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de ces deux lois, citées par Tambour en faveur de notre opinion, un argument renforcé par cette considération que la vente faisait perdre au débiteur le droit de propriété sur tous ses biens et enrichissait l'acheteur de tous ses droits et actions. Nous attribuerons donc l'excédant à l'acheteur dans le cas improbable où il pourrait s'en produire. Cette solution peut paraître sévère, mais il eût été facile au débiteur de l'éviter en payant ses dettes avant d'être saisi, puisque sa fortune le lui permettait. C'est une négligence coupable dont il doit subir les conséquences

SECTION II

Des effets de l'envoi en possession à l'égard des créanciers.

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L'envoi en possession des biens ne conférait aux créanciers ni la possessio ad usucapionem, ni la possessio ad interdicta (1): « Creditores missos in possessionem rei servandæ causa, » interdicto uti possidetis uti non posse et merito, quia non possident » Il ne leur procurait, avec la détention des biens, qu'un droit de gage (pignus prætorium), qui entraînait pour eux le droit de garde et de surveillance custodia et observatio ; mais ce droit de gage ne pouvait naître au profit des créanciers, qu'après la prise effective de possession, nisi ventum fuerit in possessionem (2), et il portait « non solum super » mobilibus rebus et immobilibus, et se moventibus, sed etiam » super actionibus quæ debitori competunt (3) », c'est-à-dire que le droit de gage découlant de l'envoi en possession

(1) Loi 3 § 8. D., Uti possidetis, 43. 17.

(2) Ulpien, loi 26, D., 13. 7. De pigneratitid actione.

(3) Loi 4 C., Justinien, 8, 22. De prætorio pignore et ut in actionibus missio prætorii pignoris procedat.

s'étendait sur tous les biens dont le débiteur était dépossédé.

Quelquefois, il arrivait que la prise effective de possession était empêchée par suite d'un cas fortuit et de force majeure, par exemple, l'envahissement du pays par l'ennemi, ou par une inondation, le caprice d'un tiers, qui mettait obstacle à l'accomplissement des desseins des créanciers. Dans ces divers cas, les effets de la prise de possession se produisaient, bien qu'elle n'eût pas été réelle, et les créan. ciers, passant outre, pouvaient accomplir les autres formalités qui précédaient la vente des biens. C'est ce que nous apprend Gaïus dans la loi 13 D. De Reb. auct. jud. : « Quamvis » possessa non sint bona, quia forte nihil fuerit quod possidea» tur, aut sine controversia non possideatur: creditor qui in » possessionem missus est, perinde habetur ac si etiam possessa » bona fuissent. » Gaïus va même plus loin, il applique les principes que nous venons d'énoncer non-seulement au cas de force majeure, mais à celui où l'envoi en possession porterait sur des choses qui ne pouvaient être matériellement possédées et même au cas où la possession était contestée.

Quand les créanciers avaient été empêchés d'exercer leur droit, ils obtenaient du Préteur la délivrance de l'interdit a ne vis fiat », qui aboutissait à une condamnation pécuniaire contre la personne qui, par dol ou par violence, avait apporté un obstacle à la possession. Cet interdit était donné au possesseur dans le cas d'envoi en possession n'aboutissant pas à la vente et était ainsi conçu : « Si » quis dolo malo fecerit, quominus quis permissu meo, ejusve, » cujus ea jurisdictio fuit, in possessionem bonorum sit, in » eum in factum judicium quanti ea res fuit, ob quam in posses» sionem missus erit dabo (1). »

(1) Loi 4, pr., Ulpien, D. Ne vis flat ei qui in poss., 43, 4.

Cet interdit était également donné aux créanciers qui avaient été chassés de leur possession; c'est ce que nous dit encore le § 3 de la loi que nous venons de citer :

« Hæc actio non tantum eum tenet, qui prohibuit quem venire » in possessionem; sed etiam eum qui possessione pulsus est, cum » venisset in possessionem. Nec exigitur ut vi fecerit, qui prohi> buit. » Les derniers mots de ce paragraphe nous montrent quelle était la portée de cet interdit, qui s'appliquait même lorsqu'il n'y avait pas violence, c'est-à-dire en cas de dol. Ulpien nous apprend, toujours dans la même loi, §§ 4 et 6, que si l'auteur du trouble apporté à la possession des créanciers croyait de bonne foi que la chose possédée lui avait été engagée ou n'appartenait pas au débiteur, ou bien encore, si cette personne était un furiosus ou un pupille non doli capax, l'interdit n'était pas délivré. Cette voie de recours n'était accordée aux créanciers que dans la mesure de l'intérêt qu'ils pouvaient avoir à la possession; c'est ce qu'indiquent ces mots « quanti ea res erit, ob quam » in possessionem missus erit. » D'où il faut conclure que, si un créancier avait été envoyé en possession sans cause, ou bien si une exception lui était opposable, l'interdit lui était refusé. Cet interdit ne pouvait être exercé que pendant l'année de l'envoi en possession.

