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dans son sang, et faisoient toucher leurs chapelets à son corps; Mr. Dodard en a a pris quelque chose. J'admire la conduite de Dieu : il a permis que ce prince ait été méprisé pendant sa vie pour lui faire sentir l'humiliation, et il le glorifie quand il ne peut plus abuser de sa gloire. Cette réflexion doit faire trembler ceux qui sont honorés dans ce monde. Je suis si abatue, que je n'ai pas la force de vous aller dire adieu. Nous partons à quatre heures; mais il faut rendre au roi un bon office auprès de vous, en vous disant qu'il a fait ce qu'il a pu pour m'envoyer à SaintCyr. Adieu fortifiez-vous en Dieu, à mesure que les secours et les consolations vous manquent ; il faut vous y accoutumer peu-à-peu. Entretenez nos cheres filles dans la ferveur et dans la joie : et qu'elles songent à vous réjouir; car vous en avez besoin. Je vous embrasse toutes.

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LETTRE XXXII.

A Me. de Beaulieu.

1703.

L faut bien qu'une premiere maîtresse

et

que ce soit elle qui apprenne de mes nouvelles aux autres. Mais je ne puis rien dire de gai : j'ai le cœur serré de la douleur de notre Princesse, depuis que Mr. de Savoie a déclaré la guerre au roi.

O mes cheres filles ! que vous êtes heureuses d'avoir quitté le monde ! il promet de la joie, et n'en donne point. Le roi d'Angleterre jouoit hier dans ma chambre avec la duchesse de Bourgogne et avec ses dames à toutes sortes de jeux; notre roi et la reine d'Angleterre les regardoient ce n'étoient que danses et emportements de plaisirs, et presque tous se contraignoient, et avoient le poignard dans le cœur. Le monde est certainement un trompeur : vous ne pouvez avoir trop de reconnoissance pour Dieu de vous en avoir tirées.

LETTRE XXXIII.

Aux dames de Saint-Louis.

Ce 13 juillet 1704.

J'Espere que votre expérience vous dé

goûtera des écrits, et vous persuadera qu'il faut tirer son instruction et animer la vertu par ceux qui ont toujours été le fondement de la religion. Il y a mille choses édifiantes, dont on peut user avec la permission de ceux qui nous conduisent; mais tout cela doit être passager. Vous savez dans quelle intention j'osai vous donner la connoissance et les écrits de Mr. de Cambray. C'étoit un homme d'une grande réputation, et qui me parut un saint je n'ai jamais eu rien de bon que je n'aie voulu le partager avec vous dans cette vue, je remplis votre maison de ses ouvrages. Vous savez le mal qu'ils y firent. Voyez par-là combien il faut être discret dans son zele; et jugez du besoin que nous avons de délibérer longtemps, dès qu'il s'agit de quelque chose de nouveau. J'avois beaucoup ouï parler du jansénisme dès ma jeunesse: je n'en

ignorois pas les maximes, et Dieu m'a fait la grace de haïr tous les partis. Mais je n'avois pas la moindre idée du quiétisme; ainsi je donnai dans les sentiments de Mr. de Cambray, sans en connoître le danger: il me devint suspect, aussi-tôt que je le vis contredit par ses confreres et par ses meilleurs amis; et en me faisant instruire, je vis bientôt l'illusion dont il a plu à Dieu de me préserver. En attendant le jugement de Rome où l'on avoit porté l'affaire, je me trouvois souvent embarrassée, entre le zele qui me portoit à parler contre cette doctrine, et l'amitié qui m'invitoit à parler pour M. de Cambray. Je consultai M. Joly, général de la mission, votre supérieur, et bien digne de toute mon estime. Il me répondit que non seulement il falloit crier contre les nestoriens, mais encore contre Nestorius; parce qu'il étoit difficile de faire hair l'erreur, tandis qu'on feroit aimer l'hérétique. Rome condamna la doctrine de M. de Cambray. Il accepta: il se soumit. Je me trouvai dans un autre embarras pouvois-je croire cette soumission sincere, tant que je ne voyois pas le prélat devenir, comme St. Paul, prédicateur de la foi qu'il avoit combattue? Cette disposition de mon cœur me

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donna quelque scrupule, que je confiai à un homme de bien. Il me dit que la regle dont je me servois pour juger de la sincérité de la soumission de Mr. de C** étoit la même que St. Augustin donnoit pour juger en pareil cas. Dès-lors, je demeurai en repos. Je ne croirai qu'on est détrompé d'une erreur, que lorsque je la verrai attaquer avec autant de force qu'on en a eue pour la soutenir. Veillez toujours, mais prudemment, à prévenir nos filles sur les nouveautés: tâchez de leur donner le goût et la pratique d'une obéissance simple; c'est le chemin du repos et de la sûreté je signerai ces vérités de mon sang, quand vous le voudrez.

Q

LETTRE XXX I V.

A Me. de Montalembert. (1)

Ce 10 août 1704.

Ue n'aurois-je point à vous dire, ma chere fille ! si je pouvois vous rendre compte de tout ce que j'ai senti

(1) Elle sortit de Saint-Cyr pour être capucine,

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