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montrés malgré lui, et ce que votre imprudence et la mienne ont fait là-dessus. Il nous a dit, il nous a écrit plusieurs fois que ces écrits n'étoient point propres à toutes sortes de personnes, et qu'ils pouvoient même être très-dangereux : qu'il les avoit faits pour chaque particuliere à qui il répondoit, et sans y apporter aucune précaution. Vous êtes souvent convenue qu'ils ont fait du mal: parce qu'on ne les entendoit pas; ou qu'on les prenoit par parties sans examiner le tout ensemble; ou qu'on les appliquoit mal, en les détournant du sens de l'auteur. Je suis assurée qu'il voudroit de tout son cœur qu'ils ne fussent pas chez nous : pourquoi donc, ma fille, voulez-vous les y retenir ?

LETTRE XX.

A la même.

Le 9 mars 1696.

JE suis ravie que la conférence (1) de

M. de Meaux sur le dogme affreux de l'indifférence pout le salut éternel, et celle qu'il vous fit avant-hier sur l'oraison passive, vous aient touchée, ma chere fille, et inspiré le dessein de vous adresser à lui. Il éclaircira tous vos doutes : il avoit converti madame votre (2) cousine : il possede à fond toutes ces matieres comme beaucoup d'autres. J'approuve fort que vous me donniez vos questions. bien cachetées, et que vous demandiez que les réponses me soient adressées de même. Je n'ai pas dit un mot pour prévenir M. de Meaux : j'en connois trop l'inutilité, et combien il pense comme ceux qui nous gouvernent.

(1) Conférence que M. Bossuet fit à Saint-Cyr, le 8 février. Il en fit une seconde, le 7 mars. (2] Me. Guyon.

LETTRE XXI.

A la même.

JE vous prie, ma chere fille, de vous

souvenir que vous êtes chrétienne et religieuse. Votre vie doit être cachée, mortifiée, pure, et privée de tous les plaisirs. Vous ne vous repentez pas du parti que vous avez choisi: prenez-ledonc avec ses austérités et ses suretés. Vous auriez eu plus de plaisirs dans le monde ; et selon les apparences, vous vous y seriez perdue. Ou Racine, en vous parlant du jansénisme, vous y auroit entraînée; ou M. de Cambray auroit contenté ou même renchéri sur votre délicatesse, et vous seriez quiétiste. Jouïssez donc du bonheur de la sûreté. Aimeriez-vous mieux que votre maison fût plus éclatante que solide; et que vous serviroit d'y avoir brillé, si vous vous étiez abîmée avec elle? Pourquoi Dieu, vous at-t-il donné tant d'esprit et tant de raison? Croyez-vous que ce soit pour discourir, pour lire des choses agréables pour juger des ouvrages de prose et de vers, pour comparer les gens de mérite

et les auteurs? Ces desseins ne peuvent être de lui. Il vous en a donné pour servir à un grand ouvrage établi pour sa gloire. Tournez vos idées de ce côté-là: elles sont aussi solides que les autres sont frivoles. Tout ce que vous avez reçu est pour le faire profiter. Vous en rendrez compte. Il faut que votre esprit devienve aussi simple que votre cœur. Que vo driez-vous apprendre, ma chere fille ? Je vous réponds, sur beaucoup d'expérience, qu'après avoir beaucoup lu, vous verriez que vous ne sauriez rien. Votre religion doit être tout votre savoir. Votre temps n'est plus à vous. Dieu vous a donné toute la raison que la lecture pourroit avoir donnée à une autre. Je le remercie de ce que vous aimez l'oraison et l'office. Je ne vous y vois point, sans regreter de n'être pas religieuse.

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en serez plus humble, et vous sentirez par votre expérience que nous ne trou

vons nulle ressource en nous, quelque esprit que nous ayons. Vous ne serez jamais contente, ma chere fille , que lorsque vous aimerez Dieu de tout votre cœur: ce que je ne dis pas par rapport à la profession où vous vous êtes engagée; Salomon vous a dit, il y a long-temps qu'après avoir cherché, trouvé, et goûté de tous les plaisirs, il confessoit que tout n'est que vanité et affliction d'esprit hormis aimer Dieu et le servir. Que ne puis-je vous donner toute mon expérience! Que ne puis-je vous faire voir l'ennui qui dévore les grands, et la peine qu'ils ont à remplir leurs journées ! Ne voyez-vous pas que je meurs de tristesse dans une fortune qu'on auroit eu peine à imaginer, et qu'il n'y a que le secours de Dieu qui m'empêche d'y succomber? J'ai été jeune et jolie : j'ai goûté des plaisirs j'ai été aimée par-tout dans un âge un peu plus avancé : j'ai passé des années dans le commerce de l'esprit je suisvenue à la faveur : et je vous proteste ma chere fille, que tous les états laissent un vuide affreux une inquiétude, une lassitude, une envie de connoître autre chose, parce qu'en tout cela rien ne satisfait entiérement. On n'est en repos que lorsqu'on s'est donné à Dieu, mais avec

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