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çat que quelque peine pesait sur mon cœur et ne venait pas de ce que j'avais souffert.

« Qu'as-tu donc? me dit-il en m'embrassant encore. -Rien, que beaucoup de bonheur.

-Je te connais, Laure; je vois des larmes dans les yeux. Tu souffres, et tu souffres du cœur. Qu'as-tu? »

Je le regardai sans lui répondre, et mes joues se couvrirent de larmes, mais je ne voulais pas parler. M. Marchais avait été chez lui pour changer de toilette; il rentra dans ce même moment.

« Comment! encore? me dit-il.... Mon cher général, vous devez gronder votre femme, et la manière dont vous étes occupé vous en donne encore plus le droit. (Junot portait en ce moment sa fille dans ses bras, et l'embrassait ainsi que son maillot et sa brassière, autant de fois qu'il y a de secondes dans une minute.) Vous saurez donc... Oh! madame Junot, ne me faites aucun signe; ceci ne vous regarde pas... Vous saurez donc, général, qu'aussitôt que cette jeune mère que je vous présente, au reste, comme une petite héroïne remplie de courage, et d'un cœur aussi parfait qu'il m'en soit passé par les mains depuis quarante ans; aussitôt qu'elle fut remise dans son lit, et qu'elle sut que vous n'étiez pas là, elle fit demander votre père pour qu'il donnât sa bénédiction à votre fille. Votre mère l'avait déjà bénie. M. Junot, que je fus moi-même chercher, se refusait à venir lorsqu'il sut que l'enfant n'était qu'une fille. Enfin il se décida; et lorsque madame Junot, malgré sa faiblesse, prit la petite dans ses bras, et les avança vers lui, en lui disant : « Mon père, bénissez votre petite-fille, c'est un cœur de plus pour vous aimer parmi nous ». Il

semblance, parce que la bouche avance moins. Mon fils Napoléon ressemblerait à son père de manière à croire que c'est lui plas jeune, si sa bouche était restée comme il l'avait en naissant,

murmura quelques mots, n'embrassa pas l'enfant, et répondit avec humeur:

« Ce n'était pas la peine de tant crier pour ne donner qu'une méchante fille. Que voulez-vous que votre mari fasse de cette criarde-là? Il va joliment la recevoir aussi !... Et le premier consul! Si vous croyez qu'il marie ses généraux pour n'avoir pas de garçons

!

» Si j'avais eu sur monsieur votre père une autre autorité que celle de l'accoucheur et du médecin dans la chambre de la malade, je vous avoue, général, que j'aurais peutêtre été un peu sévère... Mais, au reste, continua-t-il en riant, madame votre mère s'est chargée de la correction, et je doute qu'il recommence. Je vous ai dit tout cela franchement parce que c'est une affaire de mon métier, et puis que demain ou après demain, une scène de ce genre pourrait être mortelle pour madame Junot. Elle s'en est fort affectée, parce qu'elle croit que vous êtes en effet contrarié de n'avoir qu'une fille; et moi je lui répète qu'une mère de dix-sept ans et un père de vingt-neuf ont le temps de demander à Dieu de ne plus leur donner de filles avant d'en venir au désespoir pour un premier essai. Là... voilà qui est à merveille! Maintenant le grand-père peut grogner tant qu'il voudra. »

A peine les premières paroles de M. Marchais avaientelles frappé l'oreille de Junot, que comprenant ce qui me faisait pleurer, il s'était mis sur mon lit, et pleurait avec moi tout en m'essuyant les yeux avec mon mouchoir et ses baisers. Ensuite prenant sa fille dans une petite barcelonnette de mousseline brodée qui était faite pour que l'enfant fût sur mon lit', il l'avait déposée dans mes bras, et nous

1 Cette ravissante petite barcelonnette est l'ouvrage de mademoiselle L'Olive, la lingère par excellence. C'était un cygne dont les plumes étaient figurées par une broderie en relief en coton blanc. Les ailes étaient peu saillantes et formaient une sorte d'anses pour la prendre. Le cygne paraissait

embrassait toutes deux avec une expression de bonheur et de joie qui ne laissait aucun doute sur les sentimens d'unc âme, qui, du reste, ne pouvaient être douteux pour moi. Mais le premier moment avait été affreux. Mon beau-père n'avait eu sans doute aucune intention de me faire le mal qu'il m'avait fait. Il pouvait me tuer.