§ 2

Du droit de préférence.

La saisie des biens, avait un effet conservatoire, donnait aux créanciers qui l'exerçaient un droit de gage engendrant un droit de préférence sur les créanciers qui contractaient postérieurement à la saisie opérée.

Aucun texte de loi n'établit, il est vrai, d'une manière formelle, l'existence de ce droit de préférence, aussi a-t-il été renié. On a soutenu que la procédure de la venditio bonorum était établie pour maintenir l'égalité entre tous les créanciers, et qu'on ne comprenait pas dès lors un droit de

préférence; qu'enfin, en admettant l'existence de ce droit, il ne pourrait profiter qu'à ceux qui sont entrés en possession effective. Telle est du moins la prescription de la loi 26 § 1 d'Ulpien, D., De Pignerátitia actione, 13. 7. « Scien» dum est, ubi jussu magistratus pignus constituitur, non alias » constitui nisi ventum fuerit in possessionem. »

La première objection nous paraît avoir peu de portée, la procédure de la venditio bonorum a été évidemment organisée pour maintenir l'égalité entre les créanciers, mais entre les créanciers antérieurs à cette saisie; si elle profitait à d'autres, ce serait permettre au débiteur de disposer de ses biens et de diminuer le gage garantissant ses obligations en faveur de personnes qui ne méritaient aucune espèce d'intérêt, puisqu'elles auraient pu, avec un peu de diligence connaître la saisie et la vente annoncées par voie d'affiches.

La seconde objection ne nous convainc pas davantage. Nous ne voyons pas bien comment Ulpien, dans la loi que nous avons citée, où il déclare que la prise de possession` sur l'ordre du magistrat est exigée pour l'existence du gage, serait en contradiction avec ce principe, que l'envoi en pos. session profite à tous les créanciers. Notre pensée, au contraire, est qu'il n'y a dans cette loi qu'e application de la règle. Le créancier, qui s'était fait envoyer en possession, était considéré comme le mandataire des autres créanciers, et il possédait pour eux, avec toutes les conséquences de cette possession, c'est-à-dire qu'il conservait le gage commun et le droit de préférence qui y était attaché. Mais, si aucun des créanciers n'entrait en possession, alors qu'aucun obstacle ne les en empêchait, tous perdaient ce droit de préférence. Tel est le sens que nous n'hésitons pas à donner à la loi 26, De Pigneratilia actione.

Il est facile de remarquer l'analogie entre ce gage de la loi romaine et l'hypothèque des articles 490 et 517 du code de commerce, prise par les syndics en faveur de la masse des créanciers.

§ 3

Du droit de suite.

La question de savoir si le droit de gage résultant de la missio in bonorum possessionem engendrait pour les créanciers un droit de suite était fort discutée à Rome dans l'ancien droit. Justinien, dans sa Constitution 2, au Code, De Prætorio pignore, liv. 8, tit. 22, la trancha par l'affirmative. Nous lisons, en effet, dans cette constitution: «Humanius esse » perspeximus, et in prætorio pignore dare recuperationem cre» ditori, quocunque modo possessio amittat, culpa sive sua, sive » non, sive fortuito casu. » Bien que le créancier eût dû veiller sur son gage pour ne pas souffrir d'éviction « incum» bere pignori suo, ne aliquam patiatur jacturam, » néanmoins, afin que son sort ne soit pas trop cruel, nous lui donnons une action, dit Justinien, au moyen de laquelle il pourra recouvrer la possession en quelque main qu'elle passe.

Cette action n'était autre chose que l'action hypothécaire civile. Avait-elle été donnée aux créanciers par le préteur dans l'ancien droit? il est impossible de résoudre cette question en présence du silence des textes.

§ 4

De l'administration des biens du débiteur.

A. De l'administration des biens par les créanciers. Cicéron, Pro Quintio, chapitre 27, nous donne, en quelques mots, le caractère de cette administration; et Ulpien, dans les lois 8, 5 et 9, De Reb. auct. jud., nous apprend comment les créanciers devaient user de ce droit. Nous verrons qu'il ressort clairement de ces textes, ce que nous nous sommes déjà efforcé de démontrer, que l'envoi en possession n'était pas ordonné dans l'intérêt des créanciers qui n'avaient que la possessio rei servandæ causa; et comme ces

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