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Au quartier général au camp devant Acre, le 2 floréal an VII.

ORDRE DU JOUR.

Le général en chef, voulant donner une marque de satisfaction particulière aux trois cents braves commandés par le général Junot, qui, au combat de Nazareth, ont repoussé trois mille hommes de cavalerie, pris cinq drapeaux et couvert le champ de bataille de cadavres ennemis, ordonne :

Article premier. Il sera proposé une médaille de douze mille francs pour prix du meilleur tableau représentant le combat de Nazareth.

ARt. 2. Les Français seront costumés dans le tableau avec l'uniforme de la 2o d'infanterie légère et du 14o de dragons. Le général Junot, les chefs de brigade Duvivier et du 14° dragons y seront placés.

ART. 3. L'état-major fera faire, par les artistes que nous avons en Égypte, des costumes de Mameluks, de janissaires de Damas, des Alepins, des Delettes, des Maugrebins, des Arabes, et les enverra au ministre de l'intérieur à Paris, en l'invitant à en faire faire différentes copies, à les envoyer aux principaux peintres de Paris, Milan, Florence, Rome et Naples, et à déterminer l'époque des concours et les juges qui devront décerner le prix.

ART. 4. Le présent ordre du jour sera envoyé à la muni

↑ C'étaient les différentes nations qui composaient l'avant-garde du grandvisir. On a mis trois mille dans l'ordre du jour, parce que la première information ne fut pas juste, l'ennemi avait plus de quatre mille hommes,

cipalité de la commune des braves qui se sont trouvés au

combat de Nazareth.

Le général en chef,

ALEXANDRE Berthier,

BONAPARTE.

général de division, chef de l'état-major général.
Pour copie conforme au registre d'ordre,
L'adjudant-général.

Je crois, sans aucune prévention, que cet ordre du jour est unique dans nos guerres. Le Directoire, qui n'aimait pas à sanctionner la gloire de nos armées, fut cependant contraint de proclamer celle-ci, et des ordres furent donnés pour que celui du général Bonaparte reçût son exécution. Le concours eut lieu, mais après le retour du général en chef, et même après celui de Junot. Six peintres concoururent. Ce fut M. Gros que Junot déclara avoir le mieux conçu l'idée qu'il avait lui-même donnée de l'affaire, dans une petite notice qui avait été distribuée aux peintres. M. Gros avait le grand avantage de son admirable talent, aidé d'une connaissance plus particulière du pays, puisqu'il avait été en Égypte. Junot lui fit donc accorder le prix, et il fut chargé de faire le tableau; il ne fut jamais terminé; l'esquisse seule fut achevée. Le magnifique portrait du duc d'Abrantes, que j'ai chez moi, est l'œuvre immortelle (on peut le dire) de M. Gros; il était destiné à servir pour le grand tableau du combat de Nazareth. Ce portrait, dont la tête, c'est-à-dire la figure seule, est terminée, est un chef-d'œuvre, non seulament de peinture, mais de ressemblance. Que de fois j'ai remercié M. Gros dans mon cœur! Combien les arts sont sacrés et vénérables, lorsqu'ils sont ainsi créateurs, lorsqu'ils rendent à une famille affligée l'image parfaite de celui qu'elle regrette! La main qui a produit ce prodige doit être à jamais bénie.

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Les Mémoires contemporains. · Les Russes et M. de Markoff.

de Catherine II.

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Le prince Baratinsky et le prince Orloff.- Le prince et la princesse D.......ky. Potemkin. La révolution française, les bonnets rouges et préventions des étrangers. La reine de Hongrie et les dames de la halle. - Les mystifications à la mode. Thiémé, Fitz-James et Musson. Grande mystification de l'Institut chez la princesse D.......ky. - Robert, les catacombes et la planche de Saint-Pierre. Madame Démidoff.

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DANS les Mémoires contemporains, j'ai déjà dit qu'une des parties les plus importantes à soigner était le caractère distinctif de l'époque. «Mettez des faits et des noms, » me répètent quelques personnes, de manière à m'impatienter. Des faits! qui pense à mettre autre chose? Des noms! il faut bien qu'on en ait un; et pour peu que les faits mettent des gens en scène, à moins que vous ne recommenciez le proverbe que M. Lenormand d'Étioles racontait si bien, et que je vous ferai connaître si Dieu me prête vie jusqu'à la fin de ce chapitre, il est difficile de faire des mémoires sans écrire beaucoup de noins et de faits. Mais je crois qu'il en est souvent aussi qu'il est bien de laisser au Moniteur, qui est là pour les gens qui veulent savoir que le premier consul a reçu le corps diplomatique à deux heures moins cinq minutes, le 5 floréal an IX; et puis arrivent alors les mémoires vraiment contemporains pour vous faire faire connaissance avec les personnages dont parle le Moniteur.

