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à le remettre aux créanciers qui se présentaient après la distribution, voire même au débiteur sur serment que la vente avait été faite au prix le plus élevé possible.

Lorsque les biens présentaient une valeur supérieure au chiffre des dettes, on ne vendait que ce qui était nécessaire pour payer les créanciers. (Const., 6 C., De His qui ad Eccl., § 4., 1. 12.) Quand il ne se présentait pas d'acheteurs, le partage en nature était autorisé.

Un des principaux effets de la distractio bonorum était de donner aux créanciers les droits et actions de leur débiteur, non en vertu du dessaisissement, mais de la vente. Les créanciers avaient des actions utiles contre le débiteur. Celui-ci n'était plus noté d'infamie, et l'acheteur n'était regardé que comme un simple acquéreur à titre particulier, qui devait payer aux créanciers le prix, en observant les règles sur les hypothèques. Il est à peu près certain, bien que nous n'ayons aucun texte qui l'indique, que la vente avait lieu aux enchères, parce que c'était le moyen le plus sûr d'obtenir un prix élevé.

Comme la venditio bonorum, la distractio privait le débiteur de toute action ex ante gesto et mettait fin aux sociétés dont il faisait partie. (Just., § 8, De Societate, III, 25.)

Telles sont, très rapidement esquissées, les principales différences et ressemblances qui existent entre la venditio bonorum et la distractio. L'étude de cette dernière procédure comporterait des développements beaucoup plus considérables, nous n'en avons parlé ici qu'incidemment pour montrer quel a été le sort de la bonorum venditio. Mais, il ne faudrait pas croire que, s'il est certain qu'elle a remplacé la venditio bonorum, la distractio bonorum soit née de cette procédure; elle existait avant sa complète disparition pour les persona clara (1) et peut-être même, dans d'autres cas, si l'on

(4) D., liv. 27. tit. 10, De Curatoribus furioso et aliis extra ninores dandis, Loi 5, Gaius.

donne aux expressions dont se sert Nératius (loi 9 D., De Curat. furioso, et aliis, 27, 10) leur sens technique. Ce jurisconsulte nous apprend encore que lorsque les créanciers auront pris une voie, la distractio, ils ne pourront recourir à la venditio. Mais il est possible que le texte de Nératius ait été interpolé et que le mot distrahendis ait été maladroitement mis à la place du mot vendendis, et alors ce texte signifierait simplement que quand un curateur aurait été nommé pour la venditio, les créanciers ne pourraient plus vendre eux-mêmes. Ce sens est justifié du reste par la suite du texte. Nératius enseigne que cette règle doit encore, et plus scrupuleusement, être observée, quand le curateur nommé sera mort avant l'achèvement de sa mission et qu'il y aura lieu de choisir dans cette circonstance non son héritier qui peut être inhabile et incapable, mais un second curateur. Ce qui indique bien que, dans cette loi, Nératius ne s'est préoccupé que de deux hypothèses, celle où il y a un curateur et celle où ce sont les créanciers qui administrent eux-mêmes.

On voit combien à cette époque les mœurs des Romains s'étaient adoucies; il y a loin, en effet, de la distractio bonorum à l'exécution cruelle sur la personne et aux prescriptions de la loi des XII Tables.

Vu par le Professeur Président de la Thèse,
Bordeaux, le 21 janvier 1880.

AUG. RIBÉREAU.

Vu par le Doyen de la Faculté de Droit,

A. COURAUD.

Vu et permis d'imprimer :

Le Recteur,

H. OUVRÉ

DROIT FRANÇAIS

HISTORIQUE

En etudiant la venditio bonorum, nous avons fait remarquer quelles analogies frappantes cette procédure présentait avec la faillite. La publicité donnée à la vente, analogue à celle que reçoit le jugement déclaratif de faillite, le curator bonorum et le magister, auxquels on pourrait comparer le syndic provisoire et le syndic définitif; le dessaisissement enfin du débiteur, qui n'est autre que le dessaisissement du failli, sont autant de ressemblances qui nous permettent d'avancer sans grande témérité, que la source de notre législation sur la faillite se trouve cachée dans les lois romaines.

Il ne faudrait cependant pas croire qu'il soit facile de retrouver dans le droit ancien français les traces de cette procédure de la vente des biens dont usaient à Rome les créanciers impayés, ni qu'elle nous ait été transmise directement par nos pères, de génération en génération. Les quelques vestiges qui nous soient parvenus nous ont été rapportés par étapes d'Italie où ils s'étaient conservés. -Dès 1498, une grande partie des principes consacrés depuis par notre législation étaient écrits dans le Statut de Gênes.

