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sible de présenter en temps utile aux délibérations de la Conférence une œuvre suffisamment mûrie pour faire l'objet d'un projet de convention. Votre Commission fera néanmoins imprimer et distribuer son rapport et ses conclusions. Mais elle se permet de suggérer dès à présent à cette Haute Assemblée l'idée de renvoyer toute la matière à la Commission Royale Néerlandaise pour le droit international privé qui, en tenant compte des diverses législations en présence, pourrait en faire une étude complémentaire et approfondie en vue de la fixation du programme d'une conférence ultérieure.

Le Président donne acte à M. van den Bulcke de sa déclaration. Cependant, puisque cette déclaration se rapporte à la question de l'effet du mariage sur les biens des époux, il lui semble qu'il vaudrait mieux la réserver jusqu'au moment où on abordera cette matière spéciale.

Le Président ouvre la discussion sur l'avant-projet susmentionné. Il propose de procéder par articles, à moins qu'on ne désire émettre des observations d'un ordre général.

M. de Martens désire faire quelques observations générales.

Les deux délégués de Russie sont obligés, en vertu de leurs instructions, de faire des réserves expresses et formelles à l'égard de tout le projet qui est soumis à la Conférence, abstraction faite de l'article 1.

Lorsque le Gouvernement des Pays-Bas avait communiqué aux Gouvernements respectifs son Projet de Programme, le Gouvernement russe croyait que ce projet tel qu'il a été élaboré par les Conférences de 1893 et de 1894, et amendé par la Commission Néerlandaise, était de nature à pouvoir servir de base à un accord international sur cette matière. Dans cet ordre d'idées le Gouvernement russe, en ce qui concerne les conditions pour la validité du mariage, n'a proposé qu'un seul amendement, touchant notamment l'article 4 ancien, comme il résulte de la missive russe consignée dans le Recueil des Documents rela'ifs à la troisième Conférence (page 176).

Mais l'avant-projet qui nous est soumis à présent, constitue, tel qu'il a été remanié par la première Commission, un changement fondamental des projets formulés en 1893 et 1894.

Il est vrai que, comme le dit le Rapporteur dans son rapport, ce changement est le résultat d'une critique pénétrante. Mais M. de Martens pour son compte regrette profondément que cette critique ait abouti à des modifications qu'il trouve fâcheuses pour les pays où le mariage est considéré d'un autre point de vue que dans la plupart des Eta's. D'après sa conviction profonde le mariage religieux a les mêmes droits que le mariage civil. L'avant-projet s'est inspiré d'idées contraires; il est conçu sur la base du mariage civil; le mariage religieux y est presque écarté, n'y est plus traité d'égal. Cependant le respect des lois et droits des Etats étrangers en Russie n'est admissible que sur la base d'une parfaite réciprocité. Personne ne peut exiger qu'on respecte en Russie les lois des Etats étrangers concernant le mariage civil, si ces Etats étrangers ne s'obligent réciproquement de respecter les lois russes relativement au mariage religieux.

Les avis qu'ils émettront, si les circonstances s'y prêtent, ne devront en conséquence être considérés que comme l'expression de l'opinion purement personnelle des Délégués russes, qui ne saurait lier en aucune façon le Gouvernement Impérial.

M. Renault ne désire pas engager une discussion de fond. Il tient cepen

dant à donner quelques explications au sujet des observations que vient de faire M. de Martens.

Le Délégué de Russie a dit que la critique pénétrante à laquelle le Projet de programme a été soumis, a produit des résultats qu'il déplorait. Cependant la disposition où la question qui le préoccupe était prévue (article 4, al. 2 ancien) n'a pas été modifiée du tout. On a gardé le texte formulé en 1894, qu'on retrouve intact dans l'al. 2 de l'article 5 de l'avantprojet. Ce n'est donc pas la commission qui a changé de manière de voir depuis 1894.