« Maman, dis-je à ma belle-mère qui entrait alors, vous aviez raison. Vous voyez ; il l'aime autant qu'un garçon.

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>> - Ne vous l'avais-je pas dit? me répondit l'excellente femme. Mon Junot est un si bon et si noble garçon lui-même ! Ah! j'ai bien arrangé ton père! dit-elle à mon mari; je ne crois pas qu'il y revienne une autre fois. Il avait déjà fait le même compliment à cette pauvre Angélique; mais elle n'a pas pris la chose aussi tragiquement que ta femme. J'ai cru qu'elle allait suffoquer, tant elle pleurait... Et moi qui sais qu'un enfant est un enfant pour ceux qui l'aiment. N'est-ce pas un gage de votre amour, ce petit être-là?... Comme elle te ressemble !... Je l'aimerai, je crois, autant que toi.... »

Quelques jours après, je reçus une lettre charmante du général Suchet. Il avait appris qu'il avait perdu, et me priait d'accepter son pari. Comme la gelée et la neige s'opposaient à ce qu'il m'envoyât une rose qui ne pouvait se trouver que dans un pays enchanté, comme le royaume d'Azor, il me demandait d'être indulgente et d'accepter ce qu'il m'envoyait pour remplacer le bouquet perdu par le pari.

C'était une ravissante corbeille d'osier commun, mais remplie des plus belle roses faites par madame Roux. Cette corbeille, faite avec le plus grand soin, garnie de mousse

ouvert par le dos, et son cou et sa tête, revenant au dessus de lui-même, laissaient tomber un voile de mousseline de l'Inde brodée à jour et servant de voile-rideau. Il était retenu par le bec du cygne.

et contenant des roses de toutes les espèces, a fait pendant bien des années l'ornement de ma chambre à coucher. Elle était à la fois un gage de bonne amitié et le symbole de ce frais bouton qui grandissait auprès de nous, et promettait d'être un jour la plus fraîche des roses.

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Nécessité de se rallier au gouver vernement de Napoléon.

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Bonaparte et Washington.

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Ordre du jour remarquable.

laire. Lettre du premier consul au roi Georges. La mort de Kléber et les insultes de M. Pitt. - Guerre nationale avec l'Angleterre.

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La retraite de M. Pitt et bal à la Malmaison. Mot du premier consul.. - Le duel anglais et la caricature. - Bombardement de Copenhague. Cessation des hostilités entre la France et l'Angleterre. Paroles du premier consul sur les Anglais. — Paix signée entre la France et la Porte Ottomane.

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Sottise d'un journal anglais. — Bonaparte roi de Jérusalem. - La croisade républicaine. Berthier-Renaud. Napoléon et le sérail de Junot en Égypte. — L'odalisque favorite et le portrait de Jaunette.

UNE grande faveur populaire entourait à cette époque nonseulement Napoléon, mais son gouvernement. Plus les convulsions politiques avaient agi violemment sur la France, plus le besoin de se rallicr à une chose qui présentait une apparence certaine de force et de repos se faisait sentir au cœur de chacun, Les anciennes impressions renaissaient en foule. Plus le bruit nous avait assourdis, plus nous voulions du calme; plus le désordre nous avait désorganisés, plus nous aspirions à une régularité de mœurs, de lois, d'arrangement social: tant il est vrai que l'ordre est dans la nature ! Il est dans le cœur de l'homme; c'est une tendance vers laquelle le portera toujours un sentiment impérieux qu'il ne pourra réprimer.

La France, tout éplorée et malheureuse, s'était jetée dans les bras du général Bonaparte avec tout l'abandon de ceux qui, après avoir long-temps souffert, voient enfin un

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