En France, dans l'ancien droit (comme autrefois à Rome, le débiteur insolvable), le failli était frappé des peines les plus sévères. L'ordonnance de Lyon du 10 octobre 1536, rendue par François Ier, est la plus ancienne loi générale portée contre les banqueroutiers; elle contient la disposition suivante : « Voulons et ordonnons, que les débiteurs > qui auront failli et fait banqueroute, tiennent prison

» fermée jusqu'à plein et entier paiement des amendes, > tant envers nous qu'envers les parties..... »

Charles IX rendit une ordonnance plus rigoureuse encore. L'article 143 était ainsi conçu : « Tous les banque>> routiers et qui feront faillité en fraude soient punis extrordi»nairement et capitalement. »

Cette disposition, qui rappelle tout à fait par sa barbarie les lois primitives romaines, fut confirmée, à la suite des États de Blois, par une ordonnance d'Henri III, de 1579 : Cette dernière fut elle-même suivie d'un mandement par lequel ce prince évoque tous les procès pendants en faillite et banqueroute, commet pour les juger trois conseillers au parlement de Paris, et défend aux juges ordinaires d'en connaître. Henri IV, tout en gardant dans son édit de 1609 la même rigueur (il laissait subsister la peine capitale contre les banqueroutiers et faillis), prit quelque soin de l'intérêt des créanciers, « néanmoins, ajoute l'édit, parce » que le plus souvent lesdits banqueroutiers font faillite en > intention d'enrichir leurs enfants et héritiers, et, pour > couvrir plus aisément leurs desseins malicieux, font trans>ports et cessions de leurs biens à leurs dits enfants, héri> tiers ou autres, leurs amis, afin de les leur conserver; nous » avons, par le même moyen, déclaré et déclarons tels

transports, cessions, venditions et donations de biens > meubles et immeubles nuls et de nul effet et valeur, > faisons défense à tous nos juges d'y avoir égard; au » contraire, s'il leur appert que lesdits transports, donations » et ventes soient faits et acceptés en fraude desdits créanciers, voulons, tous les cessionnaires, donataires » et acquéreurs être punis comme complices desdites » fraudes et banqueroutes. >>

Ce texte est le premier qui s'occupe un peu des droits des créanciers et qui annule certains actes antérieurs à la faillite.

Enfin, dans l'article 153 de l'ordonnance du 15 jan

vier 1629 (1), à laquelle on donne généralement le nom de Code Michau, parce qu'elle a été rédigée par le garde des sceaux Michel de Marillac, on lisait : « Les banqueroutiers » ou faillis seront punis extraordinairement. »

Tel était, vers la fin du seizième siècle et au commencement du dix-septième, l'état arriéré de la législation française en matière de faillite. En Italie, au contraire, où le commerce était en honneur, à Gênes surtout où il suffisait

d'être né pour avoir le génie du commerce « genuensis ergo » mercator, » florissaient des lois commerciales soigneusement élaborées. On lisait en effet, dans le Statut de Gênes, en 1498, qui a été refondu en 1588 (2), six chapitres sur la faillite, qui peuvent certainement être considérés comme une des sources de notre droit français en cette matière. Les lois commerciales de Florence, Milan, Venise et autres États italiens fournirent aussi à notre législation des éléments importants.

Ainsi, les docteurs italiens nous enseignent que l'incapacité du failli précède la faillite. C'est ce que Casaregis exprimait par ces mots; « Decoctus et proximus decoctionis in nihilo » distinguuntur. » Tous les actes faits par le failli ou ses ayant cause, lorsque la faillite était devenue notoire, étaient présumés simulés et annulés (3).

De même les sommes payées avant l'échéance à certains créanciers qui n'avaient aucun droit de préférence devaient être rapportées et le paiement annulé. C'était pour arriver à conserver l'égalité entre les créanciers (4).

Enfin, on lit dans la Rote de Gênes (5) que le failli était dessaisi de l'administration de ses biens. Il était frappé de

(4) Ordonn nce de Louis XIII.

(2) Exposition raisonnée de la législation commerciale de Vincens. Préface, p. xvj, t. I. 386.

(3) Scaccia § 2, Gloss 5, p. 455. — Casaregis, Il Cambisto instructo, cap. I, (4) Straccha, De Decoctoribus, III, 28, et V, 10.

(5) Straccha, loco citato, p. 54.

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