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a tiré du rhythme des effets d'un dramatique inouï, et qui a été accusé pour cette raison par les musiciens spiritualistes d'avoir employé des moyens mécaniques. C'est là, sans doute, une des plus grandes conquêtes dont la scène lyrique se soit enrichie ; mais, d'un autre côté, du moment que le théâtre se fut élevé à côté de l'église, les artistes, écrivant souvent à la fois dans deux genres si opposés, crurent pouvoir importer dans la langue sacrée les richesses nouvellement découvertes de la langue profane. De là s'ensuivit la confusion de denx genres et de deux caractères tout-à-fait distincts. Depuis lors il est facile de suivre dans · les productions religieuses une décadence progressive du caractère chrétien, et parallèlement un progrès correspondant dans l'emploi de moyens, de formes, belles en elles-mêmes, mais qui, transplantées du théâtre où elles étaient nées dans l'église, y auraient paru déplacées, si l'affaiblissement graduel de la foi dans le clergé comme dans les fidèles, en émoussant le tact et le sentiment anciens, n'eût rendu l'inconvenance moins sensible. Le dernier pas en ce genre a été fait par M. Chérubini, qui a été loué pour avoir introduit dans le style sacré des formes tout-à-fait dramatiques. Nul n'a plus d'admiration que moi pour les chefs-d'œuvre de ce grand musicien; mais, dussé-je être taxé d'impertinence, il me semble que les beautés dramatiques ne sont point à leur place à l'église. Les passions violentes, tumultueuses, les retours brusques, tout ce qui excite vivement l'attention, tout ce qui a l'air de tenir à une action, tout ce qui émeut mes sens, tout ce qui me rappelle que je suis dans tel tems ou dans tel lieu, tout ce qui semble s'attaquer de front aux grands symboles de la tradition, et vouloir représenter directement ou traduire ses insondables mystères, tout cela, suivant moi, tend à localiser, à retrécir, à contenir l'essor de la pensée religieuse; il vaut mieux souvent mettre l'esprit en voie de méditation et laisser-aller, car il est des régions ineffables, que le sentiment ne peut visiter que seul et où il n'aime à être ni accompagné ni suivi. Voilà sans doute pourquoi tant de combinaisons, de science, pourquoi des orchestres nombreux où touTOME LIV. JUILLET 1832.

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tes les nuances du son sont représentées, pourquoi des chœurs puissans, pourquoi tout cela, sous la main d'un homme de génie, ne suffit pas à égaler l'effet religieux d'une simple cantilène, chantée à l'unisson par de fraiches voix d'enfant. Voilà pourquoi, suivant moi, c'est surtout dans le plain-chant qu'il faut chercher la pure inspiration musicale du christianisme, inspiration naïve et grandiose qui seule peut se plaire sous les voûtes nues des vieilles cathédrales, qui seule se marie et s'harmonise avec la marche grave et lente des prètres, la sainte obscurité du lieu, les vitraux colorés, les saints sculptés à même la pierre, seule capable de répondre aux accens pleins et retentissans de l'orgue, de l'orgue instrument vraiment religieux, dont la voix mâle et l'allure majestueuse est loin d'être remplacée par la souplesse et la prestigieuse vivacité de nos orchestres. Il faut ces tuyaux longs comme des colonnes pour articuler dignement le cantique sacré, et le faire pleinement résonner à l'autre bout de l'édifice colossal qui s'ouvre à des populations entières. Si nous avions besoin de mettre en cause le système actuel d'instrumentation, il faudrait avouer que pour la puissance et l'éclat nos flûtes et nos hautbois font une assez triste figure à côté de ces énormes tuyaux alimentés par huit ou dix vastes soufflets. Du reste, le caractère, la dimension de nos instrumens actuels sont parfaitement en harmonie avec la nature des lieux et des solennités où ils sont employés ; leur place est au théâtre, comme la place de l'orgue est dans le temple. C'est tout une autre série de passions, de sentimens, d'idées et d'intérêts qu'il s'agit de mettre en jeu; d'autres beautés doivent en jaillir, assorties au public tout différent qui les recherche c'est donc une phase de l'art toute nouvelle qu'il faut étudier dans l'opéra. Dans un prochain article nous essaierons de jeter un coup d'œil sur le genre de musique qui appartient au génie propre de notre époque, sur l'opéra et la symphonie, et sans prétendre, bien entendu, devancer sur ce point l'initiative du génie, nous hasarderons quelques conjectures sur les développemens que des circonstances morales et ma

térielles, que des applications encore inusitées pourraient amener un jour. Mais avant d'aborder ces questions où seront intéressées nos sensations, nos admirations de chaque jour, il nous a semblé à propos de rendre du moins un dernier hommage à ces productions anciennes où l'élévation passionnée de l'inspiration a suppléé aux ressources de l'art et qui exciteraient encore aujourd'hui l'admiration si l'indifférence religieuse, si l'agitation turbulente de notre vie laissaient encore quelque accès chez nous aux émotions recueillies et mystiques du christianisme.

