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fussent sujettes, quelques-unes s'en prétendaient exemptes. Ce ne fut guère que vers le commencement du dix-septième siècle que la Couronne voulut étendre ce droit sur toutes les Eglises sans exception, notamment dans les provinces nouvellement conquises.

Une déclaration du roi, en date du mois de février 1673, consacra cette prétention d'une manière générale au profit de la Couronne.

La plupart des évêques dont les Eglises s'étaient maintenues jusque-là dans l'exemption du droit de régale, cédèrent à l'autorité du roi ; mais d'autres résistèrent. Le roi insista, et nomma aux bénéfices vacants. Les opposants se hâtèrent de prodiguer les censures et les excommunications contre les pourvus en régale. Mais ceux-ci appelèrent aux métropolitains, et les métropolitains annulèrent les ordonnances de censure. Alors les évêques dont les ordonnances avaient été ainsi cassées interjetèrent appel au saint-siége du jugement de leurs métropolitains!

Innocent XI occupait le trône pontifical. Quoique digne d'éloges sous plusieurs rapports, on lui reproche d'avoir eu dans le caractère un invincible entêtement. Le grand Arnauld, qui, dans cette querelle, avait embrassé le parti des opposants, appelle cela de la fermeté; mais il la définit lui-même de manière à révéler ce qu'il en pensait au fond, en comparant la fermeté du pontife à celle d'un pilier qui n'avance ni ne recule.

Ces dispositions n'étaient point favorables à la conciliation. En effet, Innocent XI, au lieu de négocier, se constitua juge suprême, adressa au roi deux brefs en termes menaçants, et finit par en lancer un troisième, dans lequel il frappait d'excommunication les grands-vicaires de Pamiers et le métropolitain lui-même, et déclarait nuls tous les actes, même les mariages, qui seraient contractés devant des prêtres ou curés qui n'exerceraient leur ministère qu'en vertu des pouvoirs accordés par ces grands-vicaires, déclarant les époux concubins, les enfants qui en naîtraient bâtards, etc.

Cette conduite d'Innocent XI obligea le roi à adopter les

mesures convenables pour faire respecter la dignité de sa Couronne et la tranquillité de ses Etats. Il résolut de faire expliquer le clergé de son royaume.

Le 16 juin 1684, il donna des lettres-patentes portant convocation d'une assemblée générale, qui devait être composée de deux évêques et de deux députés du second ordre pour chaque métropole.

Ces lettres' recommandent expressément aux assemblées métropolitaines de choisir pour députés du second ordre les ecclésiastiques les plus distingués par leur piété, leur savoir, leur expérience, et dont le mérite fút le plus connu dans les provinces. Quelle belle loi électorale!

Ce vœu fut parfaitement rempli, et jamais aucune assemblée n'offrit un plus grand nombre d'évêques et d'ecclésiastiques recommandables par leurs vertus et leurs lumières.

2

Il faut voir dans la Vie de Bossuet le tableau historique que son illustre biographe a tracé de l'Eglise gallicane. Ce portrait est plein de grandeur, et n'a rien de flatté; porte l'empreinte d'une majestueuse simplicité.

Le cardinal de Bausset a raison de dire que «< l'assemblée de 1682 est l'époque la plus mémorable de l'histoire de l'Eglise gallicane. C'est celle où elle a jeté son plus grand éclat les principes qu'elle a consacrés ont mis le sceau à cette longue suite de services que l'Eglise de France a rendus à l'Etat. »

M. de Bausset rend aussi un juste hommage au caractère de Louis XIV. « Rien n'est peut-être plus propre, dit-il, à donner une juste idée de la sagesse et de la fermeté de Louis XIV, que la conduite qu'il tint dans cette mémorable circonstance, sans s'écarter par une seule fausse démarche de l'ordre régulier et invariable qu'il s'était prescrit. Il sut concilier sa dignité, sa puissance et ses justes droits avec le respect le plus inviolable pour la

Voyez-en le texte dans le Recueil des Libertés de l'Eglise gallicane, de Durand de Maillane, t. I, p. 122.

2 Fie de Bossuet, par M. le cardinal de Bausset, pair de France, imprimée à Versailles en 18:9, 4 vol. in-8°.

religion, l'Eglise et le saint-siége. On remarque même avec une espèce d'étonnement, continue M. de Bausset, qu'au milieu de la chaleur et de la fermentation des esprits, Louis XIV avait su imprimer à toutes les parties de son gouvernement une telle habitude d'égards et de bienséances, que les mesures fortes et vigoureuses que les circonstances exigeaient étaient toujours tempérées par les formes et les expressions les plus respectueuses pour le saint-siége, et par les plus grands éloges des vertus et de la piété d'Innocent XI. Jamais peut-être ce monarque ne se montra ni plus grand ni plus fort que lorsqu'il se borna opposer les maximes de l'Eglise de France à toutes les menaces d'Innocent XI.

à

Bossuet, qui venait d'être nommé à l'évéché de Meaux, fut, par une distinction honorable, député par l'assemblée métropolitaine de Paris, quoiqu'il n'eût pas encore reçu ses bulles d'institution.

Pour planer au milieu de la magnifique réunion de prélats et de pasteurs qu'offrait l'assemblée de 1682, ce n'était pas trop de tout son génie.