M. Renault constate en outre que la commission n'a pas eu du tout l'idée de donner au mariage civil de meilleurs droits qu'au mariage religieux. Il est d'avis, et la Commission partage absoluinent son opinion, qu'on ne saurait déduire d'aucune disposition qu'on ait voulu donner la préférence au mariage civil. Le mariage religieux sera tout aussi valable que le mariage civil, comme il résulte d'ailleurs de l'article, al. 1. Il reconnait toutefois qu'il peut y avoir de telles difficultés, quand des lois animées par un esprit fort différent sout en conflit, qu'il est bien malaisé de trouver un terrain où l'on puisse établir un accord commun.

L'article 1er est adopté sans appel nominal. Cette disposition est conçue comme suit :

Le droit de contracter mariage est réglé par la loi nationale de chacun des futurs époux, à moins qu'une disposition de cette loi ne se réfère expressément à une autre loi.

On procède à l'examen de l'article 2.

La loi du lieu de la célébration peut interdire le mariage des étrangers, qui serait contraire à ses dispositions concernant :

1o Les degrés de parenté ou d'alliance, pour lesquels il y a une prohibition absolue;

2o La prohibition absolue de se marier, édictée contre les coupables de l'adultère, à raison duquel le mariage de l'un d'eux a été dissous;

3 La prohibition absolue de se marier, édictée contre des personnes condamnées pour avoir de concert attenté à la vie du conjoint de l'une d'elles. Le mariage célébré contrairement à une des prohibitions mentionnées ci-dessus ne sera pas frappé de nullité, pourvu qu'il soit valable d'après la la loi indiquée par l'article 1.

Sous la réserve de l'application du premier alinéa de l'art. 6 de la présente Convention, aucun Etat contractant ne s'oblige à faire célébrer un mariage qui, à raison d'un mariage antérieur ou d'un obstacle d'ordre religieux, serait contraire à ses lois. La violation d'un empêchement de cette nature ne pourrait pas entraîner la nullité du mariage dans les pays autres que celui où le mariage a été célébré.

M. Roguin dit que les délégués de Suisse n'ont pas l'intention de discuter les détails de la Conventiou; ils tiennent seulement à préciser les conséquences qui en résulteront pour les ressortissants des Etats contractants. A propos des divorcés, il croit pouvoir dire qu'il résulte du dernier alinéa de l'article 2 que des personnes régulièrement divorcées en Suisse ne verront pas nécessairement leur divorce reconnu à l'étranger et pourraient n'être pas admises à la célébration d'un nouveau mariage M. Roguin ne veut pas critiquer ce résultat, il se borne à le constater.

Ce résultat de l'article 2 est eu quelque sorte atténué par le renvoi à l'article 6. Le tempérament consiste en la permission de se marier devant un consul ou agent diplomatique de sa nation. Cependant cette atténuation

n'est pas pratique pour la Suisse, parce que les consuls suisses, qui ne sont pas des consuls de carrière, n'ont pas le droit de célébrer des mariages. C'est pour ces raisons que la Suisse tient à prendre acte des conséquences de l'article.

M. Renault constate avec M. Roguin l'étendue de la disposition dont il s'agit. Il le constate avec regret, mais fait remarquer que les dispositions adoptées sont le résultat d'une transaction sur laquelle on ne peut revenir. M. Pierantoni explique le système du Code Italien (article 100 et suivants). La loi reconnaît la validité du mariage des Italiens ou d'un Italien avec une étrangère à la condition qu'il ait été célébré dans la forme du pays du lieu et que les Italiens aient rempli les conditions nécessaires pour contracter mariage (articles 55 à 68) selon leur loi nationale. Il lui semble que si la loi du lieu veut interdire la célébration du mariage pour les cas indiqués aux no 1, 2, 3, on aura l'avantage de restreindre le droit d'annulation.

Il y a une question de droit constitutionnel bien délicate. Est-ce qu'une convention internationale, même approuvée par une loi, peut forcer le pouvoir législatif d'un pays à faire une loi? Il est à désirer que les Gouvernements étudieront la valeur de l'article. Quant à l'Italie, i croit que les cas de prohibition mentionnés répondent aux prohibitions du droit civil national, et que, par conséquent, le Gouvernement pourra accepter l'article. M. Renault fait observer que le discours de M. Pierantoni, en tant qu'il s'agit de la législation italienne, vise plutôt l'article 4, tandis que ses observations concernant les conditions à remplir par les époux se rattachent à l'article ier.

