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rement prévus par le législateur; mais ces deux exemples ne sont pas restrictifs et ne détruisent en rien la généralité de la règle.

Notre loi n'ayant rien dit du cas où les conditions de la légitime défense sont tellement incomplètes, ou bien où il y a eu un excès tel que la culpabilité pénale reste à la charge de l'agent, il faut recourir en notre pratique à la ressource générale qu'offrent la latitude du maximum au minimum ou la déclaration de circonstances atténuantes. A moins qu'il ne soit possible de faire rentrer les faits dans les dispositions que notre Code a données sur la provocation. On trouve néanmoins un exemple de légitime défense incomplète particulièrement réglé par le législateur dans l'article 322 de notre Code pénal.

Provocation.

Lorsque l'homme lésé dans quelqu'un de ses droits, au moment où cette lésion lui est faite, sous le coup de l'irritation qu'elle lui cause, se laisse emporter à son ressentiment et réagit à son tour par quelque acte coupable contre celui ou ceux par qui il vient d'être lésé, on dit en notre langue qu'il a été provoqué, qu'il y a eu provocation.

:

Il faut bien se garder de confondre le cas de provocation avec celui de légitime défense. Il y a entre les deux situations deux signes distinctifs de séparation l'un matériel, le temps où se place l'acte; et l'autre moral, l'esprit qui y préside. Les actes de légitime défense ont lieu avant que le mal ait été reçu, et les actes amenés par la provocation après; les premiers, dans un esprit de défense, en vue d'éviter ce mal, les seconds, dans un esprit de ressentiment, afin de s'en venger. La provocation ne fait donc pas disparaître la culpabilité, mais elle l'atténue.

Notre Code pénal a spécialement prévu le cas de provocation en ce qui concerne le meurtre, les blessures ou les coups, mais seulement lorsque cette provocation a eu lieu par des coups ou violences graves envers les personnes (art. 321). Il en a fait un cas d'excuse qui diminue de beaucoup la peine, dans une proportion déterminée par la loi elle-même (art. 326).Deux hypothèses spéciales, le flagrant délit d'adultère de la part de la femme (art. 324), et l'outrage violent à la pudeur (art. 325), ont été particulièrement prévus par notre Code.

En dehors des prévisions de la loi, et pour les faits qui ne sauraient se ranger dans ces prévisions, la seule ressource est celle qu'offrent la latitude du maximum au minimum ou la déclaration de circonstances atténuantes.

Les simples injures qui ne constitueraient que des contraventions de simple police sont déclarées non punissables par notre Code lorsqu'elles auront été provoquées (471, no 11); ici le genre de provocation n'est point limité par la loi, c'est au juge à apprécier. Mais il n'en serait pas de même pour les injures de nature à constituer un délit correc

tionnel.

Ordre de la loi avec commandement de l'autorité légitime.

L'acte, quelque dommageable qu'on le suppose, est légitime aux yeux de la loi positive s'il était ordonné par elle et qu'il n'ait été fait que suivant toutes les formes prescrites par cette loi. L'agent avait le droit et le plus souvent même le devoir de le faire.

Mais s'il s'agit d'un acte illicite en soi, contraire à la loi, le commaudement donné par le supérieur hiérarchique ne suffira pas pour couvrir le subordonné qui aura exécuté ce commandement. Il y aura seulement, en cas pareil, en faveur du subordonné une présomption générale de non-culpabilité; ce subordonné restant punissable s'il est démontré qu'il a agi connaissant bien la criminalité de l'acte et s'y associant.

Notre Code pénal a suivi ces principes dans cette disposition, où les deux conditions réunies se trouvent exigées : « Il n'y a ni crime ni délit, lorsque l'homicide, les blessures et les étaient ordonnés coups » loi et commandés par l'autorité légitime (art. 327). »

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Néanmoins la règle générale qui exige les deux conditions réunies devra fléchir, dans la pratique, devant les dispositions spéciales dans lesquelles notre législateur aura cru, à l'égard de certains faits particuliers, devoir en ordonner autrement et couvrir le subordonné par l'ordre seul du supérieur hiérarchique, en faisant porter sur ce supérieur seul la responsabilité pénale. Tels sont, par exemple, les cas des articles 114 et 190 du Code pénal.

