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tionnées à l'état de la fortune, et que les plus grands sont toujours les plus malheureux.

J'ai fait réflexion sur les étrennes que Bernard veut vous donner. Je crains d'avoir trop tranché là-dessus. Je n'ai point eu de procès; j'ai toujours été gâtée partout: mais il me semble que l'exemple de Chaillot vous seroit meilleur que le mien.

J'ai connu une dame, qui s'est ruinée à acheter tout ce qu'elle trouvoit à bon marché. Je suis de même sur les aumônes, et je ne puis résister aux petites. Donnez donc, ma chere fille, cinq louis à votre philosophe; et faites-moi hardiment de pareilles propositions, quand la providence vous les offrira.

LETTRE XVIII.

A la même.

ON vous a porté bien des bonbons,

pour consoler mes enfants

d'avoir perdu leur (1) mere.

(1) Me. Priolo.

:

Le roi est très-content de la visite qu'il vous fit hier: il est un peu mal aujourd'hui de sa médecine, qui l'a toujours purgé ; j'espere qu'il ne s'en portera que mieux. Je crois avec vous, ma chere fille, qu'un roi est un grand prédicateur, et un prédicateur fort persuasif; il vous donna de très-bonnes maximes. Représenter son avis, et ensuite se soumettre; soutenir ce qui a été réglé contre notre avis, quitter tout pour ne quitter jamais les demoiselles voilà ce que j'en ai retenu; mais je compte que mad. de Bouju n'en aura pas perdu un mot. Je ne fus pas fâchée de ne pouvoir dire adieu à nos cheres filles; je ne le pouvois pas sans me trop attendrir. Que chacune s'avance dans la perfection, que je sais qu'elles cherchent toutes que toutes ensemble forment une sainte communauté! qu'elles vivent comme des anges! qu'elles ne songent qu'à mourir à elles-mêmes! qu'elles soient humbles, silencieuses, zélées pour le bien de leur établissement! qu'elles aiment à se mortifier, et que leur supérieure songe à les réjouir innocemment! qu'elles deviennent simples! que leurs récréations soient gaies! qu'elles évitent les commerces particuliers, source de toutes sortes de troubles! qu'elles aiment leurs Gs

supérieurs, qui les aiment bien tendre ment. Mais après leur avoir souhaité tant de bien, je les conjure de demander à Dieu pour moi ceux qu'elles me croient les plus utiles, et dont elles jugent bien mieux que moi. Ce n'est pas assez de faire des exhortations à nos filles : il leur faut donner des exemples de perfection; en voici un que j'ai trouvé dans un auteur qui ne leur est ni suspect, ni désagréable:

Extrait d'une lettre de Cambray.

« Au reste, madame, vous prenez » soin d'une grande communauté de » filles, et vous avez intérêt d'avoir » devant les yeux des modeles de per»fection: en voici un, pour la discipline » régulière que je vous propose: Chaque » religieuse des abbayes nobles de ce » pays est fondée en coutume d'aller » passer tous les ans un mois dans sa »famille, et de visiter toute sa parenté: » c'est une civilité réglée. Quand j'arrive » dans un couvent, la supérieure vient » au-devant de moi pour me recevoir » dans la rue: on reçoit tous les étrangers » dans des parloirs extérieurs, sans grilles, » ni clôture. Pour moi, en arrivant » on me mene à l'église, au chœur, au

une

» cloître, au dortoir, enfin au réfec>>toire, avec toute ma compagnie. Alors » la supérieure me présente un verre : » nous buvons ensemble, elle et moi » à la santé l'une de l'autre : la commu»nauté m'attaque aussi : mon grand» vicaire et mon clergé viennent à mon » secours : tout cela se fait avec » simplicité qui vous réjouiroit. Malgré » cette liberté grossiere, ce bonnes » filles vivent dans la plus aimable inno"cence: elles ne reçoivent presque » jamais de visites que de leurs parents: » les parloirs sont déserts, le monde » parfaitement ignoré, et il y regne une » rusticité très-édifiante. On ne raffine » point ici en piété, non plus qu'en » autre chose: la vertu est grossiere » comme l'extérieur; mais le fonds est » excellent dans la médiocrité fla» mande on est moins bon et moins » mauvais qu'en France; le vice et la » vertu ne vont pas si loin: mais le " commun des hommes et des filles de » communauté est plus droit et plus » innocent ».

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Vous croyez bien, ma chere mere; que je me sens une grande émulation pour Vous après cette lecture; et que ma joie

seroit parfaite, si je vous voyois boire avec M. de Chartres, et ma sœur de Veilhant attaquer son grand-vicaire. Vous me trouverez bien du loisir, de m'être embarquée dans une si longue lettre. Mais quand il s'agit de Saint-Cyr, il est toujours dimanche pour moi. Le roi entretient un héros (M. de Boufflers) inconsolable de la perte de Namur. Adieu, ma chere fille.

LETTRE XIX.

A Me. de la Maison-fort.

Marly, le 6 Août 1695.

MR. de Chartres, ma fille, vous a

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dit tout ce qui l'engage à purger notre maison des écrits de mad. Guion, que trois évêques ont condamnés. Vous savez qu'ils ont fait peu de bien et beaucoup de mal. Soumettez-vous donc vite, et comme chrétienne, à vôtre évêque; et comme religieuse, à votre supérieur. Quant aux écrits de M. l'archevêque de Cambray, pourquoi faut-il que vous les gardiez? et croyez-vous soutenir cette singularité? Vous savez que nous les avons

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