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l'accouchement clandestin de celle qu'elle croit sa mère. L'époque de cet accouchement concorde avec l'âge de mademoiselle de Choiseul. La mention faite sur ce registre est considérée comme un commencement de preuve par écrit ; la preuve testimoniale est admise, et mademoiselle de Choiseul gagne son procès.

Mademoiselle Ferrant était née d'un père généralement connu pour jaloux. Tourmenté par ses défiances, ce père s'oppose à ce que mademoiselle Ferrant soit inscrite comme sa fille l'acte de naissance est supprimé. A quarante ans elle retrouve la protestation du président Ferrant : elle constate qu'il était habituellement agité par la jalousie; elle est reconnue pour sa fille.

Comment, avec de pareils exemples, espérer de trouyer une règle générale?

Décidera-t-on que l'état de l'enfant sera prouvé par des titres; qu'à défaut de titres, il le sera par la possession ? mais si les titres et la possession se contrarient, il restera nécessairement des doutes. D'ailleurs, la possession constante est elle-même un titre qui dispense d'en produire aucun autre. Le concours du titre et de la possession est décisif, non lorsqu'il existe un titre quelconque, mais lorsqu'un titre digne de confiance constate que l'enfant est né de l'époux et de l'épouse, et que la possession est aussi authentique que le titre. Mais si l'on ne produit qu'un titre obscur qui laisse des incertitudes sur le père et sur la mère, ou que la possession ne soit pas évidente, le concours du titre et de la possession ne prouve plus rien.

Le projet, afin d'empêcher que les familles ne soient facilement troublées, exige un commencement de preuve par écrit pour admettre la preuve testimoniale. C'est être trop sévère. Autrefois on avait égard au concours des circonstances, lorsqu'il était tel qu'il dût ébranler l'esprit du juge, et lui faire entrevoir une vérité qu'il devenait nécessaire d'éclairçir. Quel commencement de preuve peut-on espérer dans

cette matière ? Il n'en est pas ici comme en matière de convention: là, les parties existaient au moment où le pacte a été formé; là, elles ont coopéré à sa formation, elles ont pu se ménager des preuves; elles ont agi: on peut donc avoir tenu une correspondance avec elles. L'enfant n'a pas eu ces avantages. Cependant la preuve testimoniale seule est trop dangereuse pour qu'elle doive suffire au succès de la demande. L'inconvénient de laisser un enfant dans l'obscurité est moins grand que celui d'exposer toutes les familles à être troublées. Il faut donc exiger un commencement de preuve par écrit, dans les cas très-rares où il est possible de l'obtenir; que s'il n'existe pas, on doit avoir égard à la masse des faits et des circonstances. Tel est le système de la loi II, au Cod. de Testibus, laquelle dit : Defende causam tuam instrumentis et argumentis quibus potes, soli enim testes ad ingenuitatis probationem non sufficiunt.

LE PREMIER CONSUL dit que la présence du mari et la situation respective des deux époux doivent nécessairement entrer dans cette masse de circonstances dont parle M. Portalis. Si l'on prouvait, par exemple, que lors de l'accouchement de la femme, en France, le mari était à la bataille d'Almanza, et que pendant quinze mois il n'a pas quitté les drapeaux, il ne pourrait être regardé comme le père de l'enfant.

M. BOULAY demande si l'idée du Premier Consul est qu'à défaut de titre et de possession, l'enfant, après avoir prouvé qu'il est né de la femme, soit obligé de prouver qu'il est né aussi du mari.

LE PREMIER CONSUL dit que ce n'est pas là son idée. Il、 pense que l'obligation de faire la preuve doit retomber sur les héritiers du mari. L'enfant prouve qu'il est né de la femme; les héritiers prouvent que cependant il n'appartient pas au mari: les deux actions marchent simultanément.

M. TRONCHET dit que les héritiers peuvent opposer à la réclamation de l'enfant toutes les circonstances qui la com

battent. Il leur sera donc permis de soutenir que la preuve de la maternité ne justifie pas que l'enfant appartienne au père, parce que le père était absent. La loi exprimera ce droit des héritiers.

LE PREMIER CONSUL dit qu'il ne s'agit pas seulement de l'absence du mari, mais encore d'autres circonstances desquelles il résulte que le mari a ignoré l'accouchement. Elles perdraient cependant leur force lorsque le mari aurait reconnu l'enfant.

M. TRONCHET dit que les héritiers doivent être admis à faire valoir toutes les exceptions, et qu'il convient de laisser une grande latitude aux tribunaux. Mais il est difficile de concevoir à quelles circonstances le juge pourra avoir égard dans le système de M. Portalis, sans admettre d'abord la preuve testimoniale; car ces circonstances ne seront que des faits allégués. Ge système établirait donc la preuve testimoniale pour tous les cas, et sans qu'il y ait eu commencement de preuve par écrit.

