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Conversa

Bo

Visite de Rapp, et invitation de nous rendre à la Malmaison.
tion en route. – Attachement de Rapp au premier consul. — Chagrin et
tristesse de Bonaparte. — Inquiétude de ses deux aides-de-camp.
naparte renvoyant son déjeuner.- La promenade à cheval et crainte des
assassins. Les chevaux au galop. - Profonde affliction du premier
consul et sa conversation avec Junot. Dîner à la Malmaison. La
perte de l'Égypte. Grands projets anéantis. La colonne mémorable.
Le combat de Nazareth. — I'ordre du jour et le plus beau titre de
noblesse. Le tableau et le portrait. - M. Gros.

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DANS une belle matinée de l'été de 1801, nous vimes arriver Rapp, qui venait nous demander à déjeuner, et apportait à Junot l'ordre d'aller à la Malmaison, ainsi qu'une invitation pour moi d'y passer la journée. Nous partîmes en sortant de table. Rapp retournait à la Malmaison; nous lui donnâmes une place dans notre voiture, et nous fimes la route ensemble.

J'ai parlé de Rapp de manière à donner de lui l'idée d'un

IV.

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brave et franc soldat, et à cette époque surtout ce caractère était le plus dominant en lui; mais la qualité la plus fortement agissante de son âme ressortait de l'attachement profond qu'il portait au premier consul'. Aussi, lui, Duroc, Lannes, Bessières, Lemarrois, deux ou trois autres de l'armée d'Égypte et de l'armée d'Italie, étaient-ils ceux de la cour naissante qui sympathisaient le plus parfaitement avec Junot, parce qu'ils parlaient le même langage. Le premier consul était pour eux ce qu'une maîtresse chérie eût été pour d'autres jeunes hommes, la pensée dominante qui commandait à toutes les autres. Quant à cet attachement dont je donnerai des preuves à mesure que nous avancerons dans ces Mémoires, Junot était parfaitement bien compris par ceux que j'ai nommés; et lorsque M. de Bourrienne dit que Duroc ne' rendait pas au premier consul l'amitié que celui-ci avait pour lui, je prends la liberté de le démentir, ainsi que je l'ai fait pour tant d'autres faits également erronés.

Le jour où Rapp vint, comme je l'ai dit en commençant de ce chapitre, nous chercher pour aller à la Malmaison, nous remarquâmes promptement qu'il était triste, et qu'une pensée forte l'occupait uniquement. A peine étions-nous à la barrière de l'Étoile que Junot, après avoir considéré le visage de Rapp, reçut de sa physionomie assombrie un reflet également triste, et nous n'étions pas arrivés à Nanterre que, prenant la main de son brave frère d'armes, il lui dit :

<«< Rapp, il y a quelque chose là-bas... Le général...»

1 J'ai long-temps pensé que ce sentiment devait durer autant que la vie de Rapp, ainsi que le souvenir des bienfaits de son général; mais enfin..... Du reste, quelqu'un m'a donné dernièrement une explication tellement satisfaisante de la raison qui lui fit accepter la place de gentilhomme de la chambre de Louis XVIII, que mon attachement pour le brave soldat redoublera encore, si elle est vraie. La chose est possible... Rapp, dans son bon cœur, peut avoir fait un rêve dont Louis XVIII était trop habile pour le réveiller. Cette histoire viendra à son appel, lorsque nous atteindrons son époque.

Et son œil, attaché sur l'excellent homme, semblait craindre une réponse affirmative. Rapp inclina la tête d'abord sans répondre ; puis il dit en serrant fortement la main de Junot :

Je ne sais rien, mais il est certain que le général a reçu quelques nouvelles qui lui font de la peine. Je le connais à présent comme si je ne l'avais jamais quitté, vois-tu? et lorsque son front se plisse, que ses yeux se couvrent..... » Et il fronçait les sourcils comme Napoléon, lorsqu'il était fortement préoccupé. « Et puis ensuite, lorsqu'avec cet air tout triste il repousse son déjeuner, sa chaise, jette sa serviette, se promène, demande trois tasses de café dans une heure, je me dis qu'il doit avoir quelque chagrin... Et voilà la vie qu'il a menée toute la journée d'hier, et ce matin, la même chose a recommencé... Aussi je retourne à la Malmaison, quoique j'aie fini mon service depuis midi... Mais je serais trop tourmenté si je restais à Paris. »

Junot prit la main de Rapp et la serra: c'était si bien sa pensée que le brave homme venait d'exprimer! Je les regardai tous deux; Junot avait les yeux humides.... l'autre regardait par la portière ; il était honteux de son émotion.

«Mais... leur dis-je à tous deux, vous êtes, permettezmoi de vous le dire, comme deux enfans. Comment! parce que le premier consul a peut-être de l'humeur, vous lui croyez du chagrin, au point d'en ressentir vous-mêmes un assez fort pour en être presque honteux comme hommes !... Vous n'avez pas plus de raison que deux enfans, je vous le répète.

>>

Ces deux jeunes têtes se tournèrent l'une vers l'autre, comme pour se mirer respectivement. Je me mis à rire. Rapp se fâchà.

«Je puis être ridicule en manifestant mon inquiétude trop vivement, dit le bon jeune homme : mais moi qui ai

bien vu la physionomie toute changée de mon général... Tu sais, Junot?»

Et il recommençait à se grimer comme le premier consul. «Moi qui l'ai vu, je sais que ce n'est pas de l'humeur qu'il a : c'est du chagrin... c'est de la peine... Hier matin, après ce déjeuner qu'il n'a pas mangé, il a demandé ses chevaux ; nous sommes sortis du parc par la porte de Bougival; nous étions seuls avec Jardin; tant que nous fumes en vue du château, le général alla au pas ; mais une fois que nous eûmes gagné et dépassé la grille, il lança son cheval, lui enfonça ses éperons dans le ventre, et la pauvre bête monta au galop de chasse cette route pierreuse de Bougival, dans laquelle il pouvait dix fois se tuer : car le cheval, rencontrant une des pierres rondes et polies dont ce chemin est rempli, aurait roulé tout en bas de la route, sans qu'il pût le retenir. Lorsque nous fùmes en haut, là, sous ces beaux arbres qui commencent le bois, alors il s'arrêta. Le cheval soufflait à ne pouvoir plus faire un pas. J'arrivai après le général, il était seul Jardin était encore loin. Alors je ne songeai plus que le cheval pouvait tomber; mais je vis dans ce bois tout sombre, tout désert, des assassins attendant, guettant mon général au passage.

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»> Je vis que la surveillance du dévouement ne peut être tellement active que le danger ne puisse arriver avant elle; car enfin il était là depuis deux minutes!.. seul!.. Les malheurs qui auraient pu être accomplis en si peu de temps se présentèrent si vivement à moi que, dans le premier moment, je me suis peut-être oublié. J'ai pris la liberté de dire au premier consul qu'il allait comme un fou et ne savait ce qu'il faisait.

» Que diable, mon général! lui ai-je dit, on ne fait pas ainsi de la peine aux gens qui nous aiment.

-->> Comment! tului as parlé comme cela? demanda Ju not en riant d'un air étonné.

- » Certainement, répliqua Rapp; et pourquoi ne l'au→

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