L'article 2 appartient à un tout autre ordre d'idées. Il peut très bien se faire qu'il y ait dans les lois du lieu de la célébration des empêchements qui n'existent pas dans la loi nationale. Un amendement a été proposé pour supprimer le mot « absolue dans le 2o; la Commission a cependant repoussé cet amendement pour le motif indiqué dans le rapport. M. Renault croit que par la rédaction proposée tous les scrupules sont levés.

M. Pierantoni remercie le délégué de France pour son explication. M. Missir croit que le texte de l'article 2, tel qu'il a été modifié par la Commission se prètera à des critiques qu'il faut envisager. L'unité du régime légal concernant le mariage est sacrifié d'après ce texte. Cependant on ne pouvait faire autrement du moment qu'on a en vue les législations qui considèrent le mariage comme un sacrement religieux D'après ces lois la célébration religieuse n'est pas une question de forme, mais une condition de validité intrinsèque du mariage, une condition imposée par des considérations de haute moralité. Du premier point de vue elle réclame une application strictement territoriale même aux étrangers qui se trouvent dans le pays, du second elle suit les nationaux même à l'étranger. Avec cette extension la loi donnerait lieu à des conflits inconciliables. La conciliation n'était donc possible qu'avec des sacrifices de part et d'autre. Les textes proposés par la Commission essaient d'arriver à ce but d'une manière très habile.

Pour les étrangers qui se trouvent dans un pays ayant le mariage religieux, le projet impose à la loi personnelle des futurs époux de s'effacer devant la loi du pays. Quoique capables de contracter mariage selon lear loi, ils doivent respecter les prohibitions d'ordre religieux, sauf à pouvoir contracter mariage devant les autorités diplomatiques et consulaires.

Mais la nullité d'un mariage contracté avec violation des empêchements

religieux ne devrait avoir pour les époux que la conséquence qui entraîne la nullité quant à la forme. Comme le mariage nul quant à la forme reste valable partout ailleurs s'il satisfait aux exigences de la loi personnelle des époux (article 7), de même le mariage contracté à l'encontre des prohibitions religieuses n'est nul que dans le pays dont la loi édicte ces prohibitions. Le même système de conciliation a été appliqué en sens inverse dans l'article 3 aux mariages à l'étranger des nationaux appartenant aux pays avec mariage religieux. La loi du pays qui ne reconnaît pas des empêchements d'ordre religieux prévaudra pour rendre possible la célébration du mariage, mais le mariage ainsi contracté pourra être annulé dans les pays ayant le mariage religieux.

L'unité du régime légal du mariage est sacrifiée, il est vrai, mais les conflits trouvent leur conciliation dans des moyens termes, les seuls qui soient possibles.

Le Président remercie M. Missir de l'exposé intéressant qu'on vient d'entendre. Il est convaincu que cet exposé servira beaucoup à éclaircir la portée de l'article pour ceux qui n'ont pas pris part à sa rédaction. L'article 2 est voté sans appel nominal.

Il en est de même de l'article 3 :

La loi du lieu de la célébration peut permettre le mariage des étrangers nonobstant les prohibitions de la loi indiquées par l'article 1er, lorsque ces prohibitions sont exclusivement fondées sur des motifs d'ordre religieux. Les autres Etats ont le droit de ne pas reconnaître comme valable le mariage célébré dans ces circonstances.

et de l'article 4:

Les étrangers doivent, pour se marier, établir qu'ils remplissent les conditions nécessaires d'après la loi indiquée par l'article 1".

Cette justification se fera, soit par un certificat des agents diplomatiques ou consulaires du pays des contractants, soit par tout autre mode de preuve pourvu que les conventions internationales où les autorités du pays de la célébration reconnaissent la justification comme suffisante.

On aborde l'examen de l'article 5 qui est conçu dans ces termes : Sera reconnu partout comme valable, quant à la forme, le mariage célébré suivant la loi du pays où il a eu lieu.

Il est toutefois entendu que les pays dont la législation exige une célébration religieuse, pourront ne pas reconnaitre comme valables les mariages contractés par leurs nationaux à l'étranger sans que cette pres cription ait été observée.