LE CONSUL CAMBACÉRÈS dit que, pour rendre la marche de la loi régulière, il conviendrait de poser d'abord la règle pater is est; de fixer ensuite les cas du désaveu, puis de traiter de l'action en réclamation d'état. Là on déterminerait la latitude des preuves et la latitude des exceptions, et l'on exprimerait positivement que la preuve que l'enfant est né de la femme n'établit pas nécessairement qu'il est né du mari.

M. REGNIER pense qu'il est indispensable de s'expliquer sur ce dernier principe, parce que, sans cette précaution, la règle pater is est donnerait au mari l'enfant qui serait prouvé appartenir à la femme.

LE PREMIER CONSUL dit qu'aucun juge sensé, s'il en a le pouvoir, ne rendra l'état à l'enfant dont l'existence aura toujours été cachée et inconnue au mari.

M. TRONCHET regarde l'ignorance dans laquelle le mari est demeuré par rapport à l'accouchement de la femme comme une des plus fortes exceptions contre la règle pater is est.

M. BERLIER pense qu'il conviendrait, après avoir établi la règle générale de la présomption de paternité, d'exprimer les causes qui la font cesser, et que les parens peuvent opposer par voie d'exception. On comprendrait parini ces causes le cas où la connaissance de l'accouchement a été dérobée au mari. Une telle disposition pourvoirait également au cas où le père aurait tenté de supprimer l'état de l'enfant.

M. PORTALIS rappelle que les tribunaux ont demandé que le concubinage public fût mis au rang des exceptions.

M. REAL dit qu'on a vu plusieurs fois des époux dénaturés s'entendre pour supprimer l'état de leur enfant. Ce qui est arrivé peut arriver encore, et ne doit-on pas craindre que l'exception tirée de l'ignorance du père ne facilite un pareil crime?

M. MALEVILLE répond que, d'après le projet, cet enfant aurait le droit de prouver qu'il leur appartient,, s'il y avait un commencement de preuve par écrit; mais que d'ailleurs la supposition d'un père et d'une mère qui s'accordent pour supprimer l'état de leur enfant est si peu probable, qu'il serait inutile d'en faire la matière d'une disposition législative. M. REGNIER dit que la principale difficulté porte sur le choix des preuves.

L'espèce qu'on a en vue, dans cette discussion, est celle où un individu se présente tout-à-coup pour réclamer l'état de fils d'un homme auquel il est inconnu sous ce rapport.

Il s'agit ici de celui qui revendique son état, et non de celui à qui l'on veut ôter un état dont il est en possession. L'in`térêt de la société doit être, dans ce cas, le motif déterminant; il commande qu'on maintienne en paix les familles, et c'est sur cette vérité que la règle pater is est est fondée. Or, dans l'espèce, le rejet de la réclamation ne troublera pas la paix des familles. La loi se tiendra dans les termes de la vérité, si elle admet les héritiers du mari à prouver que le réclamant n'est pas son fils; elle se conciliera avec la bienséance,

si elle ne permet pas qu'un intrus se place dans une famille à laquelle il est étranger.

M. BOULAY croit qu'un mari et une femme ne s'accorderont jamais à supprimer l'état de leur enfant.

S'ils se le permettaient, ce serait parce que le mari aurait la conviction qu'il n'est pas le véritable père : d'où il conclut qu'en fait général, tous les enfans dont la naissance a été cachée et l'état déguisé sont des enfans adultérins qu'on voudrait rendre héritiers d'un père qui n'est pas le leur; et comme leur réclamation n'est rien moins que favorable, il trouve fort bon qu'on fasse fléchir à leur égard la règle pater is est, et qu'on soit admis à leur opposer tous les genres de preuves qui peuvent faire voir qu'ils ne sont pas les enfans du mari de leur mère, ni par conséquent les enfans du mariage; qu'ainsi ils ne doivent point être admis dans la famille.

LE CONSUL CAMBACÉRÈS dit que la suppression d'état consentie par les deux époux serait une circonstance favorable

à l'enfant.

M. REGNIER observe que Cochin l'a regardée comme impossible ce jurisconsulte pense qu'il y aurait toujours de l'opposition de la part de l'un des époux. La suppression d'état aura moins lieu encore, maintenant que les familles ne sont plus dirigées par l'orgueil de la naissance et par l'intérêt de favoriser les mâles et les aînés.

M. ROEDERER dit qu'il serait scandaleux que les enfans fussent admis à porter contre leur mère une accusation d'adultère, pour établir que la personne qui se prétend leur frère n'est pas le fils de leur père.

Il conteste que l'accouchement d'une femme et l'éducation de son enfant à l'insu de son mari ou loin de ses yeux soient une preuve, ou même un commencement de preuve que ce mari n'est pas le père de l'enfant. Un mari violent qui connaîtra ou soupçonnera un commerce clandestin entre sa femme et un amant pourra la menacer des plus redoutables

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