Par exemple, quand il vous dit que le premier consul a reçu, après ou avant la parade, cent cinquante ou deux cents Russes qui lui ont été présentés par M. le chevalier de Kalitscheff d'abord, puis ensuite par M. le comte de Marcoff, vous ne voyez que des uniformes verts, bien pincés,. bien serrés, saluant en se frappant les talons, et puis voilà l'audience finie. Mais moi qui me rappelle assez bien le temps, les lieux et les choses, je tâcherai de faire faire presque connaissance avec ce gros prince Dolgorouky, ce même Russe, gendre de Baratinsky, ce Baratinsky que Paul Ier força de mener le deuil de son père, lorsqu'à la mort de Catherine il la réunit à son mari dans la même tombe'. Le prince Dolgorouky n'avait rien du solennel d'une telle cérémonie. Il était fort bon homme, avait une belle réputation militaire qui allait drôlement à sa rotondité; et certes, si son beaupère avait eu affaire à son gros cou, il ne s'en serait pas tiré aussi aisément qu'avec Pierre III. Sa femme, fille de ce prince Baratinsky, était la personne la plus remarquable parmi les Russes alors à Paris, comme réunion complète de bonnes manières, de tournure distinguée, d'esprit même; enfin tout était bien. On la trouvait impertinente; comme elle ne l'a jamais été pour moi, je n'en sais rien. Elle avait de la raideur, un peu de guindage, de ces façons des fem

lés

1 Alexis Orloff et le prince Baratinsky menèrent le deuil de Catherine II et de Pierre III, que Paul Ier avait fait déterrer pour le placer auprès de la czarine sur le même lit de parade. Une bandelette semblait les attacher l'un à l'autre et portait cette inscription: Désunis pendant leur vie, réunis après leur mort. Baratinsky et Orloff, tous deux exilés à Moskow, furent rappepar ordre du nouvel empereur et reçurent l'ordre de marcher en tête du convoi. Paul er fit en cela une action digne des plus grands éloges. Il rendit hommage à la mémoire de son père, sans porter atteinte à celle de sa mère. Comme il jugeait d'après lui-même, ce rapprochement des bourreaux et de la victime devait être une terrible punition!... Mais Baratinsky fut le seul des deux qui en ressentît l'effet. Il était pâle et tremblant, et fut obligé pendant toute la cérémonie d'avoir un flacon de sels près de lui. Orloff fut impassible.

mes que nous nommons collets-montés; mais cette manière d'être n'était pas la sienne; et ce qui n'est pas assez connu, c'est à quel point nous exercions notre influence sur tout ce qui arrivait alors à Paris : voici dans quel sens.

La révolution française avait eu chez les puissances étrangères la plus terrible célébrité. Sans doute, elle était justement frappée d'une sorte d'anathème dans ce qui concernait les malheurs qu'elle avait apportés. Mais sans entrer ici dans une discussion qui me menerait hors de mon sujet, quant à présent je prendrai le côté plaisant de la chose pour dire que dans les pays étrangers on était parfaitement et sérieusement convaincu que tous les hommes portaient des moustaches, des chapeaux ronds en cérémonie, mais habituellement des bonnets de police ou des bonnets rouges des carmagnoles et des pantalons; puis, qu'ils juraient, et fumaient, et buvaient, enfin étaient de vrais saltimbanques; que les femmes s'en allaient en chemise par les rues, faisaient le rôle de la déesse Raison, juraient au besoin comme les hommes, et disaient à un ministre quand elles parlaient le beau langage: Citoyen ministre, vous nous donnez là un fameux fricot !..... A quoi le ministre répondait:

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Citoyenne, ce n'est pas le Pérou 1.

Vous voyez qu'il y avait là des élémens pour faire un beau bacchanal.

On me dira que je charge le tableau. Je le sais bien; mais en revenant à la parole purement textuelle, il est de fait que quelques femmes parlant comme la dame au fricot avaient servi de modèles et posé pour faire peindre d'après elles toute la génération féminine de l'époque de 1801 et des années environnantes ; que quelques hommes tels que nos armées en renfermaient véritablement beaucoup dans ce

4. Ce joli mot fut dit en effet par un homme qui n'en disait guère que de spirituels, surtout par l'à propos. Il répondit ce que je viens de rapporter à madame Lefebvre. C'est M. de Talleyrand,

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