Les dispositions de la loi nationale, en matière de publications, devront être respectées; mais le défaut de ces publications ne pourra pas entrainer la nullité du mariage dans les pays autres que celui dont la loi aurait été violée.

Une copie authentique de l'acte de mariage sera transmise aux autorités du pays de chacun des époux.

M. Pierantoni désire faire une petite observation par rapport aux derniers mots de l'alinéa 3. La loi italienne prescrit que les mariages doivent être enregistrés dans un délai de six mois. Les défauts d'enregistrement n'entraînent pas la nullité. Il serait déraisonnable d'annuler un mariage à défaut des publications. Le Dé.égué d'Italie demande s'il y aurait də graves inconvénients à supprimer les mots dans les pays autres que celui dont la lui aurait été violée.

M. Renault fait remarquer que l'enregistrement dont parle M. Pieran

toni et qui existe également en France est une obligation dénuée de sanction, qui n'a pas de rapport avec les publications que vise l'article.

La disposition de l'alinéa 3 est tout a fait indispensable; elle réserve le domaine normal de la législation du pays où le mariage a été célébré et celui de la législation nationale des époux. D'ailleurs la rédaction proposée a autant que possible restreint et concilié les cas dans lequel le mariage pourrait être annulé.

M. Rahusen deman le quel est le sens du mot « pourra dans cet alinéa. S'ensuit-il que l'annulation du mariage sera facultative même dans le pays dont la loi aurait été violée ?

M. Renault répond affirmativement. D'après la jurisprudence française, un mariage de Français à l'étranger qui n'a pas éte précédé de publications en France, n'est pas nécessairement annulé; les tribunaux décident suivant les circonstances de chaque affaire.

M. de Martens profite de la discussion sur l'article 5 pour constater que les réserves que la Délégation de Russie a été obligée de faire n'avaient pas pour but d'amoindrir la valeur du travail de la Cominission. Au contraire, M. de Martens et son collègue sont pleins de respect pour ce travail. La Commission a travaillé avec beaucoup de science et d'habileté.

Le Gouvernement Impérial de Russie avait proposé une modification importante qui a donné lieu à une discussion approfondie au sein de la 1 Commission, mais n'a pas été adoptée. Il se peut que la Conférence ne partage pas la manière de voir de la Commission, mais M. de Martens n'insiste nullement pour que l'amendement russe soit derechef mis aux voix. Il n'a demandé la parole maintenant que pour émettre une idée stricte ment personnelle. L'article 5 traite de la question de forme du mariage, mais il parait à M. de Martens que la question de forme est liée d'une manière essentielle avec la question du fond.

Comme on a toujours déclaré que la loi nationale serait le phare à la clarté duquel on se dirigerait, ne pourrait-on pas ajouter au 1er alinéa les mots: ou suivant la loi nationale?»

M. Pierantoni appelle l'attention de la Conférence sur le second alinéa de l'article. Il respecte le sentiment religieux et constate que, mème dans les pays où le mariage a été sécularisé, la bénédiction religieuse est demandée par le plus grand nombre des époux.

Il connaît l'état de la législation russe, qui prescrit les mariages exclusivement religieux, c'est-à-dire coufessionnels, mais il rappelle les grands inconvénients de ces mariages quand il s'agit de fiancés qui professent des religions différentes. Il fait remarquer les grandes difficultés auxquelles donna lieu l'application du système du concile de Trente, surtout en Pologne, où il y avait des protestants. Le Saint-Siège donna la permission sous des conditions déterminées: il fallait s'obliger à faire élever les enfants dans l'une des deux religions; quelquefois on exigea que les fils fussent élevés dans la religion du père et les filles dans celle de la mère. Il arriva que la prohibition du mariage provoqua l'apostasie. Tous ces inconvénients obligèrent les législateurs à concilier la liberté de conscience avec la liberté religieuse sous l'empire du mariage civil. Eu adoptant l'alinéa 2, ou créera de grandes difficultés à la célébration des mariages. Un Russe trouvera-t-il toujours une église à l'étranger? Il semble au Délégué d'Italie qu'il faut s'en remettre à la compétence diplomatique, au droit de chapelle; mais les consuls russes n'auront pas les prètres autorisés. Il ne

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