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aussi l'article 15 de la loi du 18 juillet 1837 (art. 85 de la nouvelle loi), qui permet au préfet de faire, par lui-même ou par un délégué, les actes que le maire refuse ou néglige de faire.

15. La portée de l'article 15 de la loi du 18 juillet 1837 a été déterminée plus haut, et nous avons vu que cette disposition ne concerne que les actes formellement prescrits par la loi. Or, lorsque le maire fait un règlement, il use d'un pouvoir qui est confié à son appréciation. Il ne s'agit pas d'un acte déterminé mais d'un pouvoir général dont l'exercice dépend du discernement du magistrat qui en est investi. Peut-être y a-t-il inconvénient à placer le préfet dans l'alternative d'une destitution et d'une regrettable inaction; mais le législateur a pensé qu'il y aurait plus d'inconvénients encore à permettre l'absorption de l'autorité municipale par le pouvoir du préfet. Les tribunaux1 refuseraient d'appliquer les articles substitués par voie de réformation, et le Conseil d'État prononcerait l'annulation de l'arrêté préfectoral pour excès de pouvoir2.

Nous avons dit comment la question a été résolue par la nouvelle loi municipale.

Le législateur a pensé qu'il était bon de multiplier les pouvoirs qui seraient chargés de combattre le désordre ou l'insalubrité. Peut-on dire que l'effet du désordre ou de l'insalubrité s'arrêtent aux limites de la commune? Les troubles ne peuvent-ils pas facilement s'étendre, se communiquer aux communes voisines ou inspirer des craintes légitimes à leurs habitants? Un foyer d'infection n'envoie-t-il pas au loin des miasmes délétères et comment s'assurer qu'ils ne dépasseront pas les bornes de la commune? Il faut aussi penser aux intérêts des

1 C. cass., Ch. crim., arr. du 25 novembre 1859 (D. P. 1859, I, 514), commune de Saujon (Charente-Inférieure).

* Décret du 11 août 1859 (D. P. 1860, III, 43). Le décret et l'arrêt précités (V. note précédente) ont été rendus dans la même espèce. Bessière et autres c. maire commune de Saujon. V. aussi C. cass., Ch. crim., arr. du 27 janvier 1854 (D. P. 1854, I, 134) et 23 septembre 1854 (D. P. 1854, V, 576). V. enfin circulaire ministérielle du 1er juillet 1840 (D. P. 1841, III,

minorités. Qui n'a vu, en traversant les petites communes, les fumiers des habitants étalés dans les rues et sur les places? Cet abus dure encore dans beaucoup de villages et les observations des préfets n'ont pas réussi à le faire disparaître. Même les menaces de suspension ou de révocation n'ont pas pu vaincre cette force d'inertie; les maires qui auraient dû se réformer eux-mêmes n'ont pas fait les règlements qu'on leur demandait de faire pour l'enlèvement des fumiers et n'ont pas craint d'être blâmés par les habitants qui, tous, commettent la même faute, ni d'être remplacés, tous les candidats possibles étant dans le même cas. La loi nouvelle permet au préfet, après avoir sommé le maire, de faire le règlement qui ordonne l'enlèvement des fumiers et de prendre les mesures nécessaires pour le faire exécuter.

16. Parmi les règlements temporaires, il faut compter le ban de vendanges que le maire a le droit d'arrêter en vertu de ses attributions sur la police rurale. A titre de règlement temporaire, le ban de vendanges est exécutoire sans approbation préalable du préfet; celui-ci a seulement le droit d'en prononcer l'annulation. Les contrevenants ne pourraient donc pas écarter l'application du règlement en s'appuyant sur le défaut d'approbation par le préfet'. M. Serrigny a contesté au maire le pouvoir de faire le ban de vendanges et soutenu que c'était une attribution du conseil municipal. Il s'appuie sur la loi des 28 septembre-6 octobre 1791 qui, après avoir consacré le droit, pour chaque propriétaire, de faire la récolte au moment qu'il lui convient de choisir, ajoute : «< Dans les pays où le ban de vendanges est en usage, il pourra être fait à cet égard, chaque année, un règlement par le conseil général de la commune, mais seulement pour les vignes non closes3.» Les mots conseil général de la commune forment le seul argument sur lequel s'appuie l'opinion de M. Serrigny. Mais le conseil municipal a-t-il donc remplacé le conseil général et

1 C. cass., Ch. crim., arrêt du 24 janvier 1861 (D. P. 1861, I, 405). 2 Questions et traités, p. 178.

3 Titre Ier, section V, art. 1 de la loi des 28 septembre-6 octobre 1791.

ces deux institutions sont-elles identiques? Ces termes se référaient à un système d'administration municipale qui a été supprimé. Le conseil général de la commune n'existe plus et, quant à ses attributions, elles appartiennent au maire ou au conseil municipal, suivant la nature de chacune d'elles. Or le ban de vendanges dépend de la police rurale, et la police rurale appartient au maire en vertu d'une disposition formelle de la loi du 18 juillet 1837 et d'une autre de la loi du 5 avril 1884 (art. 91). Évidemment cette matière dépend de l'action administrative, et c'est le maire qui est chargé de l'action administrative, tandis que le conseil municipal n'est appelé qu'à délibérer. La loi du 18 juillet 1837 avait limitativement déterminé les délibérations du conseil municipal exécutoires par elles-mêmes, et l'article 17 qui les énumérait ne parlait pas du ban de vendanges. Il serait extraordinaire, si une pareille dérogation aux principes sur la séparation entre l'action et la délibération existait dans nos lois, que la loi municipale eût gardé le silence sur cette attribution anormale du conseil municipal. Je demande d'ailleurs à quel moment le conseil délibérera sur le ban de vendanges. Aucune des sessions ordinaires ne correspond à l'époque de cette récolte, et pour délibérer il faudrait obtenir l'autorisation de le réunir en session extraordinaire. Ainsi la police rurale serait subordonnée au bon plaisir du sous-préfet, qui cependant n'est investi d'aucun droit, même de simple contrôle ou de surveillance, en cette matière. Ces dernières considérations ne seraient point décisives par elles-mêmes, mais elles fortifient les raisons fondamentales tirées: 1° de l'application des principes qui distinguent l'action de la délibération; 2° du silence gardé par l'article 17 de la loi du 18 juillet 1837. L'opinion de M. Serrigny n'a trouvé d'écho ni dans la doctrine ni dans la jurisprudence, qui ont l'une et l'autre adopté le système enseigné 'par Merlin'.