ADOLPHE GUéroult.

MÉLANGES.

DE LA SITUATION DES DÉPARTEMENS ET DE LA NÉCESSITÉ D'INSTITUTIONS PROVINCIALES.

à

Quelle est la division territoriale de la France la plus propre favoriser le développement de ses forces productrices? Quelles sont les institutions provinciales qu'il faudrait coordonner avec cette division?

La centralisation est extrêmement utile chaque fois qu'il s'agit de régler des intérêts généraux, ou de prendre des mesures promptes. On peut même dire que l'unité politique permet seule d'effectuer de grandes choses; mais ce n'est qu'en fractionnant le droit de créer des améliorations locales, que l'on pourra réellement, par le concours de toutes les intelligences et de toutes les forces individuelles, parvenir à faire de la France un pays modèle, et à introduire le bien-être jusques dans ses hameaux. Les intérêts du plus grand nombre des Français et surtout des plus pauvres sont donc fortement liés au système de division territoriale et demandent impérieusement que ceux qui s'occupent de cette question appellent la publicité sur ce terrain.

L'ancienne division par provinces, fruit de la conquête au tems de la féodaltié, ne pouvait survivre aux priviléges nobiliaires. Les provinces, telles que le hasard de la victoire les avait formées, n'avaient ni organisation régulière ni homogénéité dans leurs institutions, leur étendue territorial, la quotité de leurs revenus et leurs franchises particulières; aussi la création des départemens a-t-elle été fort avantageuse au pays. Cependant quelques bons esprits jugèrent dès le principe le vice de cette division. Prenez garde, disaient aux Girondins ceux des hommes de l'Ouest qui épousèrent le plus chaudement leurs opinions et qui prirent les armes contre la Convention, prenez garde de donner à Paris une

puissance trop grande. En tems de guerre cette ville décidera du sort de la France, en tems de paix ce sera un ulcère qui absorbera toute la substance des provinces. C'est là que des sophistes forgeront des chaînes pour en charger la nation. C'est là que des hommes aveugles ou pervers pourront rétablir un trône en faussant l'opinion publique. Si nous vous demandons que les représentans se réunissent à Bourges, c'est qu'ils pourront mieux y conserver leur indépendance, et nous donner une nouvelle division du territoire qui permette aux provinces de se faire entendre. Il y a de l'exagération dans ces paroles, mais elles sont vraies quand au fond. Il était d'ailleurs difficile qu'en 93 l'on ne sût pas apprécier les services rendus par les assemblées qui portaient le nom d'états et qui, depuis le quatorzième siècle, ont si puissamment contribué aux progrès de la civilisation. Ce sont elles en effet qui ont creusé les premiers canaux, percé le plus grand nombre de nos routes, propagé l'industrie sur notre sol, créé le mouvement commercial du siècle dernier, fondé nos universités et préparé de longue main la révolution de 89, en habituant la classe moyenne à la discussion des abus dont elle avait tant à souffrir. Si notre division départementale rend l'administration plus régulière, il faut avouer aussi qu'elle morcelle trop des intérêts intimement liés entre cux, qu'elle facilite outre mesure le despotisme de la bureaucratie; aucun des départemens ne représente une assez grande masse d'intérêts pour rivaliser avec Paris, et la province s'accoutume à recevoir de cette dernière ville les impulsions bonnes ou mauvaises, et des opinions toutes faites sur chaque événement. Admettez, ce qui n'a pas lieu, que nos institutions nous permettent dans les départemens de creuser des canaux, d'établir des chemins de fer ou de fonder des universités, sans avoir subi préalablement le visa et les éternelles lenteurs des administrations parisiennes; un obstacle plus invincible, le manque de fonds, s'y opposerait encore! L'étendue d'un département est trop exiguë, et par suite, ses ressources pécuniaires sont trop minimes, pour que des administrateurs puissent y trouver l'argent nécessaire à des entreprises de quelque importance.

D'après ce qui précède on peut poser ainsi le problème à résoudre : Comment faire pour concilier le besoin de centralisation d'une part et de l'autre la nécessité d'une organisation provinciale?

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