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Henri IV, le véritable grand roi de France, qui protégeait les manufactures, donna tout appui et protection à la fondation de celle de la Savonnerie, qui s'appelait de son temps, de tapis façon de Perse... Colbert la fit diriger par des hommes habiles, mais il ne l'établit point; et, bien loin de là, cette admirable fabrique languit ensuite tellement, qu'en 1713 elle était presque abandonnée, et les bâtimens tombaient de toutes parts. Ce fut le duc d'Antin qui les répara, s'occupa de la manufacture, lui rendit son activité; le duc d'Antin est celui dont le duc de Saint-Simon parle dans ses Mémoires.

«Il voulait toujours, dit l'homme sévère; car a-t-on jamais vu un heureux se dire : C'est assez ? »

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Nous visitâmes aussi la belle pompe à feu de Chaillot : Qui pourrait penser, nous dit l'un de nos savans guides, que lorsque Paris, cette ville dont les besoins doivent être l'objet des soins les plus scrupuleux, manquait d'eau, parce que ses machines hydrauliques tombaient en ruines par raison de vétusté; eh bien ! dans de telles circonstances, qui pourrait croire que l'on se refusait à prendre une détermination utile? Dès le milieu du siècle dernier, Paris était, à cet égard, dans une position fâcheuse, et cependant les magistrats de la ville refusaient tous les plans proposés. Un projet de pompes à feu fut enfin présenté par MM. les frères Perrier. Ce projet, qui tirait la ville d'embarras en ce qu'il lui donnait de l'eau sans qu'elle rendît de l'argent qu'elle n'avait pas, éprouva, comme tout ce qui est utile et nouveau, une assez longue résistance; cependant MM. Perrier l'emportèrent, et, en 1778, ils formèrent une société de capitalistes qui fournirent les fonds nécessaires à l'établissement; et, après avoir été autorisés, patentés, ils commencèrent à mettre leur plan en exercice 1.

1 C'est ce qu'on appelle les eaux de Perrier. On sait que, moyennant une somme donnée par un propriétaire, il a chez lui la quantité d'eau qu'il

veut.

Messieurs Perrier établirent également d'autres pompes. Celle du Gros-Caillou a été faite par leurs soins. Voici làdessus un fait qui prouve à quel point nous sommes toujours, à Paris, plus soumis au bruit qu'à la conviction toute seule, dégagée de prestige.

Lorsque MM. Perrier voulurent établir ces pompes, ils éprouvèrent, comme je l'ai dit, une foule d'embarras et de difficultés. Mais enfin l'utilité extrême de cette invention fut appréciée par les hommes capables d'en juger, et ils prononcèrent en faveur des frères Perrier. Alors ce fut une vogue, pour parler le français parisien; et lorsque les messieurs Perrier voulurent établir la pompe à feu du GrosCaillou, la plus grande solennité fut apportée dans la cérémonie du posement de la première pierre, qui eut lieu le 24 juillet 1786: le prévôt des marchands, les échevins de Paris posèrent eux-mêmes cette pierre. La fondation de l'autre établissement n'avait pas eu cet éclat, il s'en fallait; et cependant il était bien autrement important, puisque la pompe de la rive gauche ne donne que la moitié de ce que l'autre produit. Nous sommes ce que nous avons toujours été, toujours impressionnables, sensibles au bruit bien plus qu'au raisonnement; et j'ai grandement peur que ce que nous avons été, ce que nous sommes, nous ne le soyons toujours.

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Un autre fait rélatif à cette affaire des eaux Perrier, et qui est assez peu connue, je crois, c'est la querelle qui eut lieu entre deux hommes bien fameux, à propos tions émises par la compagnie. Cette polémique, qui devint aigre et injurieuse parce qu'aucun des combattans n'était patient ni doux, cut lieu entre Beaumarchais et Mirabeau. Non sculement ils écrivirent dans quelques journaux, mais eut des brochures imprimées par l'un et l'autre. Elles

il

y

1 Une seule de ces pompes donne en vingt-quatre heures deux cents pouces, et même plus d'eau, ce qui équivaut à quinze mille muids au moins, on à quatre mille hectolitres.

sont aujourd'hui de la plus grande rareté; il n'y en a pas une seule dans le commerce. Mirabeau accusait Beaumarchais d'avoir fait de ses actions un objet d'agiotage avec le gouvernement. Le fait est que, plusieurs actionnaires ayant traité avec le gouvernement, ce dernier finit par se trouver propriétaire, et que ces pompes furent soumises à tout ce qui régit les établissemens publics.