17. Le ban de vendanges est une restriction considérable au droit de propriété. Cette limitation, qui est fondée non-seule

1 Merlin, Répertoire, Vo Ban de vendanges, no 12. Nous avons combattu l'opinion de M. Serrigny dans le Journal de droit administratif, année 1853, p. 245 (t. Ier).

B.

- IV.

2

ment sur la loi du 6 octobre 1791 précitée, mais encore sur l'article 475 n° 1, du Code pénal, a été motivée par la facilité qu'elle procure pour surveiller le maraudage dans les vignes non closes; car les propriétaires ne pouvant couper la récolte qu'à partir d'une certaine époque et, après l'ouverture des vendanges, entre des heures déterminées, tous ceux qui entrent dans les vignes en dehors de ces époques sont en présomption de maraude, et l'action de la police est facilitée. Aussi le ban de vendanges ne s'applique-t-il pas aux vignes closes. Quant au mode de clôture, il faut pour que l'exception soit appliquée qu'il s'agisse d'une clôture réelle et efficace. La loi du 6 octobre 1791 elle-même a, dans une autre section et à propos du parcours et de la vaine pâture, donné une définition de la clôture. Lorsque la clôture n'est pas un mur ou une haie, il faut, au moins, que la vigne soit séparée par un fossé de quatre pieds à l'ouverture et de deux pieds de profondeur. Cette définition1 est, à la vérité, donnée à l'occasion du parcours et de la vaine pâture; mais il est naturel que dans la même loi les termes identiques aient la même signification.

Il est reconnu par la jurisprudence que, même pour les vignes non closes, le ban de vendanges ne s'applique pas aux personnes qui coupent du raisin pour des usages domestiques.

Dans les communes où le ban de vendanges est en usage, les propriétaires de vignes sont tenus d'attendre le ban, et la jurisprudence décide avec raison qu'il y aurait contravention dans le fait de vendanger avant l'ouverture officiellement annoncée.

18. Je ne suis pas bien convaincu de l'utilité du ban de vendanges. Cette restriction me paraît avoir de bien petits avantages si on les compare aux inconvénients qu'entraîne la limitation du droit de propriété qui en est la conséquence. Tout en reconnaissant la légalité du ban de vendanges, je crois que les maires se conduiront en administrateurs éclairés s'ils font dis

Art. 6, section IV, tit. 1, du Code rural, des 28 sept. 6 octobre 1791. 2 C. cass., Ch. crim., du 24 janvier 1861 (D. P. 1861, I, 405). Il faut que la vigne soit close et les vignes seulement isolées sont soumises au ban de vendanges.

paraître ce débris d'une institution féodale. L'origine du ban de vendanges, en effet, se rattache à la perception de la dime. Les collecteurs du clergé ou des laïques décimateurs pouvaient plus facilement percevoir l'impôt, lorsque la récolte était resserrée dans un intervalle déterminé et entre certaines heures fixes. La fraude à la perception de la dîme était d'ailleurs rendue difficile, sinon impossible, par cette limitation du temps. On comprend que le ban de vendanges protégeât l'intérêt du déciAmateur; mais il serait impossible aujourd'hui d'invoquer ce motif d'un autre temps. Ce qui est moins évident, c'est l'obstacle que le ban apporte à la maraude. En admettant qu'il serve à la réprimer, ce qui est fort douteux, cet avantage compense-t-il le mauvais effet que produit la restriction du droit 1?

Le ban de vendanges n'était pas le seul. Comme la dîme portait sur presque toutes les récoltes, la moisson avait été resserrée dans un intervalle déterminé, et il y avait aussi des bans de fauchaison et de moisson pour faciliter l'œuvre du collecteur.

19. La loi du 6 octobre 1791 ayant consacré une exception formelle et l'article 475, n°1, punissant expressément la contravention au ban de vendanges, il est impossible de ne pas reconnaître la légalité de ce ban. Aucun texte, au contraire, ne parle du ban de moisson et de fauchaison, et les considérations économiques, autant que les arguments juridiques, s'élèvent contre ces restrictions. Le Code rural du 6 octobre 1791 a consacré le droit, pour tout propriétaire, d'enlever la récolte à sa volonté, et n'a consacré qu'une exception en matière de vendange; de son côté, la loi des 15-27 mars 1791 a supprimé formellement tous les bans et, d'une façon plus générale, les institutions féodales ont été abolies. Tout enfin concourt à faire produire, sur ce point, au droit de propriété ses conséquences naturelles. Nous avons cependant le regret de dire que la jurisprudence est contraire à notre sentiment et qu'elle admet la légalité des bans de fauchaison, de moisson et de troupeau

1 Voir dans le même sens Th. Ducrocq, Cours de droit administratif, t. I, p. 190, no 205.

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