On lui rendit hommage, et tout d'une voix il fut choisi pour faire le sermon d'ouverture.

Tels sont les auspices sous lesquels paraîtra la déclaration de 1682.

Le choix même du sujet que Bossuet prit pour texte de son discours nous révèle toute sa pensée: il traite de l'unité de l'Eglise 1.

« Qu'elle est belle, dit-il dans son exorde, qu'elle est belle, cette Eglise gallicane, pleine de science et de vertu ! mais qu'elle est belle dans son tout, qui est l'Eglise catholique! et qu'elle est belle saintement et inviolablement unie à son chef, c'est-à-dire au successeur de saint Pierre! Oh! que cette union ne soit pas troublée! que rien n'altère cette paix et cette unité où Dieu habite!... La paix est l'objet de cette assemblée. »

Mais en même temps que Bossuet représente l'Eglise

1 Ce sermon, ou plutôt ce discours, se trouve au tome XV des Eu-: vres de Bossuet, p. 489.

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gallicane toujours fidèle dans l'union inviolable qu'elle a conservée avec le saint-siége; en même temps qu'il évite toutes les expressions qui pourraient blesser les tendres oreilles des Romains, il montre aussi que cette Eglise n'a pas cessé d'être ferme et constante dans le maintien de ses maximes et de ses droits. Il rappelle l'exemple de saint Louis, « qui publia une pragmatique pour maintenir dans son royaume le droit commun et la puissance des ordinaires, selon les conciles généraux et les institutions des saints pères. »

« Qu'on ne nous demande plus, ajoute-t-il, ce que c'est que les libertés de l'Eglise gallicane? Les voilà toutes dans ces précieuses paroles de l'ordonnance de saint Louis; nous n'en voulons jamais connaître d'autres.... Ce n'est pas diminuer la plénitude de la puissance apostolique. L'Océan même a ses bornes dans sa plénitude; et, s'il les outrepassait sans mesure aucune, sa plénitude serait un déluge qui ravagerait tout l'univers. Mais conservons ces fortes maximes de nos pères, que l'Eglise gallicane a trouvées dans la tradition de l'Eglise universelle. »

On voit dans ce discours les sentiments, les pensées et les vues que Bossuet se proposait de faire adopter par l'assemblée. CONSERVER L'UNITÉ, telle a été sa plus forte, sa grande pensée, celle qui domine dans tous ses écrits, et qui semble avoir été l'œuvre de sa vie entière: maintenir avec fermeté les véritables libertés de l'Eglise gallicane; consacrer dans la forme la plus authentique l'indépendance de la puissance temporelle, et réprimer les esprits inquiets qui ne cherchaient qu'à enflammer les passions et à perpétuer la division, telle était la noble et religieuse ambition de Bossuet.

Il ne voulait pas que l'assemblée travaillât pour un jour, mais pour les siècles. « Puissent nos résolutions, s'écriait-il, être telles qu'elles soient dignes de nos pères, et dignes d'être adoptées par nos descendants, dignes enfin d'être comptées parmi les actes authentiques de l'Eglise, et insérées avec honneur dans ces registres immortels où sont compris les décrets qui regardent non-seulement la vie

présente, mais encore la vie future et l'éternité tout entière ! »>

L'affaire de la régale fut bientôt terminée à la satisfaction commune du roi et de l'assemblée. Le pape refusa néanmoins d'y donner son approbation, et rendit par là d'autant plus nécessaire de fixer enfin les principes par une Déclaration sur la puissance ecclésiastique.

Bossuet fut chargé d'en rédiger les articles.

Qu'on lise cette Déclaration 2, on y retrouve Bossuet tout entier. On lui doit d'y avoir apporté autant de modération dans les termes que de fermeté dans les maximes. Cette déclaration fut adoptée à l'unanimité.

L'assemblée crut devoir l'adresser (avec une lettre circulaire que rédigea Gilbert de Choiseul, évêque de Tournai) à tous les évêques de France, pour leur demander leur approbation et leur adhésion aux quatre articles.

La Déclaration fut homologuée par le parlement le 23 mars 1682, en même temps que l'édit du roi qui prescrit d'enseigner la doctrine contenue dans cette Déclaration. Cette injonction a été réitérée par l'arrêt du Conseil du 24 mai 1766, dans lequel S. M. veut que les maximes consacrées par la Déclaration « soient invariablement ob>> servées en tous ses Etats, et soutenues dans toutes les >> universités, et par tous les ordres, séminaires et corps >> enseignants. »

Après tant de précautions prises pour ne point offenser le pape, on pouvait se flatter de l'espoir qu'il saurait adhérer aux principes de la Déclaration. On voit, dans les lettres de Bossuet, que ce prélat insistait sur cette adhésion, dans l'intérêt même du saint-siége. S'attachant à l'article relatif à l'indépendance de la temporalité des rois, il écrivait à Rome à M. Dirois 3: « Il ne faut que condamner cet article pour achever de tout perdre. Quelle espérance peut-on avoir jamais de ramener les princes du Nord et de convertir les infidèles, s'ils ne peuvent se faire catholiques sans se donner un maître qui puisse les déposséder quand 1 Voyez l'édit de janvier 1682.

2 Voyez page 104.

3 Tome XXXVII des Œuvres de Bossuet, p.

272.

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