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>> grands esprits, dit saint Augustin (1), les esprits » subtils, magna et acuta ingenia, se sont jetés » dans des erreurs d'autant plus grandes, que se » fiant en leurs propres forces, ils ont marché » avec plus de hardiesse: în tantò majores erro» res ierunt, quantò præfidentius tanquam suis » viribus cucurrerunt ». Il ne faut point les lier ni les renfermer comme vous dites: ce sont là des raisonnemens qui n'ont qu'une fausse lueur : il n'y a souvent qu'à les laisser beaucoup écrire, et étaler les lumières de leur bel esprit, pour les voir bientôt, ou se perdre dans les nues et s'éblouir eux-mêmes comme les autres, ou se prendre dans les lacets de leur vaine dialectique.

Je le dis avec douleur, Dieu le sait : vous avez voulu raffiner sur la piété vous n'avez trouvé digne de vous que Dieu beau en soi; la bonté par laquelle il descend à nous et nous fait remonter à lui, vous a paru un objet peu convenable aux parfaits, et vous avez décrié jusqu'à l'espérance; puisque, sous le nom d'amour pur, vous avez établi le désespoir comme le plus parfait de tous les sacrifices; c'est du moins de cette erreur qu'on vous accuse quiconque la voudra soutenir, ne se pourra soutenir lui-même; il faut que luimême il se choque en cent endroits, ou pour se défendre, ou pour se couvrir et cacher son foible: et vous venez dire, Prouvez-moi que je suis un insensé et quelquefois, Prouvez-moi que je suis de mauvaise foi; sinon, ma seule réputation me met à couvert. Non, Monseigneur, la vérité ne

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(1) Ep. CLV, ol. LII, ad Maced. n. 5; tom. 1, col. 538.

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Sur l'inté

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le souffre pas vous serez en votre cœur ce que vous voudrez; mais nous ne pouvons vous juger que par vos paroles.

Vous avez dit que « Dieu jaloux veut purifier » l'amour en ne lui faisant voir aucune ressource rêt propre éternel. » pour son intérêt propre même éternel (1) ». Vous avez dit que « l'ame parfaite fait le sacri»fice absolu de son intérêt propre pour l'éter» nité (2) » : croyez-vous en vérité que ces expressions soient indifférentes pour le quiétisme? Molinos a dit, qué « c'est à ne considérer rien, >> à ne désirer rien, à ne vouloir rien, que con» siste la vie (3) ». Il a dit que « l'ame autrefois. » étoit affamée des biens du ciel, et qu'elle avoit >> soif de Dieu craignant de le perdre » : mais c'étoit autrefois; et maintenant, quand on est parfait, «< on ne prend plus de part à la béatitude >> de ceux qui ont faim et soif de la justice ». De là sont nées ces propositions censurées par Innocent XI, d'heureuse mémoire : « L'ame ne doit » penser ni à salut, ni à récompense, ni à puni» tion, ni au paradis, ni à l'enfer, ni à la mort, » ni à l'éternité (4). Celui qui a donné son libre » arbitre à Dieu ne doit plus être en souci d'au» cune chose ; ni de l'enfer, ni du paradis: il ne >> doit avoir aucun désir de sa propre perfection » ni des vertus, etc. (5) ». Madame Guyon, que vous connoissez, dans son Moyen court, que vous avez vous-même donné à tant de gens depuis qu'il est condamné, enseigne, sur le même fondement (1) Max. des SS. p. 73. — (2) Ibid. p. 90. - (3) Voyez Inst. sur les Etats d'Or. liv, 111, 11. 2. — (4) Prop. VII. - (5) Propos. x11.

de Molinos, l'indifférence à tout bien (1) « ou de >> l'ame, ou du corps, ou du temps, ou de l'éter» nité; indifférence qui fait entrer l'ame dans les » intérêts de la justice de Dieu, jusqu'à ne pou> voir vouloir autre chose, soit pour elle ou pour >> autre quelconque, que celui que cette divine >> justice lui vouloit donner pour le temps et pour » l'éternité ». Voilà ce que disent les nouveaux mystiques, et c'est sur cela qu'ils fondent leur désintéressement.

