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61. Pourquoi les hommes tiennent plus profondément à la commune qu'au département, à l'arrondissement et au canton.

62. Pourquoi, au contraire, ils sont plus attachés à l'État qu'à la commune elle

même.

63. La législation française est, de toutes, celle qui a le plus réduit la vie communale.

64. De la commune aux États-Unis de l'Amérique du Nord.

65. La vie communale est la seule vie publique à laquelle un citoyen américain puisse tenir.

66. Angleterre.

67. 68.

Différentes espèces de bourgs.

Organisation établie par la loi municipale de 1835.

69. Comparaison entre la commune anglaise et la commune américaine.

70. Italie.

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77. De la commune dans l'ancien droit français et dans le droit intermédiaire.

60. Considérations générales. La nature humaine est égoïste et affectueuse; la vivacité de nos affections semble même être corrélative à notre amour de nous-mêmes. L'égoïsme sympathique, pour employer l'expression des philosophes, telle est la cause de presque toutes nos actions. Pourquoi la famille est elle l'objet de notre premier et plus vif attachement? C'est surtout parce que nous nous retrouvons dans chacun de ses

membres, que le sang qui nous anime les fait vivre, que nous avons reçu la même éducation, que nous sommes rattachés les uns aux autres par nos affections envers des parents communs, que nos intérêts ont été longtemps mêlés, que même après leur séparation, la solidarité du nom et de l'honneur domestique survit au partage des biens, qu'enfin l'individu est, pour ainsi dire, pénétré de tous côtés par la famille, et que chaque parent lui paraît être la continuation de son être.

61. Après la famille ce que nous aimons le plus, c'est la commune. Là, nous trouvons des habitants que nous connaissons individuellement, des camarades d'enfance qui ont grandi avec nous, des vieillards qui ont entouré notre jeunesse de bienveillance; là sont les documents qui constatent notre naissance, notre mariage et le décès de nos ascendants; là tout nous rappelle des événements qui parlent à notre cœur et qui intéressent notre vie. Les habitants de la commune ont un certain nombre d'idées que tous partagent; même quand ces idées ne sont que des préjugés locaux, chacun de nous. y tient ou au moins les traite avec indulgence. Nous sommes donc attachés à la commune par le triple lien de l'intérêt, du cœur et de l'esprit, et c'est pour cela qu'après notre famille rien ne nous est plus cher que la ville ou le village où nous sommes établis. Ceux qui le quittent y pensent constamment, et lorsque le moment de la retraite arrive, ils y viennent passer les derniers instants d'une vie qui va finir. Moins que la famille, la commune est la continuation de l'individu; mais elle l'est encore à un haut degré, et c'est dans l'intimité des rapports que la vie communale établit, entre les habitants, qu'est la source de nos affections pour le lieu de notre origine. On a donc eu raison de dire que la commune est une association naturelle et que la loi ne pourrait pas la supprimer, sans faire violence aux sentiments les plus légitimes.

Comparons à cela les sentiments que nous éprouvons pour l'arrondissements et le département, et on sera frappé de la différence. Ces lignes purement administratives (ou du moins peu s'en faut) ne disent rien à notre cœur. Quelques relations d'intérêt avec des personnes dont le plus grand nombre nous est

inconnu, la soumission à l'autorité de préfets ou sous-préfets venus de loin, et qui sont pressés de nous quitter pour avancer, quel faible lien! Ajoutons que souvent nous aimerions mieux relever d'un chef-lieu plus rapproché, et que toujours, sauf la question de commodité, nous demeurerions indifférents à un changement de circonscription. A mesure que les cercles administratifs s'agrandissent, les rapports de l'individu avec l'ensemble se relâchent et nos affections s'affaiblissent.

62. Il y a cependant une exception à cette règle; car l'État, quoique plus grand, nous est plus cher que le département, que l'arrondissement et que la commune elle-même. A quoi cela tient-il? Comment se fait-il que cette immense agrégation, qui semble n'être pour nous qu'une notion abstraite et presque confuse, est cependant l'objet d'un profond attachement et qu'au moindre signal tous les hommes, dont le cœur est bien placé, s'élancent aux frontières pour combattre l'invasion? C'est que la patrie nous tient par des liens plus nombreux encore que la vie municipale. Les lois qui régissent nos propriétés et nos personnes, les souvenirs glorieux de notre histoire, la communauté des intérêts et la ressemblance des habitudes, tout nous rattache à la patrie. Un changement de frontières nous soumettrait à des lois différentes, et nous rendrait compatriotes d'hommes façonnés par une autre éducation que la nôtre.

Barbarus his ego sum, quia non intelligor illis.

La patrie, c'est en même temps notre commune et notre famille; c'est nous-mêmes et nous l'aimons d'autant plus profondément que nos affections sont d'accord avec notre sentiment individuel. En changeant de département, d'arrondissement, de canton, nous changerions de préfet, de sous-préfet, de juge de paix; mais notre vie communale ou domestique ne serait en rien modifiée par cette mutation, et c'est pour cela que nous verrions avec la plus grande indifférence une modification qui ne ferait qu'effleurer notre existence. Nous serions, au contraire, affligés d'un événement qui nous ferait passer sous la domination étrangère, ou d'un décret qui supprimerait notre commune pour l'annexer à une autre.