Nous parcourûmes ainsi Paris pendant un mois: nous vîmes des choses dont moi, habitante ordinaire de Paris, je n'avais même nulle idée. Une de nos richesses que j'ignorais était cette quantité de bibliothèques, de cabinets, de collections, de muséums particuliers, dont Paris était en possession. Telle était la déplorable suite de nos troubles et de nos pillages intérieurs : chacun avait eu sa part plus ou moins grande du gâteau. D'abord ce fut par cupidité, tandis que souvent aussi il en était de ces rapines comme du vol que fit le singe de la robe et de la barrette de son maître le cardinal, tandis que celui-ci se mourait, pour les mettre et se mirer dans un miroir et faire comme lui. Mais depuis plusieurs années le portier avait quitté la bibliothèque qu'il avait acquise par adjudication et dans laquelle il se trouvait mal à l'aise. Il traita avec des gens qui savaient lire.

Je la crois bonne, leur dit-il,
Mais le moindre ducaton

Ferait bien mieux mon affaire.

Et les manuscrits et les livres rentrèrent aux mains de qui de droit ; de là ces réunions d'objets d'arts et de sciences qui étaient pêle-mêle dans les greniers, abîmés, gâtés ', souvent sans retour, et qui se trouvaient enfin sauvés. On peut mettre dans cette catégorie le musée des Petits-Au

1 Ce mot gáté, mêlé à celui de manuscrits et de livres, me rappelle une sentence, si je puis l'appeler ainsi, que M. Campan'avait mise dans sa bibliothèque, bien proprement encadrée dans un cartouche, et qu'il se contentait,

gustins; celui des anciennes armures, alors la propriété de Reigner le mécanicien; et une foule d'autres; le cabinet de M. Sage à la Monnaie, etc., etc. La place me manque pour donner un rang convenable aux choses et aux personnes dont le souvenir m'est demeuré. Toutefois je placerai dans cet ouvrage toutes mes réminiscences ajoutées aux notes que j'ai conservées, et dont l'exacte relation nous transportera dans le temps et aux jours passés; mais pour les choses qui, par leur importance, méritent une attention particulière, elles méritent également un chapitre qui leur soit exclusivement consacré.

pour toute réponse, de montrer de la main lorsqu'on lui demandait un livre à emprunter :

«Tel est le sort fâcheux de tout livre prêté,
Souvent il est perdu, toujours il est gâté.

Je ne donne pas ces vers comme un chef-d'œuvre de style et de poésie; mais ils peuvent être mis en pratique, c'est-à-dire servir de réponse à ceux qui, ayant une bibliothèque à laquelle ils tiennent, ne veulent pas voir revenir chez eux un livre écorné, sali, gâté enfin, quand il en est sorti bien portant.

CHAPITRE XIX.

Nouveaux voyages dans Paris. - M. Thibaudeau, l'abbé Grégoire, Léonard Bourdon et David. Le comité d'instruction publique. - Le médecin Duhem et J.-J. Rousseau à la guillotine. M. Denon et le Musée des tableaux. La vierge de Foligno. - Les dessins originaux.

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La galerie d'Apollon. MM. Hacquin et Fouques. Le dîner des Bourguignons. -Visite à Charles le physicien. La chambre obscure et le secrétaire de M. de Cobentzel. - Mademoiselle Chameroy. Scène à Saint-Roch.— L'archevêque de Paris. - Paroles remarquables du premier consul.- Les Bardes, le songe, et souvenir d'admiration,

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On doit bien penser que l'une de nos premières courses nous conduisit au Musée des tableaux. Mais, indépendamment de la curiosité que devait inspirer cette admirable collection, alors la plus complète du monde entier, il s'y joignait un sentiment de nouveauté pour nous-mêmes, tout Français que nous étions: car ce n'était que depuis bien peu de temps que la galerie était enfin complétement ornée des chefs-d'œuvre que nous avions conquis, non seulement sur l'ignorance et sur l'insouciance, mais bien aussi sur l'assurance parfaite d'une ruine prochaine et totale, ainsi que je le prouverai tout à l'heure.

C'est à M. Thibaudeau que nous devons le bienfait de l'établissement du Musée des tableaux et des statues dans le local qu'il occupe aujourd'hui. M. Thibaudeau faisait, en 1793, partie du comité d'instruction publique, où sa

1 Ce même comité d'instruction publique auquel la France est immense ment redevable, et qu'il ne faut pas confondre avec la Convention, qui alors

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