Vous avez pris Dieu à témoin à la tête de la première lettre que vous m'écrivez, « que vous » n'avez fait votre livre, que pour confondre » tout ce qui peut favoriser cette doctrine mons>> trueuse >>: voilà vos propres paroles, « et Dieu, » dites-vous, qui sera mon juge m'en est témoin »>. Je vous demande, après ces grands et terribles mots, si cette purification de l'amour jaloux, qui ne laisse aucune ressource pour l'intérêt propre éternel et qui sacrifie son intérêt propre pour l'éternité, est utile à confondre ou à établir ce désintéressement des faux mystiques que vousmême vous appelez monstrueux.

L'intérêt propre éternel, au simple son des paroles, est un intérêt qui dure toujours; y en a-t-il un autre que le salut? L'intérêt propre pour l'éternité est celui que nous trouverons sans fin avec Dieu pourquoi falloit-il enseigner aux faux mystiques, que vous vouliez confondre, qu'on pouvoit ou abandonner ou sacrifier cet intérêt, sans se laisser à soi-même aucune ressource?

(1) Instr. sur les Etats d'Or. liv. 11, n. 4, 10, 12.

Vous répondez (1): « Ai-je dit que cet intérêt >> subsiste dans l'éternité »? Mais s'il ne subsiste pas dans l'éternité, pourquoi l'avez-vous appelé un intérét éternel? « Mais ne voit-on pas claire» ment que l'intérêt éternel, n'est que l'intérêt » pour l'éternité »? Il est vrai, et c'est aussi ce qui nous convainc que cet 'intérêt, que l'on sacrifie pour l'éternité, est celui qui dure toujours: mais, ajoutez-vous, ne disons-nous pas «< tous les » jours que nos idées sont éternelles »? ainsi l'intérêt propre éternel sera «< un attachement natu»rel, par lequel on s'intéresse pour soi-même » par rapport à cette éternité ». Tout cela n'est pas véritable; jamais on n'a dit que nos idées, ni comme vous l'expliquez, que nos pensées fussent éternelles, encore que leur objet puisse être éternel. On dit bien que les idées sont éternelles, en parlant de celles de Dieu : on dit bien que Platon pose des idées éternelles, parce qu'en effet ce philosoplie les suppose telles, ou en Dieu ou en ellesmêmes. Mais, après tout, à quoi servent ces subtilités? Si vous ne vouliez que confondre le désintéressement monstrueux des Quiétistes, pourquoi le favoriser en leur montrant un intérêt propre éternél à sacrifier? Que voulez-vous qu'on entende naturellement par l'intérêt propre éternel? est-on obligé de deviner le sens forcé autant que nouveau que vous attachez à ces paroles, ou de croire que ce qu'on quitte pour l'éternité, né devoit pas être éternel? n'aviez-vous point de terme plus propre pour confondre les Quiétistes, (1) I. Lett. p. 39.

ni de meilleur expédient contre leur doctrine, détestable selon vous-même, que celui d'entrer dans leurs pensées? car après tout, que veulentils autre chose, sinon que l'on sacrifie tout intérêt propre, jusqu'à celui qui est éternel, et qui nous rendra heureux dans l'éternité?

Mais, dites-vous, je me suis assez expliqué ailleurs dites plutôt, que sans jamais vous être expliqué précisément, comme la suite le fera paroître; après vous être contredit, comme on vient de voir, sur ce qui est notre bien, notre récompense, notre bonheur; et après avoir embrouillé par-là, permettez-moi ces paroles qui sont les seules précises pour exprimer ma pensée, après, dis-je, avoir embrouillé ce que vous ne voulez pas taire, et ce que vous n'osez dire à découvert; un petit mot, qui sort naturellement une et deux fois, fait sentir ce qu'on a dans le fond de l'amé, et ce qui fait tout l'essentiel d'un systême.

C'est en vain que, pour dernière ressource, vous me dites que j'ai avoué dans Albert le Grand l'intérêt propre éternel, au sens que vous l'entendez (1). « Vous avez reconnu vous-même, ce » sont les paroles que vous m'adressez, dans les » paroles de cet auteur un intérêt éternel qui ne » subsiste point dans l'éternité » : môi, Monseigneur, je l'ai reconnu? vous marquez l'endroit à la marge, c'est à la page cxxxvin de ma préface que je vous ai fait cet aveu : qui ne le croiroit? et cependant, permettez-moi de le dire, il n'est pas

(1) IV. Lettre, p. 21.

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