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de tout, et de retourner chez leurs parents, si votre maison acheve de se ruiner; une imprudence, en ne vous faisant pas de leurs dots un revenu qui est le véritable bien des particuliers et du général de la communauté. Je sais que les couvents ne s'en font point un scrupule, et que la plaisanterie est de dire qu'ils mangent tous les ans une ou deux filles; mais au jour du jugement, on ne plaisante point; et voilà de ces péchés que je voulois mettre dans l'examen que je projetois. Ne nous contentons pas d'avoir de la droiture dans nos discours, ma chere fille! ayons-en dans toute notre conduite;, et ne nous laissons pas emporter au torrent de la coutume, qui n'excusera personne devant Dieu.

Je ne suis pas plus coupable de juger des attraits que des vocations. Mais je crois qu'il ne faut rien forcer, ni précipiter. Vous travaillez trop, Vous ne dormez pas assez : M. Fagon n'a pas de remede contre une telle conduite. Est-il possible que vous soyez encore assez enfant pour vouloir de mon écriture, au préjudice de ma santé ? cela est bon pour une demoiselle de Saint-Cyr: mais une vénérable abbesse !... Il faut pourtant en venir à cette écriture si chérie, pour vous

dire que je vous aime tendrement. Voilà une lettre pour

Mademoiselle de Champlebon. (1)

Puisque Dieu vous a rendu la santé à Gomer-Fontaines et en même-temps donné l'envie d'y demeurer, apparemment, ma chere fille, c'est là qu'il vous veut. Pensez bien encore avant de vous y engager: et si votre vocation continue, faites votre sacrifice; mais faites-le tout entier, je vous en conjure; que ce ne soit pas une simple cérémonie, comme font beaucoup de religieuses : mourez au monde; ne le reprenez pas au parloir après l'avoir renoncé à la grille : haïssezle, comme l'ennemi de Notre-Seigneur; il est déja condamné à cause de ses scandales méprisez ses vanités, ses maximes, et tâchez en tout de juger par rapport à l'évangile. Les religieuses sont sujettes à croire le monde aimable; elles en adorent la pompe, la magnificence, le's

parures: et ce monde même, scandalisé du peu de piété qu'elles montrent, est tout étonné de plaire tant encore.

(1) Muzard de Champlebon, née en 1686,

LETTRE XIX.

Ce 25 mai 1706.

Madame de Barneval, mere des deux

petites Irlandoises que je vous ai envoyées, voudroit bien se retirer avec elles auprès de vous. C'est une femme de qualité par elle-même et par son mari ; elle aime fort les couvents, et y a toujours été quand son mari alloit à l'armée. Aujourd'hui elle refuse tous les autres partis qu'on lui propose; elle est encore jeune, bien faite, fort estimée à la cour d'Angleterre la misere lui est toute nouvelle; d'un état fort-commode, elle passe subitement à la plus grande indigence; elle ne peut donner que 400 liv. de pension (1) pour elle et pour une femme-de-chambre dont elle ne sauroit 1 encore se passer. Voyez, madame, ce que vous voulez faire là-dessus ; et croyez, que je serai aussi contente d'un refus que: d'un consentement: mais si vous la recevez, marquez bien toutes les conditions

(1) C'étoit Me. de Maintenon qui payoit cette pension.

du marché; après tout, ce ne seroit pas un lien indissoluble.

Allez droit, ma chere abbesse ; n'ayez pas tort; après cela, souffrez en paix le mal qu'on dira de vous: la vérité n'est pas long-temps étouffée.

Vous ne serez point grondée de me parler en faveur de M. de Beaulieu : mais je ne puis rien pour lui; je me suis fait une loi de ne point demander de bénéfices; et si je demandois celui-ci, je ne l'obtiendrois pas : c'est à votre saint cardinal à en solliciter pour lui, ou à lui en donner : chacun son rôle.

Les vers qu'on a faits contre vous, madame, sont à votre louange; heureux ceux qui souffrent pour la justice.

Je suis très-fâchée du désordre qui est chez vous; mais je n'en suis point surprise; il n'y a qu'une extrême régularité qui puisse les prévenir et les terminer, et c'est à quoi vous devez vous occuper toute votre vie. Ne croyez pas légèrement tout ce qu'on vous dit, et examinez bien les rapports avant d'y ajouter foi; mais quand vous savez les choses certainement, il faut, encore une fois,ôter toutes les occasions. Si vous êtes ferme là-dessus, si vous priez pour vos filles, si elles ne voient en vous que douceur et que pa¬

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tience; elles seroient bien opiniâtres si elles ne revenoient, mais Dieu seul en sait les moments.

Je me suis presque toujours mal trouvée d'avoir reçu des personnes de la main des saints. Je ne doute point de la pauvreté de Mlle. de.... c'est à nous à vêtir sa mendicité.

Il n'est point mal-à-propos qu'une supérieure soit un peu soupçonneuse; pourvu qu'elle sente qu'elle l'est, et que les autres ne s'en apperçoivent jamais. Vous ne pouvez trop veiller sur votre communauté ; mais j'ai toujours vu que la maniere la plus utile d'y établir et d'y maintenir la régularité, est une entiere séparation des hommes, quels qu'ils puissent être : les gens de robe, les ecclésiastiques, les domestiques, les paysans, les jeunes, les vieux, les bien faits, les difformes, les maîtres, les disciples, tout peut être dangereux; et vous ne sauriez user de trop de précautions. Soyez trèsferme à vous opposer aux entrées; rendez les parloirs le plus désagréables que vous pourrez; voyez toutes les lettres qui entrent et qui sortent. Vous avez raison de croire qu'il y a un peu d'amourpropre à vouloir voir votre ouvrage parfait il ne le sera jamais. Soyez-en bien

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