Bien que la disposition de l'article 327 ne parle que d'homicide, blessures ou coups, elle est applicable, en vertu des seuls principes de raison, à toutes les autres conséquences que peut avoir l'exécution de la loi avec commandement de l'autorité légitime.

Qui peut être agent pénalement responsable d'un délit.

Comme conséquence dérivant des conditions mêmes de l'imputabilité sort la règle que l'homme seul peut être agent pénalement responsable de délits.

Les êtres juridiques ou collectifs, tels que l'État, les communes, les établissements publics, hospices, corporations ou associations organisées en personnes civiles peuvent bien, en certains cas, être tenus des réparations civiles; mais ils ne peuvent jamais, en principe rationnel, être agents pénalement responsables de délits : la responsabilité pénale est individuelle et pèse exclusivement sur chacun de ceux qui ont pris part au délit personnellement; sauf, à l'égard des êtres juridiques, ou au moins de quelques-uns, le droit de dissolution qui peut appartenir à l'État, aux conditions marquées par la loi.

Dans notre ancienne jurisprudence, les êtres collectifs pouvaient être poursuivis et condamnés même pénalement. Tel n'est plus l'esprit de notre droit pénal positif, et spécialement de notre Code. On voit néanmoins encore une peine d'amende décrétée contre les communes, par la loi exceptionnelle du 10 vendémiaire an IV, pour certains crimes ou délits commis sur leur territoire.

Certaines exceptions aux règles de la responsabilité pénale peuvent provenir les unes du droit public intérieur, les autres du droit public international.

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Des nécessités du droit public intérieur proviennent les exceptions qui concernent l'inviolabilité ou irresponsabilité pénale du roi dans les monarchies, même constitutionnelles; et celle des membres des assemblées représentatives relativement aux votes, discours ou opinions émis en leur qualité de représentants, dans les gouvernements à formes représentatives.

Des nécessités du droit public international proviennent les exceptions

concernant l'inviolabilité ou irresponsabilité pénale des ambassadeurs ou agents diplomatiques, y compris leur famille et les personnes faisant partie à titre public de la mission. - L'irresponsabilité, dans ce cas, n'est pas absolue; mais les réparations civiles, ou même la punition s'il y a lieu, doivent se poursuivre par voie diplomatique et s'obtenir du gouvernement même auquel appartient l'agent diplomatique. Les princes souverains ou magistrats chargés du gouvernement d'une république se trouvant de leur personne sur le territoire d'un Etat étranger, y peuvent jouir aussi, suivant les circonstances et avec certaines distinctions, de l'irresponsabilité pénale que commande le droit public international.

Ces diverses exceptions sont contraires sans doute aux idées de la justice absolue, mais elles sont en accord avec la nature inférieure de la pénalité sociale, qui ne peut être fondée que sur les deux idées combinées du juste et de l'utile, et qui cesse d'être un droit pour la société du moment que l'utile disparaît.

PATIENT OU SUJET PASSIF DU DÉLIT.

Patient du délit considéré dans son corps, dans son moral et dans ses droits.

Il y a dans le délit deux rôles : l'un actif, l'autre passif; en conséquence, deux personnages: le sujet actif et le sujet passif; violation d'un devoir si vous considérez l'un, violation d'un droit si vous considérez l'autre.

C'est donc sous le rapport du droit qui a été violé, de la lésion qui a été éprouvée, que le patient du délit est à étudier. De cette étude on fera

sortir :

1o La distinction des divers crimes ou délits, chacun dans son genre et dans son espèce, suivant qu'ils attaquent l'homme dans l'un des trois points par lesquels il est vulnérable, c'est-à-dire : — dans son corps,

dans son moral,

ou dans ses droits;

2o Des nuances variées d'aggravation ou de diminution de culpabilité, tirées, suivant les diverses occurrences, de la personne du patient du délit considéré également sous le rapport du corps, sous le rapport du moral, ou sous le rapport des droits.

Mais toutes ces appréciations diverses et l'utilité à en retirer se référent à la partie spéciale du droit pénal, plutôt qu'à la partie générale.

Qui peut être sujet passif d'un délit.

Tout être susceptible d'avoir des droits peut être patient ou sujet passif d'un délit.

