent que des applications fort rares, si du moins elles en reçurent jamais.

Nous avons vu que le débiteur judicatus ou confessus in jure était conduit sur la place publique; et que si personne ne se présentait comme vindex, le magistrat l'adjugeait au créancier qui avait fait prononcer la manus injectio. C'était l'addictio ou contrainte par corps judiciaire.

Le débiteur pouvait encore tomber avec ses enfants et ses petits-enfants en la puissance de son créancier, au moyen du nexum, engagement pris envers lui « per æs et libram » et aux termes duquel ce dernier avait le droit de disposer de tout le produit de son travail, de faire saisir et vendre tous ses biens, jusqu'à parfait paiement de ce qui lui était dû.

Le nexus n'était pas servus il n'était qu'in servitute. On s'est souvent demandé s'il était in mancipio? La solution de cette question donne lieu à une vive controverse que nous n'examinerons pas ici. Ce serait sortir de notre sujet.

Le nexum, à la suite d'un fait odieux de lubricité tenté par un créancier sur la personne de son débiteur nexus, fut aboli par la loi Petilia Papiria qui commença, pour la plèbe opprimée, une nouvelle ère de liberté « velut aliud plebi initium libertatis (3) ».

Cette loi ne laisse subsister que l'addictio ou contrainte par corps judiciaire.

(4) Des Nexi, p. 106.

(2) Aulu-Gelle (XX-1).

(3) Tite-Live, De lingua latina, VII, § 105.

Cet étrange moyen de détruire la personne de l'homme pour arriver à ses biens disparut bientôt. Les Romains comprirent que, si la propriété a avec la personne des rapports tels qu'ils se manifestent même dans le langage, cependant elle ne se confond pas avec elle, et il est juste, par suite, de distinguer les garanties réelles des garanties personnelles.

Tambour, dans son remarquable traité Des voies d'exécution sur les biens, soutient que ces voies existaient à Rome en même temps que l'addictio et le nexum; il reconnaît toutefois que des textes et des auteurs nombreux s'occupent de l'exécution sur la personne, tandis qu'il ne peut citer, au sujet de l'exécution sur les biens, que quelques fragments de Denys d'Halicarnasse et de Tite-Live, qui, selon nous, n'ont point le sens qui leur est attribué.

< En l'an 259 de Rome, le consul Servilius, pour déter» miner le peuple à marcher contre les Volsques, fait » annoncer par le héraut, qu'à l'égard de ceux qui le » suivront, les créanciers ne pourront, pendant la guerre, > en vertu d'aucun contrat, s'emparer de leurs maisons. -> ni les vendre, ni les prendre pour gage, ni emmener leurs » enfants. Au contraire, ces créanciers conserveront tous » les droits résultant de leurs contrats contre ceux qui > ne prendront pas part à l'expédition ». (Denys d'Halicarnasse, VI, 29) (1).

Et Tite-Live, rapportant le même fait qui se serait reproduit plus tard dans des circonstances absolument semblables, étend cette sorte d'encouragement accordé par Servilius. Selon lui il aurait porté non-seulement sur les maisons, mais sur tous les biens.

Voici ce que dit Tite-Live (II, 24.)

« Edixit (consul): ne quis civem Romanum vinctum aut

(1) Tambour, op. cit., p. 16.

> clausum teneret, quomin s ei nominis edendi apud consules > potestas fieret; ne quis militis, donec in castris esset, bona » possideret aut venderet, liberos nepotesve ejus moraretur. »

Le consul défendit dans son édit qu'on tînt enchaîné ou enfermé un citoyen romain, de façon à l'empêcher de se faire inscrire sur les listes d'enrôlement des consuls, que l'on entrât en possession et qu'on vendît les biens des soldats pendant qu'ils étaient au camp, enfin que l'on emprisonnât leurs enfants ou petits-enfants.

Ce texte, ainsi que tous ceux que cite Tambour, fait allusion à des biens vendus comme conséquence du nexum ; il y est question de l'emprisonnement des enfants ou des petis-enfants du débiteur, ce qui suffirait à démontrer qu'il s'agit bien de l'exécution sur la personne et non de l'exécution sur les biens au moins directement.

Il n'est douteux pour personne, en effet, qu'un créancier pût faire vendre, à cette époque, les biens d'un débiteur

nexus.

Cette vente n'était que la conséquence du neaum, c'est-àdire d'une exécution sur la personne. Tout ce qui résulte de ces textes, c'est que le débiteur nexus était in mancipio, puisque le créancier avait sur lui tous les droits que le mancipium confère droits de profiter des produits de son travail, de vendre ses biens, de s'emparer de ses enfants et petits-enfants.

Tambour, du reste, qui n'admet pas ces solutions, déclare que ces questions sont fort controversées et fort douteuses.

Mais, quelque parti que l'on prenne dans cette controverse délicate, que l'on croie avec Troplong que, dans l'ancien droit romain, on n'a connu d'abord que l'exécution sur la personne, ou que l'on pense avec Tambour, que l'exécution. sur les biens fût aussi pratiquée dans ces temps reculés, on doit reconnaître que les germes de ce second moyen, pour les créanciers, d'arriver au payement de ce qui leur était dû, apparurent de bonne heure, et portèrent leur fruit, quand

les plébéiens, opprimés par les richesses des patriciens, remportèrent la victoire, en obtenant sur eux la loi Pétilia qui abolissait le nexum.

Le créancier dut, dans tous les cas, pour se faire rendre. justice, s'adresser au magistrat, sauf peut-être dans le contrat de fiducie (généralement considéré comme l'origine du droit de gage), et qui conférait au créancier, pour répondre de sa créance, la propriété des biens de son débiteur.

D'après la loi des XII Tables cependant, dans certains cas particuliers, un, créancier pouvait, au moyen de la pignoris capio, agir par prise de gage, par exemple, le vendeur d'une victime contre l'acheteur qui n'en payait pas le prix; ou bien celui qui ne payait pas le loyer d'une bête de somme dont le prix était destiné à un sacrifice. La coutume étendit cette disposition à d'autres cas déterminés, et toujours pour des objets particuliers.

Ce n'était qu'une exécution partielle et non une dépossession générale.

Enfin, un édit du Préteur Publius Rutilius (1), organisa, à côté de l'addictio de la loi des XII Tables, vers la fin du sixième ou vers le milieu du septième siècle de la fondation de Rome, la procédure nouvelle de la venditio bonorum (2), extension, dans l'intérêt des particuliers, d'une procédure appelée la sectio bonorum, au moyen de laquelle le Trésor public agissait contre un citoyen qui n'avait pas exercé une sentence prononcée à son profit ou dont les biens avaient été confisqués. Cette vente en masse des biens. rendait l'acquéreur, appelé sector, propriétaire in jure quiritium, et l'armait de l'interdit sectorium.

(1) Publius Rutilius Rufus, consul en 648, dont Cicéron a dit : « Sunt ejus multa præclara de jure », et non Publius Rutilius Calvus, consul en 586, qui, beaucoup plus obscur, paraft n'avoir rien laissé.

(2) (G. C. IV, S 35.)

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