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qu'il viendra secourir la place, mais il viendra trop tard. Le roi a la goutte anx deux pieds, et je n'en suis pas fâchée. Un boulet rouge des ennemis est tombé au quartier de Mr. de Boufflers, et en a fait sauter sept milliers; cette belle ville-ci fut ébranlée du bruit; car, pour comble d'agrément, nous entendons le canon du siege, et nous craignons que chaque coup n'emporte quelqn'un de nos amis. A cela près, je suis contente, je suis des mieux logées, très bien servie et voulant bien être où Dieu me met: je vous embrasse, mes cheres filles ! il y d'ici quatre cents degrés pour monter au château dont je vous ai parlé.

LETTRE XI.

A la même.

Mai 1692

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I l'on pouvoit en conscience souhaiter une religieuse hors de son couvent, je voudrois vous voir dans les places de guerre où nous passons; et si l'on pouvoit changer les inclinations, je prendrois volontiers cette humeur martiale qui vous

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fait aimer la poudre et le canon. Vous seriez ravie, madame, de ne sentir que le tabac, de n'entendre que le tambour de ne manger que du fromage, de ne voir que des bastions, demi-lunes, contrescarpes, et de ne toucher rien, dont la grossiéreté ne soit fort opposée à cette sensualité au-dessus de laquelle vous êtes si élevée par votre courage et votre caractere. Pour moi, qui malheureusement suis femme, et qui le suis plus qu'une autre, je vous donnerois volontiers ma place, pour travailler en tapisserie avec nos cheres dames. J'espere que ce plaisir n'est que différé; et que Namur aimera mieux se rendre, que de se faire entiérement ruiner. Vous ne pensez qu'à la guerre, vous ne me dites pas un mot de la retraite, ni de votre santé je suis trop bonne après cela, de vous dire que le roi se porte bien malgré sa goutte; et que de son lit, où il est retenu depuis douze jours, il donne ses ordres pour prendre vite Namur, pour que son autre armée s'oppose au prince d'Orange, pour que le maréchal de Lorges entre en Allemague, que Mr. de Catinat repousse Mr. de Savoie, que Mr. de Noailles empêche les Espagnols de rien faire, que Mr. de Tourville batte

la flotte des ennemis s'il a le vent favorable; et que l'intérieur du royaume, gouverné comme s'il y toit présent partout, ne se ressente pas des malheurs de la guerre. Je vous quitte après cette peinture qui doit remplir votre idée.

LETTRE XII

A Me. de***

Ce 30 septembre 1693.

N m'annonce de tous côtés une

Olettre de la communauté, que je ne

vois point. Ce seroit une grande joie pour moi, si nous n'avions plus qu'à travailler à notre sanctification et à l'établissement entier de notre chere maison qui m'agite toujours entre l'espérance et la crainte. Je suis si convaincue qu'elle ne peut être médiocre, comme je vous l'ai dit cent fois, que je vous avoue que sa destruction ne me feroit pas beaucoup de peine, parce qu'on n'est point obligé de soutenir un établissement au-dessus de ses forces. Mais que cet établissement se tournât mal, ce seroit un des lieux du monde où Dieu seroit le plus offensé :

voilà qui est bien-propre à nous effrayer, ma chere sœur; ce n'est pourtant pas mun dessein. Vous avez raison de dire que nous ferons une grande perte, le jour que notre (1) mere nous quittera : cependant cette perte est inévitable, et c'est ce qui me fait trembler: soyez plus courageuse que moi, et ne perdez pas un moment pour profiter de ce que vous voyez. Vous serez apparemment une des principales de la maison, et vous savez qu'il n'y a presque pas d'emplois où l'on pe commande: apprenez donc cette maniere de commander avec douceur et avec fermeté; et de répondre en peu de paroles, sans hausser le ton, et sans perdre l'air modeste et grave dont notre mere accompagne tout ce qu'elle fait, et tout ce qu'elle dit. Ecrivez ce qui vous paroîtroit bon à écrire, et que vous craindriez d'oublier : vous ne pouvez trop prier pour que Dieu nous éclaire tous, et vous ne pouvez trop ouvrir les yeux pour répondre à ce que nous pourrons vous demander. J'ai cru m'appercevoir de ces tristesses dont vous me parlez.

(1) La mere Priolo, venue de Chaillot pour former le noviciat de Saint-Cyr.

Reprenez courage: Dieu ne vous manquera pas, quand vous vous donnerez toute entiere à lui: priez-le continuellement, de bénir ce que nous voulons faire, ou de le renverser. Adieu, ma chere fille.

LETTRE XIII

Aux dames de Saint-Louis.

A Fontainebleau, ce 1 octobre 1693.

L n'y a que la paix générale qui puisse me donner une plus grande joie que celle que je ressens de vous voir contentes de l'état que vous allez embrasser. Dien sait si j'ai jamais voulu vous le rendre pénible et si je ne serois pas prête tout-à-l'heure à changer vos constitutions, vos réglements, et votre maison, contre mes vues propres ; si ceux que nous consultons, me le conseilloient. Mais enfin, il faut se fixer, et espérer que n'ayant cherché que la gloire de Dieu, il voudra bien répandre sa bénédiction sur nos travaux. Un auteur (1) moderne, fort

(I) Fénelon,

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