Ainsi, l'homme considéré individuellement, - les êtres collectifs érigés la loi en personne juridique, car ces êtres ont des droits dans lesquels ils pourraient se trouver lésés, les nations étrangères,

par

la nation elle-même ou l'État qui exerce le droit de punir.

féconde

enfin,

Il faut, en outre, placer ici une vérité fondamentale en droit pénal et en applications ultérieures, savoir que dans tout délit, quel qu'en soit le sujet passif direct, la société ou, en d'autres termes, la nation, l'État qui a le droit de punir, est toujours lui-même partie lésée,

puisque ce n'est qu'à cause de cet intérêt que le droit de s'immiscer dans la punition lui appartient.

C'est par l'application de cette vérité que se résolvent facilement une série de questions qui étaient posées par les anciens criminalistes s'il est possible qu'il y ait délit — contre un fœtus qui n'a jamais pris vie, dans les crimes d'avortement; - contre une personne qui donne son consentement à l'acte; contre soi-même; contre les bêtes ou animaux, par des actes de cruauté abusifs; contre les morts, par la violation des sépultures; contre Dieu, par les crimes d'impiété et d'irréligion. Ne parût-il y avoir, dans ces divers faits, aucun sujet passif direct, la société est toujours là, partie lésée elle-même, et si l'acte contraire à la loi morale de la justice absolue, l'est en même temps à l'intérêt social, le droit de le punir existe pour la société.

Relations entre l'agent et le patient du délit.

Les relations existant lors du délit entre l'agent du délit et la personne contre laquelle ce délit a été commis, ne sont pas sans influence sur la mesure de la culpabilité. Notamment les relations de parenté ou d'alliance, de tutelle, de protection ou de confiance, d'autorité ou de direction morales, de commandement ou de subordination hiérarchiques.

Ces relations peuvent être, suivant la nature et le genre particulier des délits, tantôt une cause d'aggravation et tantôt une cause d'atténuation de la culpabilité. Elles peuvent modifier la culpabilité abstraite ou absolue, de telle sorte que le législateur puisse les prévoir et les préciser lui-même à l'avance; ou seulement la culpabilité individuelle laissée à l'appréciation du juge dans chaque affaire. Mais dans l'un et l'autre cas c'est à la partie spéciale du droit pénal, et non à la partie générale, qu'elles se réfèrent.

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Nous en avons plusieurs exemples dans divers articles de notre droit positif.

TITRE III.

DU DÉLIT.

CHAPITRE PREMIER.

DÉNOMINATION ET DÉFINITION DU délit,

§ 1. Dénomination.

559. L'agent et le patient du délit, en quelque sorte les deux facteurs, s'il nous est permis de parler ainsi, nous sont connus: nous pouvons maintenant étudier le produit, c'est-à-dire le délit lui-même.

560. La figure géométrique, celle de la ligne droite, qui sert dans notre langue à représenter l'idée du juste, le droit, qui se retrouve dans l'instrument employé pour tracer cette ligne, la règle, ou la formule du droit (ci-dessus, nos 3 et 11), se continue encore dans le délit, ou l'abandon de la ligne droite, la déviation du droit chemin (delinquere, delictum); et dans la correction, le redressement qui ramène à cette ligne, qui fait rentrer dans ce chemin (corrigere, correctum). Droit et son opposé tort (en allemand Recht et Unrecht), d'où avoir droit ou avoir tort, faire droit ou faire tort, mettre le droit ou le tort de son côté, à tort ou à droit, à tort et à travers, homme ou esprit retors; d'ou encore : règle, se dérégler, déréglé, déréglement; délinquer, délinquant, délit; corriger, correcteur, correction; redresser un tort, redresseur de torts tous ces mots, toutes ces locutions sont tirés de la même image.

561. Le mot délit, pris dans son acception originaire et en même temps la plus étendue, désignerait donc toute déviation, ou, en d'autres termes, toute violation quelconque du droit. --Mais l'usage est venu restreindre à des degrés divers cette signification primitive. De telle sorte qu'il a fait du mot délit une expression élastique, ayant un sens plus ou moins étroit, suivant qu'elle est plus ou moins comprimée.

562. Ainsi, en droit civil, l'ancienne jurisprudence, d'après une interprétation qu'elle croyait tirée du droit romain, quoiqu'elle fût loin d'y être conforme (1), entendait par délit, si nous en pre

(1) Voir le sens du mot delictum en droit romain dans notre Explication historique des Instituts de Justinien, liv. 4, tit. 1, princip.

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