Voilà le secret des mésintelligences qui divisent souvent les sections d'une même commune. Des sections, qui ont vécu de leur vie propre, se résignent difficilement à être absorbées par une commune voisine, et, toutes les fois que l'occasion se présente, des prétentions qu'on croyait éteintes se réveillent avec passion. Un décret peut changer les limites et modifier l'organisation des autorités. Mais pourrait-il supprimer la vie de la commune qu'il transforme en section? On a dit qu'un peuple ne meurt jamais; cela n'est pas exact, puisque la plupart des nations ont été formées avec des agrégations de peuples conquis et placés sous les mêmes lois. Ce qui est vrai, c'est que les peuples meurent lentement et qu'en dépit des événements, ils ne se résignent qu'à la longue à subir le joug, les lois et les mœurs des conquérants. Il en est de même des communes; elles vivent longtemps après leur suppression et ne manquent pas de donner signe de vie toutes les fois qu'elles sont en lutte d'intérêts contre la commune absorbante.

63. De toutes les législations, la nôtre est peut-être celle qui a le plus fait pour réduire la vie communale'. Notre com

1 La centralisation romaine avait écrasé les institutions municipales par une oppression fiscale sur les familles des curiales. V. dans Serrigny les charges imposées aux membres de la curie, ch. V, tit. III, liv. I, Droit public et administratif romain (t. I, p. 224 et suiv.), les moyens employés pour les contraindre à rester dans la cité (ibid., pag. 194) et les modes du recrutement des curiales (ibid., p. 189). Les trois chapitres contiennent les détails les plus précis sur la condition des curiales. Nous nous bornerons ici à esquisser les traits généraux de l'organisation municipale des Romains. Elle était loin d'avoir cette uniformité qui est le caractère de presque toutes nos institutions administratives. Premièrement on distinguait les colonies, les municipes et les préfectures. Les colonies étaient des villes ou cités soumises aux lois de Rome, tandis que les municipes, tout en acquérant les droits de cité, conservaient le privilège de se gouverner d'après leurs propres lois. Les préfectures étaient des villes privées du droit d'élire leurs magistrats et qui en recevaient, chaque année, de Rome, pour les administrer et y rendre la justice. Ces magistrats étaient appelés præfecti. - D'un autre côté, dans les municipes (legibus suis et jure suo utentes), la constitution des autorités municipales n'était pas partout la même. Les villes (urbes) et les cités (civitates) avaient des pouvoirs publics constitués et organisés; quant aux bourgs ou agglomérations rurales, on les rattachait de manière à en réunir

mune n'a presque pas d'autonomie et la plus grande partie de l'indépendance qu'elle a lui a été accordée par des dispositions récentes. Ce qu'il y a de plus remarquable dans notre organisation communale, c'est que l'indépendance de la commune est en raison inverse de l'importance des villes. Il semble que plus une commune est peuplée, plus elle compte parmi ses habitants d'hommes capables de l'administrer et, par conséquent, plus elle mérite de s'administrer elle-même. Eh bien! des considérations politiques ont fait renverser cet ordre logique. La ville de Paris et celle de Lyon, quoiqu'elles contiennent les éléments nécessaires pour constituer une forte organisation, sont moins autonomes que les plus petites communes. A quoi

plusieurs sous une même administration, à peu près comme sont liées, chez nous, plusieurs sections de la même commune.

La cité et la ville municipale avaient une curia, sorte de Sénat local qui était chargé de diriger l'administration des affaires de la localité (civitatis negotia curare). Les membres de ce Sénat s'appelaient curiales ou aussi décurions. Le nom de curiales leur venait de la curie dont ils faisaient partie, celui de décurions s'explique par l'usage où l'on était, dans les villes conquises, de prendre ordinairement la dixième partie de la popu lation, parmi les habitants les plus distingués, pour en former la curie. Il y a cependant controverse sur le point de savoir si le Sénat n'était pas un corps délibérant placé au-dessus des décurions, comme serait une chambre choisie dans une aristocratie. En d'autres termes, le corps des décurions se confondait-il avec la curie ou la curie n'était-elle qu'une partie de cette aristocratie locale, avec mission expresse de conduire les affaires municipales?

M. Raynouard (Histoire du droit municipal, t. I, 80, 81, 95 et 96) a soutenu que la curie était une assemblée placée au-dessus du corps de la noblesse, de même qu'à Rome le Sénat n'était pas composé de tous les patriciens. Nous pensons avec M. Serrigny (t. I, p. 187 et 188), que, suivant l'opinion généralement admise, la curie se composait, en règle générale, de tous les décurions, et que les documents cités par M. Raynouard se rapportent à quelques faits particuliers, c'est-à-dire à des municipes ayant une constitution spéciale. Il se peut que cette imitation de Rome se soit produite dans les villes les plus importantes, et il y avait pour cela une bonne raison : la population étant considérable, la dixième partie aurait formé une assemblée trop nombreuse et l'on avait jugé nécessaire de constituer une assemblée restreinte. - Le pouvoir exécutif était confié aux duumviri, appelés aussi, dans quelques municipes, quatuorviri. La nomination des duumvirs était faite par les duumvirs sortants, qui avaient le droit de nommer leurs successeurs. Cette nomination avait pour effet d'engager la responsabilité des magistrats

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